Davy Chou a retrouvé pour LE SOMMEIL D'OR les musiques du cinéma cambodgien des années 60/70

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- Publié le 19-09-2012




Le très beau premier long-métrage de Davy Chou LE SOMMEIL D'OR (en salle depuis le 19 septembre) retrace l'histoire du cinéma cambodgien, né en 1960 et tué par la guerre en 1975. Ces films disparus revivent par les témoignages de survivants, et par les chansons des films. 

Interview

Que saviez-vous du cinéma cambodgien qui est le sujet de ce documentaire LE SOMMEIL D'OR ?

Davy Chou : Le film est sur les films perdus du cinéma cambodgien, cinéma qui est né très tard, dans les années 60, qui a explosé et s'est développé pendant 15 ans au niveau local. Les films avaient du succès au Cambodge, puis tout a disparu en 1975 quand les Khmers rouges arrivent au pouvoir, tuent les acteurs et les réalisateurs, ferment les cinémas et abandonnent les films. C'est donc une histoire qui a disparu aujourd'hui au Cambodge, et encore plus à l'international où les gens n'en ont même jamais entendu parler. Quand j'ai commencé à m'y intéresser, je voulais retrouver les films, mais ils étaient introuvables. Il fallait donc chercher tout ce qui a résisté. La musique, c'était la chose la plus évidente qui soit restée en terme de matériel, car sinon des gens ont gardé en mémoire cette histoire.

Quelles sont ces musiques retrouvées ?

D.C : Il y a eu au moins 400 films produits en 15 ans, et pour chaque film il n'y avait qu'une copie. Or les musiques étaient déjà commercialisées en vinyle, on pouvait les acheter. Donc les gens avaient chez eux des musiques. Pour chacun des films cambodgiens de l'époque, il y avait au moins deux ou trois chansons composées exprès le film, un peu à la Bollywood ou comme chez Walt Disney, les comédiens se mettaient à chanter (en playback car ce sont les chanteurs connus du moment qui interprétaient ces titres qui se superposaient). Puisque les musiques étaient spécialement écrites pour les films, les paroles étaient totalement liées au récit, à l'intrigue, aux personnages. J'ai trouvé fascinant la manière qu'ont les films de survivre par la musique dont les paroles racontaient les récits disparus. Ces musiques qui ont résisté matériellement sont encore largement diffusées au Cambodge. Les vieilles générations les écoutent car elles leur rappellent leur enfance, et les jeunes de ma génération ont toujours été baignés dans cette musique, qu'ils les aiment ou non elles font parties de leur culture. Les studios de karaoké reprennent ces morceaux qui ne leur coûtent rien pour les faire réinterpréter par des chanteurs à la mode avec des réarrangements horribles au synthé. Et la chose dingue c'est que les jeunes adorent ces musiques-là sans même savoir que cela vient de films.

Que racontent ces films et ces chansons ?

D.C : C'est romantique, comme les films, c'était avant tout des histoires d'amour impossibles, une sorte de remake permanent de "Romeo et Juliette". J'aime dans ces chansons leur couleur entre la joie et la mélancolie. Et c'est tout à fait ce que je cherchais pour le film, les musiques étaient parfaites pour porter l'esprit de l'époque, un désir de vivre, et en même son caractère révolu.

Quels étaient les compositeurs de ces films ?

D.C : Le compositeur génial de cette époque qui mérite d'être connu est Sinn Sisamouth (1932-1975) qui est pour moi un génie de la composition et du chant, c'est lui qui chante 90% des chansons pour les personnages masculins dans les films. Il est malheureusement mort pendant le régime des Khmers rouges. Il a sorti une chanson très étrange entre 70 et 75 qui était une critique du roi, une charge féroce.

En reste t-il aujourd'hui en activité des compositeurs de cette époque ?

D.C : Il en reste quelques-uns. Ce sont les chanteurs les plus connus qui sont morts pendant la guerre, et quelques autres, mais il en reste. J'en ai rencontré un, qui avait travaillé avec mon grand père (je ne l'ai pas encore dit, mais mon grand père était producteur de cinéma à l'époque au Cambodge). C'est Um Dara, un très vieux monsieur. On a fait l'interview, mais dans les choix du film on ne pouvait pas avoir trop de personnages (quatre c'est déjà beaucoup, il y avait le risque de s'éparpiller). J'aurais aussi pu parler plus de la musique, mais finalement on a décidé d'utiliser les musiques sans forcément parler des chanteurs. Il y a d'ailleurs un docu qui se prépare sur le sujet, d'un réalisateur américain qui s'appelle John Pirozzi. Le titre du film est "Don't think i've forgotten", qui est la traduction d'une chanson cambodgienne. Il y sera question de l'âge d'or de la musique, notamment le rock 'n roll, ce qu'on n'entend pas trop dans mon film, hormis un morceau. Mais il y a eu un rock démentiel au Cambodge, peu utilisé dans les films qui privilégiaient les chansons romantiques. Le rock fait par des jeunes furieux était plus underground. J'espère que ce docu sortira bientôt.

Quelle était la place des musiques au moment du tournage ?

D.C : On s'est servi de la musique sur le tournage, ce qui a très bien marché. Il y avait quand même une équipe importante sur ce documentaire car il y avait une ambition formelle liée à un imaginaire que l'on essaie de reconstituer. Et du coup j'avais parfois peur que les intervenants soient un peu gênés, donc j'ai diffusé de la musique de leur propre film juste avant les prises pendant cinq minutes et ça a marché, ils sont prêts à parler. Je l'ai fait notamment pour le cinéaste Ly You Sreang qui raconte comment il est devenu chauffeur de taxi en France, il tombe en larme dans la séquence, on sent bien qu'il est hyper sensible, prêt à tomber dans l'émotion. J'avais préparer comme pour le "piéger" une musique d'un de ses films qu'il n'avait jamais réussi à retrouver. Je l'ai retrouvé par des collectionneurs en France. Exprès je ne lui avais pas dit, et au tournage je l'ai mis. Il est rentré dans une émotion incroyable !

Les images sont d'aujourd'hui et ce sont les sons qui proviennent du passé...

D.C : A l'image, je voulais être au présent, sans utiliser d'images d'archive, car cela aurait été comme de regarder l'histoire dans un rétroviseur alors que tout l'enjeu du film était de rester dans le présent et de voir si le passé existe toujours dans le présent. Mais en même temps, il fallait que le passé émerge, et donc le travail sonore de Vincent Villa était essentiel pour que le son puisse nous aider à évoquer le passé. On a aussi dans le son utilisés des archives comme une annonce radio d'époque présente dans un film. On s'est souvent demandés quelle image mettre sur un son plutôt que l'inverse. Il y a aussi un travail plastique de la bande son. Par exemple, lors de la séquence dans l'ancien cinéma Capitole avec des jeunes qui jouent au billard, pour faire ressurgir le passé on a ajouté des sons de bombes car les salles de cinéma étaient à l'époque bombardées.

Quel a été le travail de Jérome Harré, compositeur de la musique originale ?

D.C : Il travaille avec le sound designer Vincent Villa. Au départ ils travaillaient ensemble sur le son du film et on ne pensait pas à une musique composée pour le film. Au fur et à mesure du montage, de la même manière que je ne voulais pas utiliser d'anciennes images, utiliser trop d'anciennes musiques donnait un côté trop passéiste. L'aboutissement du travail était à un moment d'avoir une musique originale. Du coup Vincent a proposé Jérôme. Il a fait un long morceau de sept minutes pour la fin du film, une musique à base de nappes sonores, à la fois Lynchéenne et dans une inspiration Weerasethakul ("Oncle Boonmee"). Cette composition est parfaite car elle s'intéresse aux tripes avec quelque chose de tribale, avec l'idée d'invocation, comme chez Kenneth Anger.

Interview réalisée à Paris le 13 septembre 2012 par Benoit Basirico

 


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