Interview B.O : Jacques Bral et Nathaniel Mechaly, naissance d'une complicité

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INTERVIEW RÉALISÉE À PARIS LE 30 NOVEMBRE 2012 PAR BENOIT BASIRICO - Publié le 04-12-2012




Le trop rare cinéaste Jacques Bral rencontre pour la musique de son nouveau film LE NOIR (TE) VOUS VA SI BIEN le compositeur Nathaniel Mechaly et s'avère enthousiasmé par cette collaboration. "Deux artistes se conjuguent pour aller dans le sens du film."

Interview

 

 

Cinezik : Jacques Bral, quelle est votre relation à la musique ?

Jacques Bral : J'ai joué de la guitare classique. Mon rapport à la musique est un rapport de cinéaste, c'est un élément dont on peut se servir. Certains réalisateurs en ont peur car ils ne savent pas s'en servir, ils ne connaissent pas. Le meilleur exemple, c'est Robert Bresson qui disait que tout ce qu'il n'aimait pas, il ne fallait pas s'en servir. Je suis bressonnien, la musique est chez moi comme un dialogue intérieur, elle montre l'intériorité d'un personnage, ou la subjectivité d'une action. Je n'ai pas peur de mettre la musique très fort, ce qui n'est pas le cas pour LE NOIR (TE) VOUS VA SI BIEN, mais on pourrait le faire dans les autres films.

Vous avez travaillé auparavant à deux reprises avec le compositeur Karl-Heinz Schäfer, comment était cette collaboration ?

J.B : On a été très complice, c'était comme un grand frère, il était plus âgé que moi. Il a disparu il y a une quinzaine d'années. On a fait ensemble la musique très particulière d'EXTERIEUR NUIT, et une musique dodécaphonique pour POLAR (on est d'ailleurs les seuls à avoir fait ce type de musique pour le cinéma). Francis Dreyfus était l'éditeur, un troisième fou dans l'affaire. On avait fait des maquettes de la musique pendant trois ans et demi. Je ne sais plus combien d'heures de mixage. Schäfer avait fait appel à un directeur d'orchestre pour diriger sa musique tellement c'était compliqué. On a eu l'idée avec Schäfer de mélanger les instruments d'orient et d'occident, ce qui pouvait coller dans LE NOIR (TE) VOUS VA SI BIEN mais Schäfer n'était plus là. J'ai ainsi taquiné Nathaniel avec une musique de Schäfer, qui est restée dans le film.

Comment s'est produite la rencontre entre vous ?

Nathaniel Mechaly : C'est le mixeur du film, Vincent Arnardi, qui nous a présenté. J'apprécie énormément Vincent car c'est le dernier artiste d'un film. On en parle assez peu de ce travail qui donne un sens narratif à la bande son. Je crois au pouvoir des mixeurs pour donner de la force à la musique, la mélanger aux sons et aux dialogues, faire des choix. On partage un goût pour le son. J'aime être sous ses doigts. Je lui fais confiance.

J.B : Je suis content d'avoir rencontré Nathaniel. C'est la première fois depuis Schäfer que je vois un musicien, car c'est un vrai artiste ! A partir de là, j'ai mis du temps à évacuer le style Schäfer. Au final, la musique est loin de ce que j'imaginais au départ, même si on a inclus un titre de Schäfer que Nathaniel a réarrangé, et je l'en remercie.

N.M : On peut te choisir parce que tu as fait tel film, ou telle musique. Jacques m'a choisi pour ma personnalité intime, pour des critères qui m'échappent. Il m'a poussé à faire quelque chose d'extrêmement personnel. Cette expérience m'a plu. C'est comme un lâché prise.

Quel sens avait pour vous l'existence d'une musique originale pour ce film ?

J.B : La musique originale nait du film, et peut naitre avec un autre artiste, un vrai. Il n'y a rien de pire que de travailler avec des faiseurs. C'est comme les acteurs, c'est plus facile de travailler avec de grands acteurs. La musique vient d'une rencontre, en partant sur un instrument qui est le sien, et je n'en démords pas, j'adore cet instrument, car c'est sa prolongation. Deux artistes se conjuguent pour aller dans le sens du film.

N.M : Mon instrument, c'est donc le violoncelle, je suis violoncelliste. J'ai été très touché d'être dans la filiation du travail que Jacques a fait avec Schäfer. Il y avait ses influences, ses intentions, le fait que Jacques soit très ouvert à la création. On a inventé la musique du film ensemble. Il était présent à toutes les séances. La musique est originale également dans le sens où on n'a pas cherché à meubler l'espace, à boucher des trous, ou à faire de la décoration. On a essayé de lui donner un sens propre, qu'elle ait son langage par elle-même. Elle ne juge pas le film. Il fallait trouver une distance poétique, le juste rapport pour éviter que la musique dise trop les choses.

J.B : Je ne parle jamais autant, c'est vraiment parce qu'on parle de la musique, et parce que c'est ensemble, j'en suis ravi. Je ne fais pas de musique d'ascenseur, ce qu'on demande souvent aux compositeurs. La musique est toujours significative, c'est un plus qui révèle ce qu'il y a à l'intérieur. C'est là-dessus qu'on a travaillé.

Combien de temps aviez-vous pour concevoir cette musique ?

J.B : C'est la première fois que je fais avec un musicien une musique en aussi peu de temps, c'était très rapide, on l'a faite sur un ou deux mois. Quand je travaillais avec Schäfer, c'était sur six mois. Sur POLAR, on a fait trois ans et demi de maquettes.

N.J : Le choix du violoncelle était aussi du fait qu'en si peu de temps, on ne pouvait pas enregistrer avec des musiciens ni écrire les partitions.

J.B : J'ai aussi insisté pour que ce soit cet instrument, car c'est le sien, et il y joue très bien.

Le fait d'être interprète de la musique donne la sensation de vivre cette partition...

N.M : Quand tu n'as pas le temps, tu prends ton instrument et tu joues. Il y a une part de savoir faire ensuite car je sais où me placer, comment intervenir, puis Jacques m'a dirigé comme il dirige un acteur. On a construit la musique ensemble sans rien d'intellectuel, sauf d'être au service du film.

J.B : Ce n'est pas uniquement un interprète. Quand il joue, c'est pour créer une musique. Je voulais une voix qui soit la sienne. Et on avançait pas à pas à deux. C'est une démarche créative et sympathique.

Le sujet du film est fort, comment positionner sa musique par rapport à cela ?

N.M : On n'a pas voulu emmener le film vers quelque chose de sombre et de triste parce que c'est un drame. Il y a quelque chose de Shakespearien dans cette histoire, et en même temps il y a beaucoup de poésie. Il y a un très beau portrait de femme. Ce sont des histoires d'amour. On n'a pas voulu mettre les personnages dans un bateau sombre. On a voulu que la musique s'amuse avec le film, qu'elle soit un soleil, dans une distance affective. La scène du baiser entre les deux filles m'a beaucoup touché. C'est la quête de Cobra pour découvrir la vie, aller vers ses interdits, tout en assumant sa vie de jeune fille. On a trouvé un équilibre pour illustrer musicalement cette scène, sensible et sensuelle, sans trop en dire, en gardant cette émotion. C'est à la bonne distance.

Malgré le sujet, la musique n'est pas directement orientale...

N.M : Jacques voulait au départ que je fasse de la musique orientale. Je m'en suis éloigné, et finalement c'est revenu malgré moi de part mes origines. Il y a quelque chose d'évocateur.

Pensez-vous poursuivre cette collaboration ?

N.M : Jacques m'a fait jouer dans son prochain film...

J.B : Oui, comme acteur, dans le rôle d'un musicien. D'ailleurs, c'est quand que tu te mets à travailler pour moi ? (rires)

N.M : Avec plaisir !

J.B : C'est bien de commencer à voir ce qu'on pourrait faire, je te raconterai le film... Tu es d'accord ?

N.M : Ah oui !

(serrements de main).

C'est contracté (rires)

J.B : D'ailleurs, je voudrais aussi faire un film sur toi comme personnage principal autour de la musique. Ce n'est pas une blague. La musique est toujours un sujet important dans mes films. Maintenant que j'ai mon musicien, je ne vais pas le lâcher. On vient juste de faire connaissance. Je suis sincère. Je pense qu'on va faire de belle choses. J'ai deux projets de films, j'ai mis d'office son nom en tant que musicien.

Interview réalisée à Paris le 30 novembre 2012 par Benoit Basirico

 

INTERVIEW RÉALISÉE À PARIS LE 30 NOVEMBRE 2012 PAR BENOIT BASIRICO

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