Le Hobbit : Un voyage inattendu (Howard Shore), laborieux, mais un nouveau thème plaisant

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par Sylvain Rivaud

- Publié le 15-12-2012




Howard Shore retrouve Peter Jackson et l'univers de Tolkien, douze ans après avoir commencé à composer pour LE SEIGNEUR DES ANNEAUX. Sans surprise, l'univers musical est le même, jusqu'à la reprise intacte des thèmes de la première trilogie, mais on note quelques nouveaux thèmes (principalement un, associé aux 13 nains de l'histoire) que l'on parvient à identifier malgré un album trop long qui a tendance à noyer les rares autres fulgurances.

Howard Shore retrouve la Terre du Milieu avec THE HOBBIT et, sans surprise, réutilise les nombreux thèmes et motifs mélodiques composés pour la trilogie du SEIGNEUR DES ANNEAUX. Un peu comme l'avait fait John Williams sur STAR WARS, certains thèmes de la trilogie (dont les événements se déroulent 60 ans après l'histoire de Bilbo le Hobbit), sont présents ici, esquissés ou évidents, tels que le thème de l'anneau unique, le thème des Hobbits (associé à la Comté où vivent Bilbo et plus tard Frodo) et les motifs associés aux Elfes, et particulièrement à Elrond et Galadriel, présents dans ce film.

Le travail du compositeur canadien se résume donc essentiellement à une nouvelle digestion de toute cette base mélodique déjà connue par le spectateur depuis plus de dix ans, et de la transposer à cette nouvelle histoire qui, finalement, est un peu une version allégée et édulcorée de la quête du SEIGNEUR DES ANNEAUX, quoique Peter Jackson se soit appliqué à la rendre plus sombre et cohérente avec sa précédente trilogie, alors que l'ouvrage de Tolkien, à la base, est vraiment destiné aux enfants et pré-adolescents. Bien que l'humour soit présent ponctuellement dans le film, la musique de Howard Shore le reflète très peu : en résulte un score très lourd, sérieux, un peu sentencieux, et sans grande fantaisie, d'autant plus difficile à digérer qu'on en connaît déjà les grandes lignes mélodiques, les codes et le style des orchestrations.

La musique présentée sur le disque est le reflet de ce qu'on entend dans le film, l'édition "collector" présente même ce qui ressemble presque à un score complet comparable aux intégrales des versions longues des musiques de Shore pour chaque film de la première trilogie. En revanche, plus curieux est le choix de l'éditeur (ou du compositeur ?) d'avoir proposé une sélection de son travail sur deux disques pour l'édition CD standard de THE HOBBIT, alors que l'édition collector d'à peine 15 minutes supplémentaires sort simultanément. A l'écoute de l'édition standard, on s'ennuie de certains morceaux un peu longuets et surtout redondants (avec la trilogie du SEIGNEUR DES ANNEAUX ou avec le présent score lui-même), et on se dit qu'une sélection de 16 à 18 morceaux sur un seul disque de 70 à 75 minutes aurait été largement préférable pour apprécier les rares moments d'intérêt de cette nouveauté.

Car dans le film, si la musique est quasiment toujours présente (en "wall to wall" - en continu - du début à la fin, comme dans les Star Wars), la musique en elle-même n'a pas toujours grand intérêt, très redondante sur les images, entre plusieurs scènes, ce qui rend l'écoute isolée franchement ennuyeuse. C'est pourquoi nous vous suggérons d'acheter l'album au format numérique afin de pouvoir sélectionner une partie des pistes seulement, afin de composer une playlist plus synthétique, où se dégagent les vrais moments forts du film et de la BO. Voici notre suggestion de playlist :

1. My Dear Frodo
2. Axe or Sword?
3. Misty Mountains
4. The Adventure Begins
5. The World is Ahead
6. An Ancient Enemy
7. Radagast the Brown
8. Roast Mutton
9. The Hill of Sorcery
10. Warg-scouts
11. The Defile
12. Over Hill
13. A Thunder Battle
14. Brass Buttons
15. Out of the Frying-Plan
16. A Good Omen
17. Song of the Lonely Mountain (chanson de fin)
18. Dreaming of Bag End

Nous parlerons essentiellement ici de ces morceaux, les autres ayant été écartés car représentant peu d'intérêt. On peut signaler que l'édition "collector" comporte en plus de l'édition standard la petite chanson que les nains entonnent chez Bilbo au début du film, et quelques morceaux rallongés tels que "Radagast the Brown" et "Roast Mutton" qui figurent parmi les vraies réussites d'Howard Shore sur ce nouveau film.

Venons-en aux réussites : la première est le nouveau thème, intitulé "Misty Mountains", chanté par les nains sur la piste 5 de l'album standard. Cette mélodie, comme certaines des chansons du folklore de la Terre du Milieu déjà entendues au fil de la précédente trilogie, ont été composées par Plan 9, un groupement de musiciens néo-zélandais (David Donaldson, David Long, Steve Roche et Janet Roddick). Ce thème, présenté comme une mélodie traditionnelle dans le film, est ensuite repris et exploité par Howard Shore, qui va la décliner dans son score dans la tradition d'un thème principal hollywoodien, dans l'esprit des grandes épopées d'aventures. On retrouve donc ici l'esprit de "La Communauté de l'Anneau" et de son thème de la communauté, en plus épique encore (par exemple dans "The World is Ahead"), car il s'agit ici de nains partis pour reconquérir leur montagne ! Ce thème est vraiment une belle réussite car il permet au film de renouer avec la tradition du grand thème de cinéma, quelque peu tombé en désuétude depuis quelques années. On retrouve aussi la ferveur et l'enthousiasme du premier film de 2001, dont THE HOBBIT est d'ailleurs un quasi-remake.

Parmi les autres morceaux marquants figure "Radagast the Brown", illustrant l'un des cinq magiciens de la Terre du Milieu auxquels appartiennent également Gandalf et Saroumane. C'est certainement l'un des personnages les plus intéressants et truculents mis en scène par Peter Jackson dans ce film, illustré musicalement par des violons tziganes et des percussions en bois un peu farfelues, évoquant l'excentricité du personnage, très intégré à la nature (il parle aux animaux, vit avec eux, est en harmonie avec la forêt, etc). Shore y ajoute des choeurs d'enfants cristallins, mais un peu paniqués, qui évoquent une urgence et une menace.

Peu après, le groupe de personnages rencontrent trois trolls et c'est l'occasion pour le compositeur de signer un morceau avec une belle progression, qui commence en "mickey-mousing" (avec des cordes sautillantes qui évoquent les trolls bêtes et lents) suivi de moments de suspense, puis d'un passage d'action massif et puissant (avec cuivres et grosses percussions) dans lequel revient le thème de "Misty Mountains" lorsque les treize nains affrontent les trolls à l'unisson. Le thème devient une mélodie qui rassemble et qui fédère, tout en évoquant le frisson de l'aventure (auquel Bilbo prend goût peu à peu). Le motif rythmique associé aux Wargs (les loups géants que chevauchent les orques), entendu notamment dans "Warg-Scouts" donne également une bonne impulsion au score, avec des motifs dynamiques qui évoquent les chevauchées et les courses-poursuites, et en même temps la menace et la violence de ces animaux. Ce motif revient plusieurs fois dans le film (notamment dans "Out of the Frying-Pan"). Plus tard, dans "A Thunder Battle", Shore accompagne la démesure de la mise en scène de Jackson avec un morceau d'action massif et impressionnant, illustrant une bataille de géants de pierre, avec gros cuivres, cors et percussions. "Under Hill" reprend les motifs aux cuivres associés aux orques, dans les mines sous la montagne, comme dans la première trilogie. De même, on retrouve des thèmes du SEIGNEUR DES ANNEAUX dans "Riddles in the Dark", notamment le thème de l'anneau, largement exploité, puis une esquisse du thème de Gollum, qui fait ici sa première et unique apparition dans cette nouvelle trilogie. Le thème funeste de la Montagne du Destin ("The End of All Things" dans Le Retour du Roi) est également présent. "Brass Buttons" est un gros morceau d'action de plus de sept minutes, plutôt bien troussé, qui réutilise les choeurs d'hommes scandés associés aux mines de la Moria dans La Communauté de l'Anneau.

D'autres nouveaux thèmes sont associés à Bilbo, au prince nain Thorin et même au dragon Smaug, mais ils sont très discrets dans ce premier opus. Nul doute qu'ils seront développés par la suite de manière plus évidente. En attendant, on se repassera le désormais fameux thème de "Misty Mountains", notamment avec la chanson de fin interprétée par Neil Finn (du groupe néo-zélandais Crowded House). Pour ceux qui souhaiteraient acquérir l'édition collector, sachez qu'elle est à peine plus chère que l'édition standard, et qu'elle comprend quelques morceaux inédits sympathiques comme "A Very Respectable Hobbit" qui présente le thème de Bilbo, "Erebor" qui présente la ville majestueuse au pied de la Montagne (qui rappelle Minas Tirith) et "The Dwarf Lords" associé au royaume des nains, mais qui n'apparaissent pas dans le film (raison pour laquelle ils sont relégués à la fin du second disque).

Howard Shore parvient finalement à donner du plaisir aux spectateurs, à nous replonger dans la magie de la Terre du Milieu, sans toutefois prendre le moindre risque, puisqu'il utilise en grande majorité les thèmes déjà composés il y a douze ans pour la première trilogie, tandis que le nouveau thème (le plus marquant de THE HOBBIT) est l'oeuvre des compositeurs du groupe Plan 9. Niveau action et aventure, il a pourtant de beaux restes, tandis que la structure de son score épouse parfaitement la dramaturgie bien rodée du récit de Peter Jackson. Dommage que l'édition standard du CD ne soit pas une sélection des meilleurs morceaux, mais un double-programme indigeste qui rebutera certainement les néophytes ou plus globalement les spectateurs pas forcément fanatiques de l'univers de Tolkien.

 

par Sylvain Rivaud


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