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La musique de films made in Hollywood : une musique de copistes ?

 - La musique de films made in Hollywood : une musique de copistes ?

François Faucon - Publié le 07-01-2013




La musique de films connaît depuis déjà plusieurs années les mêmes dérives que l’ensemble des autres « produits » issus de notre société moderne : production délirante, qualité aléatoire pour ne pas dire franchement médiocre selon les cas, obsession du rendement et du profit, rapidité de fabrication, etc. Pourtant, les musiques de films made in Hollywood s’avèrent omniprésentes et, selon l’avis général, elles seraient le meilleur de ce qui se fait actuellement. Cette affirmation serait peut-être acceptable si l’on ignorait les dérives les plus importantes de ce microcosme, à savoir le ghostwriting et le pillage de thèmes créés par d’autres compositeurs.

 

Par "ghostwriting", il faut entendre un travail de « nègre musical » comme il en existe pour la littérature. Pour faire simple, Hans Zimmer (pour citer une célébrité...) n’est certainement pas plus seul à composer ses musiques de films qu’Alexandre Dumas ne l’était pour écrire ses romans-fleuves. Ainsi, un compositeur totalement inconnu, pas forcément meilleur ni pire qu’un autre, vend ses compétences et connaissances musicales à une production filmique qui ne lui rendra pas la pareille, en n’apposant pas son nom au générique, qu’il soit le principal compositeur, le dernier des orchestrateurs ou le plus anodin des copistes. Le salaire versé à ce compositeur inconnu l’oblige à taire la supercherie (pourtant connue de tous), à cacher un travail clandestin et à accepter que son nom s’efface au profit d’un autre, plus célèbre et plus vendeur. Cet autre compositeur récupérera la gloire s’il y a lieu et les conséquences financières et de carrière qui en découlent. Cette pratique, massive aux Etats-Unis, est difficile à débusquer et retrouver qui a composé exactement quoi n’est jamais simple voire impossible. A moins d’enquêter sur place...

Toujours est-il qu’à Hollywood, on copie sans complexes les géants du classique en omettant de les nommer (la publicité fait de même...) et de leur rendre hommage. On se copie les uns les autres, au sein des mêmes groupes de travail, d’une période à l’autre, sans rendre à César ce qui lui appartient ou si rarement. Si les « nègres musicaux » acceptent de s’aligner sur de telles pratiques, c’est qu’il faut bien manger et accepter d’avaler des couleuvres si l’on espère faire carrière, peut-être, un jour ou l’autre. En attendant, ils sont, de fait et par état, la dernière mais essentielle « roue de la charrette ».

Plus simple à repérer et à entendre est la copie, pour ne pas dire le vol, de thèmes musicaux. Cette pratique consiste tout simplement à faire passer pour sien des thèmes composés par d’autres après les avoir quelque peu réarrangés. Le problème ? On peut réécrire Alexandre Dumas sans pour autant égaler ses œuvres ni créer un quelconque style personnel. A vrai dire, Hollywood n’est pas le seul milieu à pratiquer le plagiat. Bien avant l’apparition du copier-coller généralisé à toutes les professions utilisant l’informatique, les compositeurs de musique classique s’y adonnaient déjà avec leur papier, leurs plumes et leur encre. Mozart s’auto-plagiait d’un opéra à l’autre et reprenait des airs entiers et à l’identique entre « Les Noces de Figaro » (1786) et « Don Giovanni » (1787). Ecoutons également Vivaldi et soyons convaincus qu’il n’aurait jamais pu composer une œuvre d’une telle ampleur sans systématiser ses procédés de composition et donner, par conséquent, un sentiment de « déjà entendu » à l’auditeur. Mais du moins, ces compositeurs avaient le mérite de ne copier que leurs propres œuvres... Lorsque tel n’était pas le cas, ils parlaient d’hommage et d’influences (encore qu’on imagine volontiers que les « vols » de musique et les travaux clandestins devaient être légion et peu recommandables). Mais lorsqu’on fait abstraction de tout ceci, il reste un noyau musical dur et incompressible qui appartient en propre au compositeur et qui constitue sa marque, son style personnel donc une esthétique à part entière. Ce qui fait défaut à Hollywood plus souvent qu’on ne le pense !

Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter attentivement les musiques de films, de s’y connaître quelque peu et de disposer de beaucoup de temps. On trouvera ci-dessous quelques exemples parmi les plus édifiants de la récupération et de l’appropriation d’un thème musical composé par d’autres :

 

- Lorsque l’on n’a pas recourt à un nègre, on peut carrément recopier la partition d’un autre. En 1990, Jean-Claude Petit récupère (avec talent, il faut le reconnaître) le thème de « Batman Returns » (Danny Elfman, 1991 en France) pour le « Cyrano de Bergerac » réalisé par Jean-Claude Rappeneau (vidéo ci-jointe). Le compositeur américain crie, à juste titre, au scandale, porte plainte et perd son procès. Le compositeur français remporte une « Victoire de la Musique » (la partition est magnifique...) et démontre qu’il existe des similitudes entre la musique de Danny Elfman et la sienne !

Jean-Claude Petit aurait peut-être dû rappeler à Danny Elfman que la musique qu’il a composé pour le « Batman » de Tim Burton (1989) doit beaucoup à un certain Richard Strauss (« Ainsi parlait Zarathoustra », 1896) moyennant une lecture pour le moins particulière du surhomme nietzschéen : « Batman » (A écouter ici - à partir de 2’15 et notamment les trois accords censés incarner un héros enfin conscient de sa mission) – « Ainsi parlait Zarathoustra » (http://www.youtube.com/watch?v=uSC4w-fvojA : de 0’00 à 1’40). Elfman en fera une simple variation sur un même thème. S’il ne connaît pas l’œuvre de Strauss, il a au moins vu l’ouverture de « L’odyssée de l’espace » de Kubrick qui se déroule sur le même thème : 

- Alan Menken, compositeur auréolé de nombreux oscars et égérie musicale de Disney, recycle en 1991 dans « The Beauty and the Beast » (Vidéo ci-contre) un thème composé par Camille Saint-Saëns dans le « Carnaval des animaux » (1886) : « Aquarium » (Ecoutez ici). Là encore, il s’agit toujours d’une vieille technique : la variation sur un même thème (qu’il n’est en l’occurrence pas le seul à avoir utilisé). Menken reconnaît l’influence du compositeur français et prouve du même coup que la frontière entre influence, hommage et plagiat est rapidement franchie. Parfois, il s’agit d’un simple ancrage dont on n’a pas conscience.

- John Williams, qu’on ne présente pas, est un maître (lire sa biographie ici). Sa partition la plus célèbre (« Star Wars ») est un monument de la musique de films qui doit beaucoup à Mendelssohn, Tchaïkovski, Wagner, Holtz et, pour le thème d’ouverture, à Korngold (compositeur à qui tout Hollywood doit énormément). John Williams reprend le thème composé par ce dernier en 1942 pour « King’s Row » : http://www.youtube.com/watch?v=V47enEvsafQ. « The Imperial March »  (http://www.youtube.com/watch?v=jH6wXaLQIMQ) est ouvertement un calque de « Mars, the bringer of wars » de Gustav Holst, compositeur mort en 1934 (http://www.youtube.com/watch?v=L0bcRCCg01). Ces influences sont, non du compositeur, mais celles demandées voire imposées par George Lucas pour sa première trilogie. 

- Cependant, pour être honnête, il faut dire que le cinéma américain n’est pas le seul à pratiquer ainsi. Le « made in Japan » agit à l’identique. Ainsi pour « Nausicaä de la vallée du vent. Requiem  » (1984), Joe Hisaishi (lire sa biographie) utilise un thème maintes fois récupéré : celui de la « Sarabande » de Haendel (http://www.youtube.com/watch?v=G-qantwaD4I, à partir de 3’00). Un tel emprunt est-il notifié sur le livret du disque ? 

Stanley Kubrick, lui, utilisait ouvertement l’œuvre de Haendel dans « Barry Lindon » (http://www.youtube.com/watch?v=91sfrw106xs).

Ces exemples édifiants relèvent néanmoins de techniques de composition que tout le monde ne maîtrise pas. Les « emprunts » aux compositions classiques restent isolés à quelques pistes et, dans bien des cas, n’enlèvent rien à ce « noyau dur » dont je parlais plus haut et qui constitue le style musical propre à tel ou tel compositeur. Qui songerait sérieusement à dire que Hisaishi (poète musical s’il en est) ou John Williams sont des « voleurs » ! Philippe Rombi dit de ce dernier (à lire ici)  qu’il « l’a beaucoup touché dans sa force évocatrice, dans ses thèmes aussi qui sont rarement quelconques. Ses orchestrations sont riches, maîtrisées, inventives ». 

D’autres compositeurs vont cependant plus loin et ont recourt à l’informatique pour composer leurs partitions. Le meilleur (ou le pire) exemple est l’œuvre de Hans Zimmer. Proposant aux débutants des moyens de travail délirants (Media Ventures puis Remote Control), il concentre autour de lui le ghostwriting, les emprunts aux géants du classique et le copier-coller d’un film à l’autre entre lui, ses maîtres et ses « élèves ». Opérons, en partie grâce au forum de Cinezik où son cas a été relevé, une comparaison entre les compositions de Hans Zimmer et celles de ses prédécesseurs classiques ou non, de ses élèves et parfois même de ses confrères.

Œuvres composées par Hans Zimmer

Provenance

Réutilisation postérieure

« Sherlock Holmes. A game of shadows » (2011). Musique pour laquelle on dit que Zimmer a su renouveler son style...) : http://www.youtube.com/watch?v=5DPxO2hcaYE

Déjà entendu avec Ennio Morricone – « Once upon a time in the West » (1968) : http://www.youtube.com/watch?v=YSxBUp4dFEU

ou, en 1972, « Bluebeard » : http://www.youtube.com/watch?v=Ifnv_DJuyu4

 

« Dark Knight. Harvey Two Face » (2008) : (J.N. Howard co-auteur avec Hans Zimmer) : http://www.youtube.com/watch?v=-Cx5lcqF_Qo

« Sarabande » de Claude Debussy (1903) : version pour piano et orchestrée par Maurice Ravel (http://www.youtube.com/watch?v=ArpwbE7UtUc  
 « Inception » (2010). Si le film est, en lui-même, très prenant, on peut s’interroger sur les raisons du vacarme qui régit toute la partie son... 

« Non, je ne regrette rien » (1956) – Edith Piaf http://www.youtube.com/watch?v=UVkQ0C4qDvM

 

« Backdraft » (1991). http://www.youtube.com/watch?v=-tQpAPMT_Rc
Une seule note (0’45)...

 
   ...reprise à la tierce inférieure dans « Van Helsing » (2004) par Alan Silvestri. 

« The Da Vinci Code. Chevaliers de Sangreal » (2006). Le thème était déjà le même en 2004 pour « King Arthur » et le restera pour « Pirates des Caraïbes 3 » en 2007. Il faudrait analyser la structure générale répétitive de la musique de Hans Zimmer, globalement assez pauvre (petites cellules informatico-rythmico-mélodiques répétées à des intervalles différents et bien souvent sans véritable développement) et en totale opposition avec le courant classique dit « Musique répétitive » dont la structure est en réalité cyclique (http://www.youtube.com/watch?v=u5FyRZbqfeM).

 « L’oiseau de feu. Berceuse/Lullaby » de Stravinsky (1910) : http://www.youtube.com/watch?v=mUwdyN27TWI. Zimmer répète, pendant plus de quatre minutes, le thème initial de l’œuvre classique, en intervertissant certaines sections et en modifiant la note de départ. Il faudrait enquêter sur la programmation et la constitution des bases de données musicales propres au matériel informatique utilisé... « Transformers. Arrival to earth » de Steve Jablonski (2007) : http://www.youtube.com/watch?v=4H0JDomv8ac. La structure est un peu plus étoffée que pour « The Da Vinci Code » mais les similitudes dans la structure sont tout de même évidentes. On obtient le même résultat en comparant « Transformers » avec « Batman Begins » (2005).

 

 

 

 

 

Les similitudes sont loin d’être toujours aisées à discerner ; c’est le principe de la variation lorsqu’on pousse sa logique à l’extrême. D’autant que c’est parfois quelques mesures, quelques notes, un seul accord qui sont copiés. Ces similitudes sont néanmoins réelles et si l’ont peut aisément admettre (comme le dit Michel Chion dans « La musique au cinéma », Fayard, 1995) que les pratiques de la musique de films ne sont pas celles de la musique classique, il y a tout de même de quoi se poser des questions. 

L’analyse effectuée sur Zimmer pourrait être pratiquée à l’identique entre Elfman (style inimitable certes mais qui suit la même évolution – façon montagnes russes – que les films de Tim Burton) et Nino Rota (influence assumée) ; entre James Horner et James Horner (...), tant ce dernier s’auto-reproduit et semble ne plus rien avoir à dire aujourd’hui ; etc... Au final, rien d’inaudible, loin de là (« Transformers. Arrival to earth » s’écoute fort bien et se donne même en concert) ; mais simplement l’impression d’un manque d’honnêteté générale, d’une absence de véritables compositions originales et d’un travail trop souvent expéditif pour satisfaire les impératifs de la production. Rêver et émouvoir, ne devrait-ce pas être des objectifs à promouvoir par d’autres méthodes ?

Mais alors comment expliquer de telles pratiques ? Plusieurs pistes peuvent être avancées :

- une contrainte liée au temps. Désormais, un compositeur ne dispose que de quelques semaines pour effectuer toutes les étapes de la création d’une musique. Pour « Lawrence d’Arabie » (1962), Maurice Jarre travailla six semaines jusqu’à l’épuisement. De son propre aveu, il mit un an pour s’en remettre physiquement.  Pour « King Kong » (Peter Jackson, 2005), John Newton Howard ne dispose de guère plus de temps après le départ de Howard Shore. Ce qui était un tour de force il y a cinquante ans semble être aujourd’hui la norme...

- une contrainte liée à l’ampleur de la production cinématographique. Le nombre de films réalisés aujourd’hui est inchiffrable. La qualité s’en ressent forcément et les musiques de films suivent la même tendance. Comment est-il possible, même avec l’informatique, de produire plusieurs musiques de qualité sur une seule année sinon en recopiant et en stéréotypant ? Le nombre d’œuvres composées par Vivaldi paraît bien maigre à côté... Tout ceci explique également le recours systématique à Hollywood (mais aussi en France pour « The Artist », 2011) à une kyrielle d’orchestrateurs que les compositeurs ont bien du mal à refuser. A titre d’exemple, Georges Delerue n’avait nullement besoin d’eux mais dut pourtant batailler ferme pour leur échapper.

- une facilité permettant de palier la formation initiale des compositeurs. Argument contesté par certains et qui ne manquera pas de faire grincer des dents. Rozsa, Morricone, Williams et Legrand, pour ne citer qu’eux, ont épuisé leurs guêtres et leurs nerfs sur les bancs des conservatoires et autres écoles de musique prestigieuses qui forment aux techniques éprouvées de la composition (mélodie, harmonie, contrepoint, orchestration, etc.). Pour les autres, leur expérience est réelle et leurs parcours leur a fait côtoyer de véritables musiciens, mais qu’en est-il de leur formation initiale ? En 2012, Danny Elfman compose le « Frankenweenie » de Tim Burton (« Re-Animation » a d’évidents échos de Batman..., écoutez ici). Mais historiquement, il arrive du rock puisqu’il fut meneur du groupe new wave « Oingo Boingo » ! Peut-il écrire dans sa totalité le conducteur d’une grande formation symphonique sans le travail des orchestrateurs ? A la décharge des compositeurs, ce métier semble être une activité tentaculaire dans laquelle il faut toucher à tous les styles. Est-ce possible pour un seul homme ? Après tout, tout le monde n’est pas caméléon comme Lalo Schifrin se définit dans notre récente interview.

- une économie d’argent. Lorsqu’on récupère un thème pris dans le répertoire classique, on est assuré (Mozart et Vivaldi étant morts) de ne pas avoir à payer des droits d’auteur et de piocher dans un répertoire universel présent, même inconsciemment, dans la mémoire de tous. Cela permet également d’éviter des procès. Certains l’ont bien compris comme John Williams qui a particulièrement bien protégé ses compositions.

- l’espoir d’une réussite facile. Si un thème musical a rencontré un succès une fois, on voit mal pourquoi s’en priver une deuxième fois... Les spectateurs regardent un film mais l’écoutent-ils ? Les fans de musiques de films, oui. Mais pour le grand public n’est-ce pas plus rare ? Surtout si l’on tient compte de la masse impressionnante de thèmes musicaux composés pour le cinéma et qu’un spectateur, même averti, ne peut se remémorer pour effectuer une comparaison. Les « emprunts » restent alors inaperçu...

En conclusion, je citerai Michel Legrand qui, il y a peu (A lire ici), affirmait que la musique de films est un genre « en perdition » dans lequel les compositeurs ne savent plus composer mais sont, au mieux, des mélodistes. Galant homme, Michel Legrand ne cite aucun nom... A commenter. A critiquer. A méditer. Car à toujours entendre les mêmes musiques, ne finit-on pas par se lasser ou pire, par craindre la nouveauté et la différence ?

François Faucon

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