Brive 2013 : Table ronde sur la musique au cinéma

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- Publié le 11-04-2013




La SACEM a mis en place depuis deux ans des rencontres professionnelles au Festival de Brive permettant le déplacement en Corrèze de plusieurs compositeurs émergents. Cette table ronde animée par Benoit Basirico (Cinezik) ouvre un dialogue sur la relation entre réalisateurs et compositeurs. Autour du binôme Amaury Chabauty et Sylvain Desclous (compositeur et réalisateur du moyen-métrage "Le Monde à l’envers" présenté en compétition du Festival de Brive), témoignent les compositeurs Sylvia Filus, Valentin Hadjadj, Olivier Militon, Pascal Lengagne, Damien Deshayes, et les réalisateurs Vero Cratzborn, Laura et Clara Laperrousaz, et Marianne Visier (de la SRF). Chaque témoignage convoque une expérience différente et reflète la diversité des approches.

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Propos tenus lors de cette table ronde :

Quel dialogue entre réalisateurs et compositeurs ? Quand le compositeur intervient-il ?

Amaury Chabauty / Sylvain Desclous

Compositeur / Réalisateur de "Le Monde à l'envers" (moyen métrage présenté en compétition lors du festival)

A.C (à droite sur la photo) : J'ai été monteur image et étudiant à l'EICAR. Il y a des passerelles entre le monde de l'image et celui de la musique. C'est intéressant en tant que compositeur de se nourrir des autres métiers du cinéma, la réalisation en est un. Et dans la musique de film, il est toujours question de mise en scène.

S.D : On s'est rencontrés en 2009 avec Amaury à Émergence (un atelier où 7 compositeurs et 7 réalisateurs se rencontrent sur un projet de long métrage). C'était surtout une rencontre humaine. On s'est tellement bien entendus qu'on a tout de suite collaboré sur mon court-métrage "Là-bas" (2009).

Quel était votre désir musical pour "Le Monde à l'envers" ?

S.D : Je n'avais pas d'idées très précises sur la nature de la musique même si je savais à quels endroits j'en voulais. J'avais juste dit à Amaury "pas de piano", même si au final il y en a quand même un peu. C'est ce qui est bien. C'est un dialogue. Quand Amaury est arrivé, il y avait déjà des musiques témoins placées, donc mon désir était assez orienté.

A.C : Je suis arrivé assez tard, même si j'ai lu le scénario. Il y avait en effet un montage avec des musiques classiques et des chansons. J'ai dû me faire une place au milieu de toutes ces musiques. Je défends évidemment les musiques originales, mais je suis aussi assez partisan des musiques existantes. Les deux sont utiles. C'était justifié d'avoir cette musique d'opéra car c'est lié au personnage (incarné par Myriam Boyer). C'est une musique qu'elle écoute puis qui devient la musique du film.

S.D : Il y a les deux thèmes classiques qui ouvrent et scandent le film. C'est arrivé au montage. Je n'avais aucune idée de quoi mettre et c'est la monteuse qui m'a suggéré "La Wally". Je me suis demandé ce que pouvait écouter le personnage de Mado qui est caissière pour une scène où elle est chez elle et écoute la radio. Tout bêtement, je me suis dit, puisqu'elle est caissière, elle écoute une émission type "Les grosses têtes", ou des musiques populaires. Mais finalement, ce n'est pas parce qu'elle est caissière qu'elle n'a pas le droit d'écouter de l'opéra. Ce n'est pas parce qu'on fait un travail difficile qu'on n'a pas le droit à la beauté. Donc "La Wally" a été suggérée par la monteuse Gwenola Heaulme. Je voulais qu'on parte d'une trivialité pour aller vers une échappée de pure poésie. Ensuite, il y a eu aussi au montage des musiques temporaires d'un groupe que j'aime, "Talk Talk". C'était un vrai désir de travailler avec ces musiques-là. On n'a pas eu les droits de les utiliser donc je me suis tourné vers Amaury pour qu'il puisse passer après. Cette demande n'était pas évidente. Il arrivait suite à une déception de ma part de ne pas avoir pu prendre les musiques que je voulais. Dans ce "deuil", Amaury a fait autre chose et au final c'est mille fois mieux.

A.C : Concernant les références, il faut savoir intégrer les sentiments qui se dégagent des musiques placées pour en restituer l'essence. L'avantage d'une musique originale est qu'on peut apporter des raisonnances avec un thème décliné, on peut mettre le personnage dans un état et le faire évoluer. Mais il est difficile de remplacer une chanson que le réalisateur apprécie car c'est le risque de faire quelque chose de moins bien à ses yeux.

S.D : Une fois qu'on a commencé à travailler ensemble, on a parlé uniquement du travail d'Amaury en oubliant les références. C'est dur de parler de musique pour un réalisateur, de mettre des mots sur ce qu'on ressent. C'est impalpable. Mais on y est arrivé.

Sylvia Filus

Compositrice de "Le Bout du monde" (2011) de Hakim Noury

S.F : Sur "Le bout du monde", j'ai tout fait par Internet. On ne s'est jamais rencontré avec le réalisateur. On se parlait par Skype. J'ai commencé par faire un thème que le scénario m'inspirait, sans images. Après il m'a envoyé le film monté pour que je continue. J'ai proposé au réalisateur les endroits où mettre la musique. En général, il était d'accord. J'ai juste dû faire une deuxième proposition pour la fin. Mais c'était rapide, j'avais quinze jours pour le faire.

Avez-vous été confrontée à du "temp track" comme on vient de l'évoquer ?

S.F : Pour un documentaire, j'ai dû remplacer Philip Glass. J'ai d'abord fait une musique minimaliste dans le style de Glass avec piano seul, puis je suis partie vers autre chose bien à moi.

Le court et moyen métrage a une économie particulière qui ne permet pas forcément de convoquer un orchestre, que pensez-vous de cette restriction ?

S.F : Sur "Le bout du monde", je devais enregistrer avec un orchestre, mais le budget était tellement réduit que j'ai mélangé des samples avec un vrai violoncelliste et un violoniste.

A.C : On est effectivement dans une petite économie. Pour "Le Monde à l'envers", tout est fait à la maison, il n'y a pas d'orchestre. Mais on adapte aussi l'instrumentation à la taille du récit. Pour ce film intimiste, avec trois personnages, la musique pouvait être dans cette configuration, avec piano, batterie, guitare et basse.

Clara et Laura Laperrousaz 

Réalisatrices de "Rodeo" (2011) et "Retenir les Ciels" (2012, présenté au Festival), musiques de Winter Family et Laurence Wasser.

C.L : On a écrit "Rodéo" en pensant à un morceau de Winter Family, dans la tension du morceau qui jouait comme une tension érotique. C'est ce qui m'intéressait pour ce film. On a pu faire appel à Laurence Wasser pour la musique originale. C'était à la fois une musique conçue en post-prod pour le générique et des musiques utilisées en amont comme un matériel pour l'élaboration du film. Le son joue aussi comme partition. Par exemple, une musique des Talking Head s'est transformée en sons de chantier. Pour "Retenir les Ciels" (présenté sur le festival), on a de nouveau travaillé à partir de musiques préexistantes de Winter Family car leur musique a pour nous un sens par rapport à la narration. Winter Family a un rôle tellement fort dans l'histoire que cette musique inspire le film. Le montage peut aussi s'adapter à la musique, c'est intuitif et sensuel.

Quant à Laurence Wasser, il nous a proposé plusieurs thèmes qui n'ont pas marchés en post-production. Du coup, on a juste mis un morceau au générique. C'est à l'idée du film qu'il s'est impliqué, sans images. Il y a une confiance entre nous qui lui permet de se forger son propre point de vue sur l'idée du film et commencer à nous proposer des choses. Le mixage s'organise dés l'écriture avec un côté sensoriel important. Le scénario prépare le son du film. Il y a ensuite un re-travail du son très précis, jusqu'au son des oiseaux. Même la musique de Winter Family a été retravaillé, transformé, en étant validé par le groupe. Le tissu sonore du film est un travail de composition.

Olivier Militon

Compositeur de "L'Héritage" de Michaël Terraz (2012)

O.M : Je suis à la fois compositeur et sound designer donc je suis intéressé par cette frontière qui s'est atténuée aujourd'hui entre le son et la musique. La musique peut être du son et inversement. Ça n'empêche pas d'apprécier les grands thèmes musicaux qui permettent l'émotion.

Quelle a été la collaboration avec Michaël Terraz sur "L'Héritage" ?

O.M : Je suis intervenu au début, à la genèse du projet. La rencontre avec le réalisateur était un peu particulière, car j'ai gagné un concours en Allemagne, à Cologne, dont le prix était une session d'orchestre avec l'orchestre de Cologne, pour une musique de film de mon choix. Il ne me restait plus qu'à trouver un film. J'ai donc lancé un appel. Michael m'a contacté par ce biais-là. Il voulait faire un conte fantastique et la musique d'orchestre était nécessaire. On a collaboré trois à quatre mois avant le tournage. J'ai eu le temps de réfléchir sur le scénario. J'ai même écrit une berceuse avant le tournage car elle devait être fredonnée par la petite fille du film.

Valentin Hadjadj

Compositeur lauréat du Festival International du Film de Gand en 2012

Pour vous, y a t-il une spécificité dans le fait d'être compositeur pour un film ?

V.H : Il ne faut pas oublier que la musique de film est au service de l'image. La musique ne doit jamais prendre le dessus et sortir du film. Mais je pense aussi qu'une bonne musique de film doit fonctionner toute seule, avec un vrai travail de composition et de structure musicale. J'ai eu l'occasion de travailler avec un réalisateur qui était également musicien, ça aide à se comprendre.

A.C : J'ai le réflexe avant de parler de la musique avec un réalisateur de parler du film, du scénario, du découpage, de la mise en scène.

O.M : On travaille sous des contraintes, notamment temporelles, mais quelque part ça nourrit la créativité. La musique peut soutenir l'action ou au contraire être un contrepoint, mais elle peut aussi exprimer du son dans lequel le silence aura toute sa place.

A.C : Oui, c'est de notre responsabilité de gérer les notes comme les silences.

Vero Cratzborn

Réalisatrice de 5 films avec le compositeur Greg Corsaro : F(r)ictions (1997) / Lavomatic (2000) / Week-End (2005) / En pays éloigné (2007) / Les Biches (2012)

V.C : J'ai rencontré Greg Corsaro dans le métro, il jouait de la guitare. Il y avait pour mon premier film une chanson préexistante de Maxime Le Forestier ("Le parachutiste"). C'était le début de notre collaboration. Il devait remplacer cette chanson avec un nouveau texte que j'avais écrit. Je lui ai aussi donné des références, je lui parlais de westerns, et de David Lynch (Sailor et Lula). Au-delà de ça, un dialogue a lieu avant le tournage par rapport au tempo et aux sons. Pour mon deuxième film, "Lavomatic" (2000), j'ai utilisé le son de machines à laver. On met au point le découpage ensemble. Sa musique chorégraphie les mouvements de caméra, et les mouvements des acteurs. On fait des maquettes de la musique avant le tournage qu'on utilise pendant qu'on tourne. La musique préexiste au film. Certaines musiques ne vont d'ailleurs pas forcément ensuite être dans le montage final. Parfois, en répétition des scènes, on travaille en musique. Puis on retravaille les maquettes après le montage. Je tiens à ce que Greg vienne au mixage, c'est important. Les pistes de sa musique sont toutes séparées pour pouvoir travailler sur chaque élément au mixage. Greg a aussi fait l'Esra, il a fait de la vidéo, donc il peut contribuer à l'élaboration des films.

Damien Deshayes

Compositeur de "Scène de chasse" de Jean Thomé (2012)

D.D : C'est lors des rencontres "Troisième personnage" au Festival d'Aubagne que j'ai rencontré le réalisateur de "Scènes de chasse". J'ai d'abord présenté des maquettes aux producteurs et ils ont mis deux ans à me demander de travailler sur le film. Il est sorti début 2012. C'était une super collaboration, sans trop de musiques. Il a fallu que je fasse de la musique de source, de la musique techno qu'écoutait le personnage dans son casque. Ce n'est pas mon style habituel. J'étais très surpris de la demande. Je suis plutôt partisan qu'on utilise de la musique préexistante pour cela, car se crée alors une dichotomie intéressante entre la musique préexistante et la musique originale. Et de plus, je suis contre l'idée qu'un compositeur doive tout savoir faire. Je pense qu'on doit avoir son style propre et sa personnalité qui vont nourrir le film. Je pense qu'il voulait avoir la même personnalité sur tout le film. Finalement, j'ai pris cela comme un défi.

Pascal Lengagne

Lauréat des Audi Talent Awards en 2011 (et signataire à ce titre de la musique de spots pour la marque), 
Compositeur de "La Minute Vieille" (série de Fabrice Marucca, 2012).

P.L : La publicité est très différente de la musique de film. Dans un film de fiction, c'est une collaboration avec un réalisateur autour d'une narration. Dans la publicité, il y a plus d'intervenants, ça devient compliqué. Je n'ai jamais collaboré directement avec un réalisateur. La finalité est commerciale, il faut vendre un produit. L'aspect artistique est atténué. Il y a une image de marque à défendre. L'agence de publicité a ses idées très arrêtée sur la musique. Il faut séduire ces gens-là. Pour parvenir à faire ce qu'on veut, ça devient compliqué. On peut prendre cela comme une expérience et essayer de les surprendre. Dans ma collaboration avec Audi, j'ai pu proposer des choses auxquelles ils ne s'attendaient pas comme l'utilisation de sons acoustiques de manière électronique, ça les a surpris.

Concernant "La Minute vieille", c'était d'abord un court métrage qui est devenu le pilote d'une série diffusée sur ARTE. Le réalisateur cherchait un générique pour ces films d'une minute. Il ne savait pas du tout ce qu'il voulait. Dans le pilote, le générique était plus long, j'ai utilisé des sons klezmer. Pour le format très court, j'ai dû faire quelques secondes, ce n'est plus vraiment une musique.

Un compositeur pour l'image doit parfois savoir être efficace avec peu de notes...

P.L : J'ai aussi fait beaucoup d'habillage pour la radio et c'est un exercice difficile. On m'a souvent demandé de faire des génériques de 5/7 secondes, et ce n'est pas facile. Il faut que ça évoque quelque chose sans développer une phrase ou une suite harmonique. On est dans quelque chose de l'ordre de l'impact immédiat. C'est un exercice plus compliqué qu'il n'y parait. Cela repose sur le choix des sons. Il faut donner l'illusion d'avoir extrait un passage d'une musique dont toute la substance serait déjà là. Ça ma aidé à être efficace.

Marianne Visier

Réalisatrice de "Les Décortiquées de Madagascar" (2011), 
Membre de la SRF

M.V : Parfois, il n'y a pas de musique dans mon film, ce n'est pas une obligation. Mais quand il y en a, je veux que ce soit une surprise, que quelqu'un soit parallèle à mon travail, qu'il arrive à naviguer à coté de moi avec son univers à lui.

Pour "Histoire de la perdrix femelle et de la perdrix mâle" (1990), j'ai par travaillé avec Louis Sclavis dont je connaissais les musiques dans le jazz. Je l'ai appelé pour son style que j'aimais, cela a facilité le dialogue. J'étais déjà parti tournée au Cambodge lorsque je lui ai écrit. Il ne voulait pas au départ faire de musiques de film. Il y a 20 ans de cela. Au final, il a trouvé que je n'en avais pas mis assez, alors que j'avais juste de besoin de ponctuation. Ce n'est pas parce que j'avais Louis Sclavis que je devais en mettre des tonnes.

Pour mon avant dernier film, "Les Décortiquées de Madagascar" (2011), c'était un musicien avec lequel j'avais sympathisé (Xavier Charles), qui faisait des choses très contemporaines et expérimentales. On arrivait à discuter, mais je n'avais pas accès à sa musique. Il m'a fait trois propositions qui pouvaient correspondre à mon film. J'en ai choisie une. C'est ensuite devenu une mélodie et pas uniquement quelque chose de déstructuré. Du coup, il s'est éloigné de ses recherchées musicales habituelles. Il s'est adapté.

Pour mon premier long métrage que je prépare, je rencontre des compositeurs sur le festival en leur parlant du film. C'est un road movie pour lequel je n'ai pas besoin que la musique joue le road movie car je l'ai déjà à l'image. Quand un compositeur me propose une guitare, j'ai l'impression d'être sur la Route 66, je dis non. Je sais ce que je ne veux pas. Après, discutons de comment l'univers du compositeur peut apporter quelque chose à mon histoire. J'ai plutôt envie que le compositeur me parle des personnages, d'une tristesse ou d'une joie qu'il aura ressenti.


Interview réalisée par Benoit Basirico
Lors du Festival du Moyen-Métrage de Brive, Avril 2013

 


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