Interview BO : Antonin Peretjatko sur la musique de LA FILLE DU 14 JUILLET

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INTERVIEW RÉALISÉE À PARIS LE 8 MAI 2013 PAR BENOIT BASIRICO. - Publié le 16-05-2013

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Antonin Peretjatko signe avec LA FILLE DU 14 JUILLET (présenté à la Quinzaine des réalisateurs) un premier long-métrage réjouissant, dans la continuité de ses court-métrages, mais avec encore une plus grande ampleur comique. Pour ce film libertaire, le cinéaste utilise la musique préexistante comme une matière à sculpter au montage. Interview.

Interview Antonin Peretjatko

Cinezik : Quel parcours vous a mené à réaliser vos premiers court-métrages ?

Antonin Peretjatko : Je suis passé par l'école Louis Lumière, j'en suis sorti en 1999. Mais j'ai fait mon premier court-métrage tout seul. J'ai d'abord été assistant caméra et technicien. J'avais très tôt envie de réaliser mais au départ j'ai gagné ma vie comme technicien. Je n'arrivais pas à monter mon premier court, je me suis donc lancé un peu tout seul. Ce n'était pas 10 ou 20 ans après que je me serais dit "Ah, j'aurais vraiment aimé faire des films". C'était ce que je voulais faire, alors je l'ai fait. Une fois, j'ai rencontré un étalonneur, je lui avais demandé un peu conseil. Il m'a demandé ce que je voulais faire dans la vie, et je lui ai dit que je voulais faire des films. Il m'a alors répondu "vas-y, fait des films, sinon tu vas regretter tout le temps de ne pas avoir fait de court-métrages, ne serait-ce que tout seul". Tout le monde me disait "Non, il ne faut surtout jamais mettre son argent dedans". En même temps, j'avais travaillé pour faire le film, qui était un tout petit film, c'était un tout petit budget, puis pour le finaliser, j'ai trouvé un producteur. De fil en aiguille, ce film-là a entrainé le suivant, qui a entrainé le suivant, etc… A chaque fois, on a pu financer un film grâce au précédent. C'était une bonne chose. 

Vos films sont très musicaux, dans quelle mesure une musique vous inspire pour un film ?

A.P : C'est rare qu'une musique me donne l'idée d'un film. En général, elle me donne l'idée d'une séquence ou l'idée d'un plan. LA FILLE DU 14 JUILLET est un road movie inspiré des "Pieds nickelés", dans une succession d'aventures différentes, empruntes d'actualité. Dans la voiture, on écoutait du jazz, du Art Blakey. Du coup, j'ai eu l'idée de faire danser les personnages là-dessus. Cette séquence n'était pas du tout prévue au scénario. On a rajouté ce plan-là où ils dansaient sur la musique de Art Blakey ("Africa"). Ils étaient en transe, car le morceau était un long moment de batterie, un solo qui doit durer une ou deux minutes. Mais après j'ai changé la musique, j'ai trouvé mieux en écoutant la radio (Fip) qui passait un morceau de Shawn Lee ("Le vol du bourdon"), une reprise. Je trouvais cela intéressant. On connait tous l'air et en même temps c'est une adaptation un peu étrange. On s'est renseigné sur les droits, cela rentrait tout à fait dans le budget !

Donc dans cette scène, ils dansaient au tournage sur une autre musique que celle que l'on entend dans le film ?

A.P : Exactement. Mais là ça va mieux encore, je trouve que l'effet est nettement meilleur !

Comment vous est venue l'idée des autres musiques du film ?

A.P : La musique du générique de début est venue très très vite, très très tôt. C'était évident que sur le défilé j'allais avoir cette musique. Je l'avais d'ailleurs déjà utilisé pour le générique de fin d'un de mes court-métrages, PARIS MONOPOLE. Du coup, je l'avais déjà en tête. Ce morceau provient de Koka Media (Ndlr : une librairie musicale qui appartient aujourd'hui à Universal), qui propose de la musique pas très chère. C'est devenu l'évidence très vite, dès qu'elle a été posée sur les images. De toute façon, il n'y a pas vraiment d'ambiguïtés, en général on pose la musique et puis la mayonnaise prend ou ne prend pas. Si ça ne prend pas, le film la rejette, donc il faut la changer jusqu'à ce que ça marche. J'adore faire ça en montage. 

Avec Koka Media, en ce qui concerne la musique classique, ce sont des reprises parfois très très mal jouées. Dans ce cas-là, on ne les prend pas. Avec les choses jouées au piano ou au clavecin, c'est un peu la loterie. Les interprétations peuvent parfois être très bien et d'autres fois pas du tout. Il y a eu plusieurs fois où j'avais placé des musiques classiques que j'avais prises sur des CD que j'avais empruntés, et en allant rechercher sur Koka Media ce n'était pas du tout la même interprétation. Comme en général je monte les séquences par rapport au rythme de la musique, au moment où l'on a réglé les droits musicaux, il a parfois fallu changer les morceaux, et là, ça ne correspondait plus. A une ou deux reprises, il était un peu trop tard pour changer le montage, du coup on n'a pas pris Koka Media mais on a payé les droits des interprètes. C'est le cas du morceau de jazz de Thomas Stanko, là c'est de la "vraie musique", je veux dire par là que ce n'est pas du saxo au synthé. Tout à coup, le film y gagne, ce moment-là prend de l'ampleur. Idem pour Shawn Lee, quand ils dansent tous, je ne voulais plus lâcher là-dessus. 

Le film, souvent, doit beaucoup aux musiques, celles-ci apportent beaucoup aux séquences. Je me souviens d'un cours à Louis Lumière sur les musiques. On nous avait dit que parfois, il y a des séquences entières chez Fellini qui perdraient tout si on enlève la musique. Cela m'avait frappé. C'est extraordinaire. Je n'avais jamais envisagé le cinéma ainsi avant ce cours-là, alors que cela paraît évident, chez Morricone notamment. 

Le producteur, Emmanuel Chaumet (Ecce Films), vous a soutenu sans retenue dans l'achat des droits musicaux ?

A.P : Avec la production, on allait dans le même sens, c'est à dire dans le sens du film. Autant qu'un décor, la musique est parfois extrêmement importante pour que la scène fonctionne, pour avoir un sentiment qui fonctionne. Et puis Emmanuel savait qu'il fallait un budget pour la musique, il a produit un de mes court-métrages avant, et il a vu les autres, donc il savait que la musique était importante dans mes films. Du coup, on savait qu'en post-production, il y a un budget à réserver exprès pour ça. Ou alors, il faut que cela soit prévu dès le départ, que le producteur me dise de faire un film sans musique, et là je m'arrange, mais cela se pense au début du tournage, sinon on est foutu. Là, on ne pouvait pas être devant le fait accompli, en me demandant d'enlever toutes les musiques, non, j'avais fait le film en fonction ! En l'occurrence, cela s'est très bien passé parce qu'on allait dans le même sens. Et puis, comme il y avait beaucoup de musiques, il y avait un superviseur musical (Thibault Deboaisne) qui s'est chargé de contacter tous les ayants-droits et a pu négocier un peu. 

Faute de budget, vous est-il arrivé d'abandonner une idée musicale ?

A.P : On voulait Olivier Messiaen, mais on n'a pas réussi à payer les droits parce que c'était extrêmement cher. Il y avait 30 secondes qui coutaient environ 15 000 euros, ce n'était pas pour nous. On a mis autre chose et j'ai eu très peur parce qu'on ne trouvait pas. J'ai donc mis une autre musique, et j'ai re-monté la séquence. C'était pendant les derniers jours de montage, on a eu très peur. 

Il y a également dans votre film de la musique militaire, comme dans certains de vos autres films, pourquoi affectionnez-vous la fanfare ?

A.P : Le film commence avec la musique militaire et d'une certaine manière il se termine avec ça, car c'est le 14 juillet, c'est la fête. Mais la fanfare n'est pas du tout un impératif de ma part… dans la vie, je n'aime pas la fanfare, je n'en écoute pas chez moi. J'aime bien pour les films mais dans la vie ça me casse vite les oreilles. 

Au montage, je sais quel genre de musique j'ai envie. Donc la recherche musicale, je la fais en fonction. Je sais que là, par exemple, il faudrait quelque chose de brésilien, etc… A un moment, ils sont à la plage, il y a une scène dans un café, sur une paillote, il y avait une musique sur le tournage, pendant la prise de vue. On n'avait pas identifié la musique puisqu'on avait tourné sans s'en soucier. Après, on a mis une musique de chez Koka Media qui était une musique de carnaval, d'été. Elle faisait l'affaire. Mais au moment de mettre à plat tous les droits, je me suis dit que cette musique était bien, mais pas totalement, elle faisait juste le boulot. Je voulais une musique qui mette la scène un cran au-dessus. Alors j'ai cherché pendant une ou deux journées, en écumant toutes les musiques estivales sur Koka Media. Je savais ce que je ne voulais pas. Et puis finalement, j'ai réussi à trouver, et en la mettant elle collait parfaitement. C'était beaucoup mieux.

Pourquoi ne collaborez-vous pas avec un compositeur ?

A.P : Je suis d'accord de travailler avec un compositeur, mais à condition qu'il fasse la musique avant le montage et même dès l'écriture du scénario. J'ai eu une fois une expérience un peu malheureuse avec un compositeur, qui n'a rien voulu savoir, et qui faisait la musique en fonction des images et du montage. Mais moi, j'avais besoin de la musique pour filmer, pour voir un peu ce qu'il y avait dedans. Il en a fait qu'à sa tête et il est venu le jour du mixage en disant qu'il fallait mettre la musique à tel endroit. Mais j'avais monté comme s'il n'y avait pas la musique, j'en avais mis une autre et il n'était pas content. C'était pour une petite séquence d'exercice pour les ateliers d'Emergence. J'ai dit à ce compositeur que c'était nul ce qu'il avait fait, qu'il aurait du présenter la musique avant, d'autant que c'était une musique jazz vraiment pas trop mal, mais il n'y avait plus la place pour cette musique. Quand on l'a posée avec le mixeur, on s'est dit qu'il n'y avait plus la place, la musique prenait trop de place, le film la rejetait. S'il me l'avait apportée avant, j'aurais ajouté une réplique, par exemple le personnage aurait bu du whisky, et aurait dit "Moi ce que j'aime dans la vie, c'est un bon whisky avec du jazz qui craque". Et ça, je l'ai mis dans le nouveau film, car je me suis dit que c'était une bonne idée et il n'y avait qu'une musique qui pouvait me donner cette idée-là. C'est dommage, du coup la collaboration s'est arrêtée là. Cela m'a un peu vacciné, j'ai très peur de ça maintenant, parce que la musique, j'en ai besoin pour faire mon film.

C'est comme de la matière ?

A.P : C'est ça, c'est de la matière. C'est comme si la comédien à la répétition me dit "T'inquiètes pas, mon texte je l'apprendrais pour la prise, mais je ne l'apprends pas aux répétitions". A ce moment-là on ne fait pas de répétitions. J'ai vraiment besoin d'une collaboration et effectivement d'une matière, pour moi ça sert à faire le film. 

Il y a une certaine hétérogénéité dans la musique de vos films, une diversité des styles que la musique préexistante vous permet de créer ?

A.P : Oui, peut-être. A un moment le comédien Vincent Macaigne me demandait ce qu'était la musique de mon film : "il y a beaucoup de musiques, mais c'est quoi ?". Mais je ne pouvais pas lui répondre, lui dire ce qu'est la musique du film. Peut-être un peu de fanfare mais en même temps c'est tellement de tout. 

Vous aimez aussi la grande forme orchestrale, on le retrouve dans les emprunts issus de la musique classique...

A.P : En effet, et je trouve que la musique actuelle est trop petit. C'est pour cette raison aussi que je ne collabore pas avec un compositeur d'aujourd'hui, je n'ai jamais écouté une musique a priori où je me dit "Super ! Allez, on y va !". Ou alors il faut "taper" dans les stars et là je n'ai pas le budget.

Quelles seraient les stars qui vous intéresseraient ? 

A.P : La super star c'est Alexandre Desplat mais je n'aime pas tout ce qu'il fait. Il y a des musiques que je trouve extraordinaires comme "The Ghost Writer" de Polanski. Je trouve cette musique délirante, ou aussi le film "Fantastic Mr. Fox", c'est génial ! Mais de manière générale, dans les premiers, deuxièmes ou troisièmes films français, je trouve que c'est tout petit, mais cela doit être une question de budget. Si on n'a pas l'argent,  si on ne veut pas mettre l'argent dans l'interprétation, dans un orchestre, et bien on se débrouille autrement. Cela dépend aussi des choix que l'on veut donner au film. Me concernant, j'aime bien effectivement qu'il y ait un orchestre, je n'ai pas envie que cela soit juste un peu de piano, sinon je peux le faire moi-même. C'est ça que j'aime bien, par exemple, dans les derniers films de Godard, il y a des choix assez éclectiques et assez grands.

D'ailleurs Godard retravaille la musique lui-même. Quand il travaillait avec Delerue et Duhamel, ou quand il empruntait une musique existante, cela fonctionne de la même manière dans les deux cas : il prend la musique, la coupe à l'intérieur, fait des boucles... C'est aussi lui le musicien. Est-ce que vous vous considérez un peu comme le musicien de vos films ?

A.P : Me considérer comme musicien, je ne sais pas, mais en tout cas je n'ai aucun scrupule à remonter les musiques. Il n'y a pas une musique qui ne soit pas montée dans le film, où l'on ait fait des boucles, pour casser le rythme, ou parce qu'il y a un endroit de la musique qui me plait un peu moins, qui correspond un peu moins aux images. Je n'ai aucun scrupule à vouloir mettre plusieurs couches de musiques les unes sur les autres. Pour moi, c'est comme un plan, je peux le couper. On paie les comédiens, on paie le décor, on paie l'équipe, pour la musique c'est pareil, on paie les droits musicaux et du coup après j'estime que je peux en faire ce que je veux dans le film, ou sinon, il ne faut pas me donner les droits. 


 

INTERVIEW RÉALISÉE À PARIS LE 8 MAI 2013 PAR BENOIT BASIRICO.

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