CODA : un court-métrage sonore et musical

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- Publié le 17-07-2013




Le court-métrage CODA a reçu les prix du public et d'interprétation féminine au dernier Festival Côté Court de Pantin. La réalisatrice Ewa Brykalska dévoile son parcours qui mèle images et sons, tout comme celui du compositeur Grégoire Auclerc-Galland. Rencontre.

Le pitch du film : Le départ d’un professeur vient sonner le glas d’un conservatoire de musique abandonné au milieu d’un quartier défiguré. Au milieu de cette ambiance apocalyptique, deux femmes trouvent encore à partager un moment de grâce.

Pour faire exister ce lieu de musique et ce quartier en travaux, le réalisatrice a conçu tout un environnement sonore, aidée par sa formation initiale dédiée au son. Le compositeur Grégoire Auclerc-Galland s’est chargé de l’adaptation et de l’interprétation des morceaux joués dans le film ainsi que la chanson finale.

Interview de la réalisatrice et du compositeur de CODA

Ewa Brykalska, réalisatrice

Cinezik : CODA est votre premier film ?

Ewa Brykalska : Oui, c'est mon film de fin d'études réalisé au terme de cinq années d'apprentissage à l'INSAS (Ecole de cinéma en Belgique). Quand j'ai reçu le prix du public au Festival de Pantin (juin 2013), j'ai dit que ce film était le résultat de cinq années de discussions et de bières partagées avec les copains. Les écoles permettent des rencontres. La promotion de l'INSAS a permis de confronter plusieurs points de vue sur le cinéma. L'expérience des étudiants a permis de donner des films de fin d'étude qui ont une certaine maturité.

Y a t-il eu dans le cadre de cette formation à l'INSAS des cours sur la musique au cinéma ?

E.B : La première année propose un cours donné par un compositeur russe, Victor Kissin. On devait faire un petit documentaire de trois minutes à partir duquel il nous parlait de musique, il amenait toute une banque de morceaux qu'il mettait sur le film, pour se rendre compte que la musique peut raconter autre chose, que ce soit une atmosphère mélancolique ou un orchestre joyeux.

Quel était votre intérêt musical avant de faire cette école ?

E.B : Avant l'INSAS, j'ai fait trois ans de formation sur le son à l'ENSATT de Lyon. A cette école, on considérait le son comme un art. J'aimais beaucoup ça, mais je me rendais compte qu'il me manquait une chose, et que cette chose était une histoire. En parallèle du son, j'ai donc commencé à faire des films toute seule. La matière sonore en elle-même ne me contentait pas. J'avais besoin d'humanité, de récit... Le son était trop abstrait, à l'écart du monde. J'avais donc besoin de connexion avec le monde, ce qui m'a poussé à entrer dans cette école belge.

Quand vous préparez un film, quelles sont vos premières idées ? Plutôt sonores ou visuelles ?

E.B : Quand je pense à un futur film, j'imagine d'abord l'atmosphère visuelle, puis les plans, puis les sons. Autant je ne peux pas commencer un film sans connaître son atmosphère visuelle, autant je peux le commencer sans savoir quel en sera les sons. Mais j'ai une grande attention envers le domaine du sonore. Mes films ne sont pas réalistes, il y a un grand travail de recréation sonore.

Quel a été ce travail sonore sur CODA ?

E.B : Il y a quatre personnes qui ont travaillé sur le son : l'ingénieur du son et le perchman sur le tournage, puis Grégoire Auclerc-Galland sur les transpositions musicales, et une jeune fille (Agota Slikaite) pour le sound-design. Elle fait de l'électronique. Je lui ai demandé de travailler les atmosphères de chantier et les atmosphères du conservatoire comme des musiques. Encore au stade du mixage elle amenait ses sons. Elle ne s'attendait pas à ce que cela lui demande un tel investissement. Sans être de la véritable musique, je lui disais que les sons devaient pouvoir s'écouter comme des musiques concrètes. L'objectif était de sentir que le conservatoire était encerclé par des ennemis, et sentir une menace avec les bulldozers qui le grignotaient. Au départ, les sons devaient être plus agressifs, au final le chantier est éthéré, lointain.

Il y a aussi les musiques hors-champs, celles jouées dans les salles du conservatoire où se situe le film, comment ont-elles été enregistrées ?

E.B : On a tourné dans une partie délabrée de notre école de cinéma, pas du tout dans le conservatoire où le film est sensé se situer. Donc quand on a tourné, il n'y avait aucun instrument présent au son. On a enregistré en amont plein de musiques en allant se cacher dans les couloirs du conservatoire de musique de Bruxelles. On a mis du temps ensuite à ce que ces musiques ne colorent pas trop le récit, qu'elles ne soient pas trop connotées. On avait des plages de 20 minutes de musique d'étudiants qui répétaient pour un concours. On écoutait cela et on n'arrivait pas à choisir le bon extrait. Il était difficile que cela ne donne pas la musique du film. On était à la frontière entre une musique et une ambiance en terme de nature sonore.

Enfin, il y a dans le film des musiques jouées "IN"...

E.B : Il y a trois moments musicaux : la flûte, le piano puis le chant. Les deux premières scènes ne sont pas faites pour mettre la musique en valeur, la flûtiste ne joue pas très bien, et elle est perturbée par les sons du chantier. Dans la deuxième scène avec le piano électrique, le professeur est en train de déchiffrer le morceau et le comédien ne savait pas jouer. C'est juste un accompagnement. Enfin, la scène de chant est le moment musical clef, le climax du film. C'est un morceau enregistré dans son intégralité. Pendant très longtemps, j'ai chanté dans une chorale et j'étais fascinée par la soliste, éblouie par la beauté de sa voix, d'autant que je ne sais pas chanté comme elle. Donc cette scène du film était un souvenir personnel. Je raconte ce moment d'émotion.

Ce chant a t-il été enregistré en prise directe ?

E.B : Pas tout à fait. Les comédiennes n'étant pas chanteuses professionnelles, tout est rattrapé au montage. On a enregistré les répétitions de chant et on a pu choisir parmi ces enregistrements la meilleure interprétation. Ce n'est pas le chant capté au moment du tournage. Ce n'était ainsi pas évident d'obtenir une parfaite synchronisation mais ça marche. On a eu de la chance. Ce qui a aidé c'est qu'elles avaient la musique qui se jouait dans une oreillette.

Pourquoi avez-vous fait le choix de cette chanson ?

E.B : "Dixit Dominus" de Haendel raconte un moment de résistance, Jésus qui boit au torrent, et qui reprend la marche. Le film parle d'une résistance à un ordre répressif. Je trouvais beau que ces deux femmes chantent cette chanson au milieu de ce chantier qui va tout démolir. Pour le choix de Bach à la flûte, c'est un morceau "très conservatoire. C'est aussi en fonction des interprètes. Dans une économie de films d'école, la flûtiste est une copine de classe, et elle savait jouer ce morceau.

Comment s'est faite la rencontre avec Grégoire Auclerc-Galland qui s'est chargé des transpositions musicales ?

E.B : La rencontre s'est faite pour le tournage. J'ai pris des cartes de visites qui traînaient à l'école sur lesquelles il y avait marqué "compositeur". Je l'ai donc appelé en lui indiquant qu'il n'y aurait pas de partie créative à proprement parlé, mais que j'avais besoin de lui pour coatcher les comédiennes. Il les a donc entraînées. Pour le morceau final, il a été jusqu'à tricher avec un ordinateur pour ajuster leur voix. Il y a donc eu aussi de sa part un travail virtuel à partir des prises. Son travail était également une transposition au piano de la partition.

Comment envisagez-vous la collaboration avec un compositeur, en imaginant une éventuelle implication plus créative pour un futur film ?

E.B : Même si le cinéma est une œuvre collective, tu dois quand même arriver en tant que réalisateur avec des intentions fortes. Et en musique, cela est orienté sur le choix de l'instrument, est-ce que c'est tonal ou atonal, est-ce que c'est pop ou pas... Je pense que donner des références aident. Si on laisse le champ libre, toute proposition du compositeur sera un échec par rapport aux envies du réalisateur. Ou alors le compositeur verbalise ses intentions avant de les livrer musicalement, pour validation. Car quand il conçoit sa musique, le compositeur est dans le sensible, il est difficile de fustiger une proposition sans le vexer. Ce n'est pas bon dans le rapport humain de créateur à créateur. Il est donc important de discuter avant. Un réalisateur doit savoir orienter les collaborateurs vers son désir.


Grégoire Auclerc-Galland, compositeur

Quel est votre parcours ?

G.A : J'ai fait des études de cinéma à l'Université puis des études de musique. Composer de la musique de film était une manière simple de lier les deux choses. Je continue également des projets pour des groupes ou le théâtre. Je fais aussi de l'illustration sonore.

Qu'avez-vous appris en tant que musicien à l'Université ?

G.A : J'ai appris la place du compositeur par rapport au réalisateur, comment on pouvait avoir besoin de musique pour illustrer un propros, ou comment apporter une autre voie. J'ai aussi réaliser des court-métrages pour lequels je composais (ou pas) la musique et pour lesquels j'ai aussi utilisé de la musique de source. Je comprend ainsi les enjeux du métier, et les difficultés à dialoguer avec un réalisateur, la nécessité de trouver les mots communs.

Quelles ont été vos premières musiques pour le cinéma ?

G.A : J'ai fait la musique d'un premier long métrage français, JE SUIS VENU POUR ELLE (de Ivan Taïeb, 2007) mais ce film n'est jamais sorti. J'ai fait la musique alors que le film était en mixage. Mon premier film qui est sorti est également un long métrage, LE 4ÈME MORCEAU DE LA FEMME COUPÉE EN TROIS (de Laure Marsac). Il a eu des problèmes de production, il est sorti trois ans après mon travail musical. La réalisatrice est ma soeur. Elle m'avait demandé une bossa nova. Je joue de la guitare, donc c'était facile d'en proposer une. J'ai aussi fait du piano pour ce film. Après un premier montage, elle a écouté mes musiques et un extrait (au piano) lui a plu, elle l'a mis partout dans le film. J'ai repris ce même bout de musique pour en faire des variantes uniquement au piano solo. Entre temps, j'ai fait des court-métrages, ce sont surtout ces derniers qui ont été vus.

Y a t-il des différences entre des courts et des longs-métrages ?

G.A : Les longs que j'ai faits étaient des petits budgets. Pour le premier long, j'ai tout fait chez moi. Donc il n'y a pas trop de différences avec les courts.

Comment s'est faite la rencontre avec Ewa Brykalska ?

G.A : J'habite à Bruxelles depuis deux ans. Quand je suis arrivé, je ne connaissais personne, donc je suis entré en contact avec des élèves de dernière année des écoles de cinéma. Elle en faisait partie. J'ai aussi travaillé avec un autre élève, pour un film mi fiction mi docu, mais au final il a enlevé toutes mes musiques, il a renoncé à en mettre. J'ai aussi aidé une élève en cours de théâtre pour un spectacle chanté.

Quel a été votre travail sur CODA ?

G.A : La première difficulté était de réussir la séquence de fin où les deux comédiennes chantent. Il fallait qu'on puisse y croire. C'est un travail sur l'interprétation. J'inventais des exercices pour les aider à assimiler le morceau. Comme ce ne sont pas des chanteuses, elles n'avaient pas de technique. Je devais m'adapter. La réalisatrice savait dés l'écriture du scénario qu'elle voulait utiliser cette musique de Haendel. J'en ai fait un arrangement simplifié.

Avez-vous joué d'un instrument pour ce film ?

G.A : J'ai juste fait le clavier électronique joué par le professeur dans une scène, avec ce son un peu déglingué, et aussi le piano de la scène chantée.

Que pensez-vous des relations entre les réalisateurs et les compositeurs ?

G.A : Certains sont frileux et préfèrent préparer en amont tout un choix de musiques de source, ce qui me met des bâtons dans les roues, et m'empêche de m'exprimer. D'autres personnes m'ont laissé carte blanche, même si dans ce cas j'aime bien quand même avoir une ligne directrice car sinon c'est trop large.

Vous est-il arrivé de faire une musique à l'image ?

G.A : Je n'ai jamais fait de travail précis à l'image comme pour un film d'animation, mais il m'est arrivé de devoir m'adapter au montage, ce fut le cas sur mon premier long.

Quelle est la situation du cinéma en Belgique pour un compositeur ?

G.A : Le cinéma wallon est pauvre. Il y a davantage d'argent dans la partie flamande où pleins de films se font. Mais je n'y ai pas accès car je ne parle pas flamand, je devrais m'y intéresser. C'est très cloisonné. Les cinéastes flamands et wallons ne se mélangent pas.

Quelle est votre actualité ?

G.A : Je fais surtout en ce moment des choses pour moi : du rock ou du jazz, mais j'ai envie de revenir au cinéma.

Quels sont les compositeurs de musique de film que vous appréciez ?

G.A : On ne peut pas juger le travail d'un compositeur de musique de film. Quand je remarque le travail de quelqu'un et que j'essaie d'écouter d'autres projets, je suis souvent déçu. La musique marche ou pas sur un film, mais il faut écouter l'œuvre de concert d'un compositeur pour vraiment le connaître. J'aime en tout cas beaucoup Antoine Duhamel pour les films de la Nouvelle Vague. Et plus récemment, j'ai aimé ce que fait Carter Burwell.

Interviews réalisées à Paris et Bruxelles en juin 2013 par Benoit Basirico

 


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