Claude Duty : Par amour des chansons

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- Publié le 17-07-2013




Claude Duty signe avec CHEZ NOUS C'EST TROIS son troisième long métrage après FILLES PERDUES CHEVEUX GRAS et BIENVENUE AU GITE. Chaque film témoigne d'un même amour pour la chanson, marqué par la colllaboration avec le compositeur Valmont. Portrait.

 

Interview Claude Duty

 

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Cinezik : Quel parcours aviez-vous avant de réaliser des films ?

Claude Duty : Au départ, j'étais graphiste. Je faisais des dessins publicitaires sur papier. Mais je me suis toujours intéressé au cinéma depuis mon enfance. Je fréquentais un ciné-club dynamique au lycée Corneille de Rouen. C'étaient deux chemins parallèles. J'avais un métier dans le graphisme mais j'ai toujours eu envie de faire des films. Le cinéma était une utopie totale. J'ai commencé à faire des films après qu'on m'ait offert une caméra. C'était pour m'amuser, avec des films auto-produits, sur mes vacances, mes loisirs, avec mon argent. Puis cela a pris des proportions jusqu'à envahir toutes mes activités.

Avec cette passion pour le visuel, comment est venu votre intérêt pour la musique ?

C.D : Dans les arts graphiques ou dans l'animation, il n'y a pas de sons directs, donc on est très vite obligé de penser à la bande son pour la créer. Plus que la musique, j'aime les chansons, la variété. Mes souvenirs de cinéma sont liés à des souvenirs musicaux. Mon premier souvenir est la bande annonce de "Showboat" (Ndlr : comédie musicale de George Sidney, 1951). Je n'avais pas l'âge d'aller au cinéma, c'est la seule chose que j'ai vue. Plus que par les films eux-mêmes, j'ai eu très tôt l'envie de faire du cinéma par la vision de bande annonces, de génériques et de publicités (qu'on appelait "réclames"). J'ai toujours aimé les génériques avec des lettres qui dansent. J'ai d'ailleurs, au générique de "Bienvenue au gîte" (2003), voulu rendre hommage à Saul Bass (Ndlr : concepteur de génériques pour Hitchcock, Preminger, Scorsese). Et dans "Chez nous c'est trois", on retrouve des animations graphiques sur les images.

Avant de réaliser votre premier long-métrage en 2002 ("Filles perdues, cheveux gras") contenant des moments chantés, vous avez eu une riche filmographie de court-métrages, dont "La Pucelle des zincs" en 1995 qui était déjà un film musical...

C.D : En effet, c'est un court-métrage entièrement musical, sans dialogues, entièrement chanté. La musique est composée par un compositeur rouennais (Loïc Louvel). Le film conte la vie de Jeanne d'Arc au travers d'une serveuse de bar. C'est un parallèle de vie, d'autant que les bars à Rouen empruntent leur nom des étapes de vie de Jeanne d'arc. On a pensé à la musique dés le scénario en essayant de convoquer plusieurs genres musicaux, chaque bar correspond a un genre musical. Ainsi, lorsque j'ai fait "Filles perdues, cheveux gras", j'ai déjà eu l'expérience d'un film musical avec des chansons qui préexistent au film et du playback.

De quelle manière faites-vous le choix des chansons présentes dans vos films ?

C.D : J'aime beaucoup les chansons et j'en mets dans mes films, mais pas comme on en met souvent aujourd'hui, en achetant les droits de chansons populaires, comme des valeurs sûres qui donnent au film un vernis. Je le fais avec une ou deux chansons, comme dans "Bienvenue au gîte" avec "Don Quichotte" de Magazine 60, dans "Filles perdues, cheveux gras" ou avec la chanson de Catherine Lara dans "Chez nous, c'est trois". Mais c'est un mélange car à chaque fois, il y a de la musique originale. Je ne fais pas d'abus de chansons de variété.

Comment s'organise la présence des chansons dans "Filles perdues, cheveux gras" ?

C.D : Chaque fille a sa chanson. Puis elles chantent ensemble deux thèmes. Le début du film convoque directement trois chansons où chaque personnage est situé musicalement. Ensuite on s'en amuse, lorsque Olivia Bonamy veut en chanter une autre, sa sœur la fait taire en disant "tu nous fais chier avec tes chansons". C'était comme un gag. Puis elles reviennent plus tard comme une surprise.

On peut penser à "8 femmes" de François Ozon où chaque actrice a sa chanson...

C.D : "8 femmes" est sorti la même année que mon film. On était nommé tous les deux aux César. Le principe de Ozon était de reprendre des chansons existantes, alors que dans mon film elles sont composées par Valmont. Quand je fais chanter les personnages, j'aime bien que ce soit des chansons originales. Dans "8 femmes" ou "On connaît la chanson", il y a trop d'utilisation de la variété par les acteurs eux-mêmes. Cela me dérange un peu. J'ai pourtant toujours eu le fantasme d'un film musical autour des chansons de Françoise Hardy, mais je ne l'ai pas encore fait.

Que pensez-vous des comédies musicales de Jacques Demy ?

C.D : Je ne voulais pas du tout faire du Michel Legrand ou du Demy. Dés qu'on fait chanter des gens dans un film, on nous cite Jacques Demy, c'est l'arbre qui cache la forêt. C'est vrai que c'est un maître, mais sa place paralyse la production française. Qui dit comédie musicale en France dit Demy. C'est dur de sortir de ce carcan. J'ai donc fait en sorte que la musique n'y ressemble pas. Aux États Unis, il y a des chefs d'œuvre absolus. Quand on essaie de faire une comédie musicale en France, on n'a pas le budget, et les comédiens français n'ont pas tous la formation des anglo-saxons qui savent danser et chanter. Il faut donc être modeste, faire des petits clin d'œil plutôt que de vouloir à tout prix singer les maîtres, car le modèle est énorme. En faisant des choses à notre niveau, on peut faire quelque chose d'original. Dans "Filles perdues, cheveux gras", on savait qu'il était dur de les faire danser, car on n'avait pas le temps de préparation. Quand elles jouent au ballet, c'est comme des petites filles qui s'amusent aux princesses. Ça s'arrête là. On n'a pas essayé de faire une chorégraphie hollywoodienne.

Comment s'est faite la rencontre avec le compositeur Rémi Le Pennec (Valmont) ?

C.D : C'est BMG qui m'a présenté pour "Filles perdues, cheveux gras" plusieurs compositeurs susceptibles de marcher sur ce type de film. Ils m'ont fait rencontrer Valmont qui avait fait un album chez eux. Ils m'ont fait écouter des chansons qu'il avait écrites qui m'ont beaucoup plus. C'était la même chose pour les paroles. Pour ces chansons très "second degré", on a cherché quelqu'un qui vient du monde de la pub et on est tombé sur Pierre-Dominique Burgaud. Il n'avait alors jamais écrit de chansons. Il a écrit ses premières chansons pour mon film. Depuis il s'y consacre davantage. La mayonnaise a très bien pris entre le scénariste Jean-Philippe Barrau, le réalisateur que je suis, Valmont et Pierre Dominique. Les chansons du film ont très bien marché, pas forcément sur les radios mais sur le net, elles ont circulé. Puis on a retravaillé ensemble pour l'ambiance musicale de "Bienvenue au gîte". Pour "Chez nous, c'est trois", ils sont venus plus tard car le film est moins musical que les précédents.

En tant que réalisateur, comment transmettez-vous vos intentions musicales au compositeur ?

C.D : Pour "Filles perdues, cheveux gras", Rémy m'avait confié un album. J'ai pu l'écouter avec mon scénariste et choisir des chansons en fonction de l'ambiance des séquences. On a ainsi demandé à Remy de faire des équivalences. Pour les paroles, on en avait écrites avec mon co-scénariste mais elles n'étaient pas bien, donc quand on a rencontré Pierre Dominique, on lui a expliqué où allaient les chansons, leur état d'esprit, mais on ne lui a surtout pas donné les textes qu'on avait écrits. Au final, il a très bien compris ce qu'on voulait. Il a pu sublimer ce qu'on n'a pas su faire. Parfois, avec la monteuse, on essaie de placer des musiques approximatives sur les images, mais cela peut devenir vite un boulet pour le compositeur. C'est délicat comme démarche, il faut être prudent sur ces utilisations.

N'est-il pas préférable de travailler avec le compositeur en amont du montage ?

C.D : Il est rare d'avoir un compositeur en amont pour composer des musiques à utiliser au montage. Les financiers ont souvent peur quand on leur parle de musique au moment de concevoir le budget. C'est pour cela que la comédie musicale est compliquée à monter en France. Des factures doivent être réglées avant même d'avoir tourné une seule image. Pour eux, c'est mettre la charrue avant les bœufs. C'est pour cela qu'on fait appel à des musiques sous forme de maquette. Il faut lutter contre cela mais l'économie du cinéma ne nous y aide pas.

Enfin, quel a été le travail musical sur "Chez nous c'est trois" ?

C.D : On a été très économe sur ce coup, on a fait le stricte minimum. On a fait ce film dans l'urgence, sans énormément d'argent. Avec la monteuse, on a réparti les moments où on voulait insuffler de la musique. Valmont s'est plié à l'exercice, avec une chanson à la fin, un thème récurrent, et une phrase musicale appartenant au film réalisé par le personnage (le film dans le film). Quand un réalisateur présente son film en avant-première, il part pendant la séance, et pour savoir quand il doit revenir il est guidé par le son du film. Dés qu'on entend les premières mesures du générique de fin depuis le bar d'à côté, on va dans la salle pour faire le débat. C'est une musique qu'on ne supporte plus tellement. Je voulais qu'il y ait ce côté lancinant. Je voulais que le public comprenne ce que vivent les réalisateurs.

Comment s'est intégrée la chanson "Nuit magique" que chante Noémie Lvovsky ?

C.D : J'aime toujours mettre au moins une chanson dans un film car elle s'impose à l'écriture. En général, je sais que je veux une chanson mais je ne le dis pas. On tourne les plans puis je viens voir la monteuse avec la musique. Parfois on n'hésite entre deux morceaux et on voit lequel fonctionne le mieux. Pour "Nuit magique", j'ai osé le dire très tôt car on était en terrain de connivence. Noémie aime les chansons, même si elle n'aurait pas choisi celle-ci. Au départ, je voulais la version originale de Catherine Lara, puis on s'est rendu compte qu'il était mieux de faire une version originale. L'idée de Valmont était de la transformer. Je lui ai au départ demandé d'être fidèle à l'original mais il a préféré la refaire. C'est finalement une bonne idée de s'en démarquer car on ne la reconnaît pas d'emblée. Il faut attendre d'être vraiment dans la chanson pour la reconnaître. Cela fait un effet de surprise qui tient le spectateur en haleine. C'est mieux que d'avoir balancer telle quelle la chanson.  

Interview réalisée à Paris le 27 juin 2013 par Benoit Basirico

 

 


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