Michel Cusson : la star québécoise de la BO !

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- Publié le 16-03-2014




Michel Cusson est un compositeur et musicien québécois internationalement reconnu, fondateur du groupe de jazz UZEB. Depuis 1992, il compose régulièrement de la musique de films. En 2002, sa musique pour "Séraphin: un homme et son péché" est un grand succès discographique en emporte le Jutra. En 2012, il participe à la série télévisée à succès "Unité 9". En 2014, il est nommé aux Jutras pour "Rouge Sang" de Martin Doepner.

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Interview Michel Cusson

"Je pense que celui qui a une longévité, qui sait composer, c'est quelqu'un qui écrit des mélodies. C'est là que tu vois la différence."

Cinezik : Avant de faire de la musique de film, quel était votre parcours de musicien ?

Michel Cusson : J'étais musicien de jazz fusion avec le groupe UZEB. On a tourné dans plus de 100 villes dans les années 80, de l'Est à l'Ouest. On était assez connu.

(voir la vidéo ci-contre d'un concert du groupe où l'on aperçoit Michel Cusson).

Comment est né votre désir de vous tourner vers le cinéma ?

M.C : C'est en France où j'ai eu le déclic de faire de la musique de film. A Paris dans le 13ème, j'écoutais la musique du film "Camille Claudel". C'est vraiment là que je me suis dit que c'était ce que je voulais faire. Je trouvais que la musique pour l'image avait une dimension supplémentaire par rapport à la musique de scène. Elle demande une certaine réflexion pour illustrer et pour faire ressortir des émotions. Cela me fascinait.

Quand aimez-vous intervenir sur un film ?

M.C : En général, j'attends que le film soit terminé. C'est l'image qui inspire ma musique. Même si on peut me décrire le projet ("une certaine mélancolie, ça se passe dans un centre-ville, il y a trois femmes, un chien..."), avec ce type d'informations je suis capable de composer quelque chose. C'est une bonne base de discussion.

Préférez-vous un réalisateur qui sait exactement ce qu'il veut, ou avoir une carte blanche ?

M.C : La Carte Blanche peut être intéressante. J'aime le défi de devoir structurer quelque chose avec rien. Le film est là et il faut gérer, faire de bons thèmes, avec des émotions qui reviennent. Il faut se laisser aller. Ce n'est pas quelque-chose de réfléchie. C'est très instinctif. Je regarde une image et  je vois assez rapidement ce qu'il faut en sortir.

Sur ROUGE-SANG (de Martin Doepner, sorti au Québec le 1er février 2013, musique nommée aux Jutras 2014), quelle a été cette intuition ?

M.C : Le réalisateur m'a donné de bonnes pistes avec des chansons irlandaises, puisque des soldats britanniques et irlandais chantent. J'ai pu réarranger le thème "À la claire fontaine". Il y a un côté minimaliste puisque c'est un huis clos, il fallait quelque chose d'assez simple, qui suive le personnage principal.

La musique dans ce film n'est pas présente tout le temps. Avez-vous participé au choix des emplacements musicaux ?

M.C : Je vous avoue que j'en mets toujours un peu plus et le réalisateur coupe. On ne peut connaître le déroulement dramatique de tous les éléments qu'au mix final. Je donne donc au réalisateur la liberté de retirer de la musique. C'est un échange tout à fait sain. Au bout du compte, c'est le réalisateur qui décide ce qui est à prendre ou à laisser, qui connaît le bon dosage.

Lorsque les irlandais jouent du violon, est-ce que vous avez participé à ce moment musical ?

M.C : Oui, on a sélectionné une quinzaine de morceaux irlandais que j'ai réarrangés et que le réalisateur a enregistrés directement sur le plateau. C'était du direct. Il voulait que ce ne soit pas parfait, avec un côté naturel. Il y a une petite guitare bolivienne. Il y avait un côté plus fragile qu'une guitare médiévale avec des cordes de nylon. C'est une guitare qui traînait chez moi depuis 4/5 ans, je m'en suis servi. C'est assez minimaliste, je n'avais pas envie de tomber dans un truc hollywoodien. J'ai essayé d'autres instruments comme une viole à roue, mais ça n'a pas fonctionné. Pour aboutir au résultat, je fais des essais à gauche et à droite.

Par ailleurs, vous avez une carrière internationale, est-ce qu'il est aisé pour un québécois de travailler aux Etats-Unis voisins ?

M.C : J'ai fait surtout des musiques avec l'Angleterre, Israël, quelques-unes avec les USA. Mais pour travailler avec les USA, il faut aller sur place. Je n'ai pas vraiment poussé là-dessus, parce que j'ai une longue carrière complètement parallèle. J'ai cinq spectacles qui tournent tous les jours, notamment à Aboudabi, en Chine, à Hawaï... Je ne peux pas faire en même temps une carrière hollywoodienne. Et puis je ne travaille pas seulement pour le cinéma, je travaille aussi beaucoup depuis des années dans la télévision. Au Québec, on n'est pas spécialisés. Ma spécialité est d'être multidisciplinaire. Le fait d'avoir fait du jazz m'a donné un vocabulaire assez large. Et ma curiosité m'a poussé à faire pleins de styles différents. Je peux en même temps approfondir une émotion ou un style si je le veux. Par exemple, le spectacle que j'ai fait à Aboudabi existe depuis 10 ans. La princesse voulait un contenu arabe. J'ai alors pris tout le spectacle pour en garder le squelette, et en changer les mélodies, plus orientales. Il faut pour cela une certaine connaissance musicale. Mon spectacle là-bas est à l'affiche tous les jours. A Hawaï, il est à l'affiche depuis 14 ans. J'en ai fait plusieurs comme ça. Je considère ces spectacles comme un film vivant. Ca bouge tout le temps.

Quel est votre travail pour la télévision ?

M.C : On produit au Québec de bonnes séries télévisées. Je m'occupe par exemple d'une série qui s'appelle UNITE 9. C'est le plus gros succès actuel pour la population du Québec, avec 24 épisodes par année. J'en suis à l'épisode 46. Je travailles dessus toutes les semaines.

Vidéo ci-contre : partition au piano dans la série UNITE 9.

L'économie est-elle la même à la télévision québécoise que pour le cinéma ?

M.C : La télé, c'est moins de budget. Mais ce n'est pas un problème. La matière première reste l'histoire avec des personnages. C'est une émotion qu'il faut sentir, et trouver le moyen de l'illustrer. Tu me donnes n'importe quoi, une cuillère, une tasse, je vais te créer quelque chose. Il va se passer quelque chose à l'image. Je suis dans une chambre d'hôtel, j'ai un banjo, je vais faire quelque chose avec pour illustrer. Tu n'as pas forcément besoin de beaucoup de mains, ni d'un orchestre symphonique.

Quelle est votre approche de l'électronique ?

M.C : Dans ROUGE SANG, il n'y a pas beaucoup d'aspects électroniques. C'est surtout organique. Il est rare que je prenne des samples. Je travaille à partir d'instruments réels mais je les retravaille ensuite. Par exemple, à partir du violoncelle, je crée des tensions, je le manipule. Cette démarche est beaucoup plus riche que d'utiliser des samples que tout le monde a. Je suis quand même de la vieille école, je peux composer au crayon avec un simple piano.

Est-ce que vous travaillez avec d'autres musiciens ?

M.C : Parfois je co-compose. Pour MAÏNA (de Michel Poulette, sortie au Québec le 21 mars 2014), j'ai travaillé avec un autre compositeur de vingt ans plus jeune que moi : Kim Gaboury. En toute humilité, je lui ai montré comment fonctionne la musique à l'image. Il vient du rock électronique. Il ne lit pas la musique. Il arrive avec une approche différente. Ce n'était pas évident pour travailler ensemble, mais je trouve cela intéressant dans certains projets. On se relance la balle. Je ne prends vraiment rien pour acquis. Ce film se passe il y a 600 ans chez les Inuits. Quel genre de musique mettre dessus ? Une  flûte, une guitare, la neige à l'infini. C'est un beau défi !

Vous êtes un peu le Hans Zimmer québecois ?

M.C : Dans un certain sens oui. Je travaille énormément, ça aide d'avoir des équipes. Mais le but c'est surtout dans le sens d'un échange. Je ne peux pas être tout seul dans mon coin tout le temps.

Que pensez-vous de l'évolution de la musique de film ? Quels compositeurs appréciez-vous ?

M.C : Il y a eu une époque faste, mais je trouve qu'il y a désormais beaucoup moins de films à grand orchestre. Ce sont de plus en plus des sons électroniques. Je pense à Alexandre Desplat, qui est bon à partir de choses simples. Au Québec aussi il y a de bons compositeurs, mais plusieurs sont morts récemment, comme Jean-Marie Benoit (Ndlr : qui travaillait avant avec le réalisateur de MAÏNA).

Y a-t-il un réalisateur avec lequel vous êtes dans une fidèle collaboration et construisez un tandem ?

M.C : Il y en a eu plusieurs mais parfois ils arrêtent de filmer ou ils déménagent. Je peux citer Charles Binamé, réalisateur de SÉRAPHIN: UN HOMME ET SON PÉCHÉ (2002), c'est le film le plus vendu au Québec. C'est un film historique, avec un orchestre de chambre et un thème de romance, d'espoir, assez triste. La musique a eu beaucoup de succès. Les gens m'identifient beaucoup à ça. La chanson de générique est interprétée par Isabelle Boulay. Les gens la chantent dans les mariages. Je pense que celui qui a une longévité, qui sait composer, c'est quelqu'un qui écrit des mélodies. C'est là que tu vois la différence. Mais il est rare de faire un film où tu peux développer une mélodie que les gens retiennent. Cela arrive une fois tous les 10 ans.

Entretien réalisé à Montréal en février 2014 par Benoit Basirico
Dans le cadre des Rendez-vous du Cinéma Québécois 2014
Merci à Alice Mazé pour la retranscription

 

 


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