Jurassic World : Giacchino rend hommage à John Williams

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Analyse piste par piste, par Camille Brunel

- Publié le 09-07-2015




Jurassic World par Giacchino est un hommage complet à John Williams, toutes périodes confondues, un véritable medley du maître. Analyse piste par piste de la BO.

Préambule

En 2005, ma copine a voulu me faire une surprise en commandant sur Amazon la bande-originale du Monde Perdu de Steven Spielberg. Lorsqu'elle me l'a offert, on s'est rendu compte qu'elle s'était fait avoir : les types lui avaient fait parvenir la bande-originale du jeu vidéo pour "Megadrive" plutôt que celle du film. Un peu déçu, je l'ai rangée et ne l'ai jamais vraiment écoutée - j'aurais dû. Cette bande-originale a probablement gagné en valeur aujourd'hui : elle était signée Michael Giacchino, qui signait la première bande-originale de jeu vidéo composée pour orchestre ! Inconnu à l'époque, mais déjà repéré par le maestro John Williams, il n'aurait sans doute jamais cru dans ses rêves les plus fous qu'il serait, en 2015, à la tête de l'orchestre qui accompagnerait le retour du T-Rex sur les écrans pour "Jurassic World". Une chose est certaine : il est à la hauteur de la tâche.

Analyse piste par piste de la BO.

Bury the Hatchling : Tout commence par quelques notes au cor, toujours, comme le thème de "Jurassic Park". A l'époque de "Jurassic Park" cependant, ces quelques notes avaient quelque chose de féérique : ici, on est d'emblée dans quelque chose de plus menaçant, avec l'arrivée de ces chœurs terrifiants, sorte de cri unique venu du fond des âges, que John Williams faisait intervenir lui aussi (cf. Opening titles). Le génie de Giacchino, ici, réside dans cette intro à la flûte traversière qui prend tout de suite la relève. Au fond des âges préhistoriques succède soudain la légèreté de l'instrument à air, connotant à la fois les oiseaux (dont les dinosaures sont supposés être les ancêtres) et l'intelligence vive propre aux bêtes recréées. Sur fond de chœur, on entend ensuite une première version du thème que l'on réentendra souvent par la suite.

The Family that strays together : le film commence dans la neige, dans le Wisconsin, aussi loin que possible du Costa Rica et de ses îles. Même chose côté musique : on est ici dans la petite mélodie mignonne de comédie familiale, avec beaucoup de harpe, de flûtes, de violons, assez éloignée du film catastrophe qu'on attend. Assez facile mais, comme c'est Giacchino, toujours très joli.

Welcome to Jurassic World : Et l'on enchaîne d'emblée sur le thème de John Williams, rejoué aussi fidèlement que possible - avec peut-être, encore, une importance accrue accordée au son des flûtes traversières. Le thème, sirupeux pour les mauvaises langues, grandiose pour les autres, est joué au rythme parfait, sans modification sensible par rapport au morceau d'origine. Tout est dans le crescendo jusqu'au moment où le thème est joué pour de bon aux trompettes, soutenu par les chœurs, jusqu'à cette folle descente de contrebasses accompagnant le final, juste avant la fin. Ce qui compte ici, c'est qu'avec ce thème original joué in extenso dès les 10 premières minutes du film, Steven Spielberg (producteur exécutif) ne refait pas l'erreur fatale commise sur "Indiana Jones 4", où le public attendait la marche des aventuriers avec impatience et n'y avait vraiment droit... qu'au générique de fin !

As the Jurassic World turns : Retour du thème entendu dans la première piste, avec un effet de distorsion simulé aux cordes, assez joli, suggérant que derrière la mélodie principale, quelque chose de « tordu » se joue - c'est exactement l'histoire du film. On embraye aussitôt sur un nouveau thème composé par Giacchino, tout en trompettes réjouies, en chœurs contents, on se croirait presque dans l'ouverture de "Dinosaure" par James Newton Howard. Le danger inhérent au projet du parc, représenté au début de la piste, est recouvert par une épaisse couche de vernis joyeux. Petite pause, puis retour au thème sautillant qui correspond à la découverte du parc par Ty, le plus jeune des deux héros. Toujours beaucoup de flûtes ! Par-dessus les quelques notes sautillantes, on garde quelque chose de très ample. A 3'34, première variation un peu étouffée, très jolie, de Giacchino sur le thème composé par John Williams. A 4'30, bel effet de « gazouillis » côté flûtes, qui s'accentue jusqu'à devenir caricatural lorsqu'à 4'41, l'effet gazouillis en question devient clairement excessif. L'effet caricature - qui annonce l'idée que le parc n'est pas viable, est voué à crouler sous son excès d'ambition - disparaît lorsqu'à 4'58, Giacchino rejoue l'un des thèmes de Williams de toutes les forces de l'orchestre, accentuant à fond les riffs de contrebasses qui soutiennent le thème. Le morceau s'arrête, mais dans notre tête la mélodie embraye sur la courte marche qui terminait « Journey to the Island », de Jurassic Park, et qui correspondait au trajet en jeep jusqu'au QG !

Clearly his first rodeo : Premier morceau vraiment menaçant. Etonnant de constater comme Giacchino imite les effets de trompettes incandescentes de John Williams, ses effets de harpe pour étendre le suspense aussi. A 1'52, lorsque la mélodie revient après quelques instants de flottement, on croirait entendre le thème d'Irina (Irina's theme) composé par Williams pour "Indiana Jones 4". Jurassic World a pourtant peu à voir avec cet autre 4e volet au funeste destin critique, mais Giacchino a probablement pioché un peu partout dans le répertoire de Williams. Encore une fois, la musique passe en un clin d'œil des thèmes les moins rassurants aux petits jingles mignons des pérégrinations des deux héros à l'intérieur du parc. On retrouve les gazouillis caricaturaux, ici accompagnés d'un tapis de cordes sautillant caricatural lui aussi.

Owen you nothing : On pense ici beaucoup à la musique composée par Williams pour les tergiversations amoureuses d'Indy et Willie Scott dans "Indiana Jones et le Temple maudit" (Nocturnal activities !). Le hautbois connote d'une certaine manière la chaleur, à travers une mélodie très légèrement arabisante, et si chaleur il y a, c'est bien sûr qu'on est ici dans la rencontre entre Owen et Claire. Très belle partie de flûte traversière, encore ; et la piste s'achève sur un nouvel envol grandiose.

Indominus Wrecks : Morceau dédié à l'Indominus Rex, énorme carnivore, et l'hypothèse s'affirme : la flûte traversière, ici, renvoie à l'intelligence, à une sorte de légèreté qui n'est a priori pas associée aux lourds dinosaures - de la même manière qu'on n'y associe pas non plus l'idée d'intelligence. Retour du thème. De la même manière, le début de la véritable menace ici est apportée par un réveil du xylophone ; après quelques retours du thème comme caché derrière les arbres, discret, de même que l'on croit voir se réveiller les cordes à un moment donné alors que ce n'est qu'un leurre. Ce n'est qu'après une nouvelle minute d'attente que le Giacchino des scènes d'action sort à son tour de son sommeil : magnifique riff de violons à 3'31, comme on peut en retrouver sur les deux derniers "Star Trek" (Ship to Ship, chef-d'œuvre de Star Trek into Darkness !), par exemple. Le riff s'excite, accélère, monte dans les aigus, puis les cuivres prennent le relais, et l'on se retrouve à nouveau dans quelque chose de beaucoup plus proche du John Williams des origines. Giacchino, à n'en point douter, est avant tout le maître des riffs endiablés aux cordes.

Gyrosphere of influence : Retour au grand thème, composé par Giacchino, du parc en train de tourner. On pourrait croire par moments que le tout va cesser d'émettre et devenir plus sombre, mais à chaque fois quelque chose de plus sautillant revient forte. Au milieu du morceau cependant, les sautillements s'arrêtent pour de bon. Le mélange de cordes assourdies et de xylophone angoissant évoque beaucoup le John Williams du premier épisode. Dès que les cordes se remettent à parler, là, en revanche, retour de Giacchino.

Pavane for a dead apatosaurus : Chaque morceau, ici, contient un jeu de mot, fidèlement à la tradition des scores signés Giacchino. Noter du coup la référence à la Pavane pour une infante défunte, de Ravel, que l'on entend dans de nombreux films hollywoodiens (dans la scène du bal de "Dark Knight Rises", par exemple !). Le titre y fait vraiment référence, mais pas le reste, car la mélodie reste franchement proche de ce qu'aurait pu faire un John Williams tranquille. Avec le cor, on penserait presque au requiem composé pour les soldats tombés d'"Il faut sauver le Soldat Ryan", à ceci près qu'il s'agit ici de dinosaures : après "War Horse", "War Dinosaur" ?! Lorsque c'est le piano qui prend le relais, on entend plutôt les derniers morceaux de "Mission : impossible 3" (Reparations). Cette mélodie un peu triste au piano est, bien-sûr, encore une variation sur le thème original de John Wiliams. A 3'22, nouvelle variation dans la tonalité de l'album : on passe soudain à quelque chose de plus militaire, avec notamment l'arrivée des roulements de caisse claire (et pour le coup on est en plein dans une variation, encore calme, du célèbre Factory Rescue de "Mission : impossible 3" !).

Fits and jumpstarts : Dernière piste à être vraiment tranquille, et qui s'emballe assez vite. A 00'57, la montée de cuivres indique qu'on est clairement passé de l'autre côté de la barrière, de l'autre côté de l'attaque du T-Rex, pour parler comme dans "Jurassic Park", qui était un film au scénario complètement binaire. Piste assez courte, qui ne vaut clairement que pour ce passage-là, justement.

The Dimorphodon shuffle : Ici les quelques petites notes de hautbois évoquent les vélociraptors façon John Williams du premier épisode (citation de Eye to eye en particulier, morceau de Williams accompagnant cette scène où Muldoon et Elie Settler sont pris en chasse par les raptors) à ceci près qu'ici, ce sont les ptérosaures qui attaquent, véritables « nouvelles stars » de ce nouvel épisode. Attaque aérienne oblige, c'est le sifflement des flûtes qui prend le relais, avant d'être rapidement gonflé par des effets nettement plus dramatiques de l'orchestre tout entier. Après deux surprenantes secondes de silence à 0'55, la musique reprend, et Giacchino s'en donne à cœur joie, frisant soudain avec l'atonal, voire la musique sérielle. Le thème revient soudain, très nerveux, puis se déforme à nouveau, entouré de flûtes furieuses ; la piste s'arrête assez vite.

Love in the time of pterosauria : ... mais c'est pour mieux reprendre l'attaque des flûtes sur cette piste-là. Encore une fois, Giacchino s'en donne à cœur joie et encore une fois, on se demande s'il ne joue pas ouvertement avec la caricature de ce que pourrait être une musique de film d'horreur - voir à 1'01 comme il enchaîne les glissements de cordes comme on en fait généralement un ou deux très lentement, à ceci près qu'il en cale quatre ou cinq très rapides en moins de dix secondes. A 1'41, la joie dans la catastrophe du compositeur est communicative : rien de franchement menaçant, juste de l'euphorie, de l'énergie pure. Et c'est ici, étrangement, à la musique d'un épisode de "Star Wars" que l'on pense (la texture sonore est vraiment la même) : dans "Star Wars III", en pleine course-poursuite entre un robot et un iguane géant (raison de la citation peut-être ?) John Williams composait un "Grievious and the droids" que l'on croit réentendre ici par instants. A 2'15, Giacchino refait le coup des glissements de cordes, plus aigus encore cette fois-ci ! Grand enfant qu'il est. A 2'37, le bouillon de cordes graves laisse penser à la "Guerre des Mondes" de Williams, mais on repasse aussi sur quelque chose de plus héroïque à la Giacchino. A 3'19, après un court silence, sans doute l'un des meilleurs moments de toute cette bande-originale lorsque les violons partent dans une sorte de sabbat furieux ; mais c'est aussi le climax, et une musique plus calme - avec le thème familial de Giacchino entendu sur la 2e piste - fait son retour aussitôt après.

Chasing the dragons : On commence ici à entendre le tambourin qui était l'un des instruments signatures de John Williams sur "Le Monde Perdu" - et d'ailleurs le film et la musique s'acheminent lentement vers plus de citations de cet opus-là. Ici, le thème est si héroïque qu'on se croirait plutôt dans un "Star Trek" signé Giacchino. Les cordes font des merveilles. C'est l'un de ces morceaux entièrement fondés sur un riff dont Giacchino a le secret. Or ce riff, ce n'est pas n'importe lequel : c'est une variation sur celui des singes dans "La Planète des Singes 2" (écouter Monkey to the City). Pas de hasard : ici, les vélociraptors sont aussi intelligents que des primates (c'est d'ailleurs ce que suggérait le Professeur Grant au début de sa conférence dans "Jurassic Parc 3" !)...

Raptor your heart out : Moment de construction de la tension. Diablement efficace. Encore une fois, on croirait entendre "La Guerre des Mondes" de John Williams. Surprise pourtant à 1'42, écoutez bien, on passe dans quelque chose de furtivement plus Indiana Jones-esque (Scherzo for motorcycle and orchestra, non !!!). Giacchino a franchement bien révisé. 2'11, 2'12, deux secondes parfaites. Retour, dans toute la dernière partie, du riff des raptors qui n'est autre que le riff des primates de la "Planète des Singes", mais en plus vif (et si les raptors étaient encore plus intelligents que les primates ?!).

Costa Rican Standoff : Giacchino est lâché. Les cordes ont pris le dessus, ça ne s'arrête plus. Côté cuivres, c'est un peu plus fade, mais tout est dans l'énergie déployée ici par le tapis de cordes énervé. Long moment de calme, puis énorme moment Guerre des Mondes, à 1'56 (The Ferry Scene). Dès lors que les percussions se mettent en marche, pas besoin de chercher très loin : on est dans la citation pure et simple de l'attaque des raptors à la fin du "Monde Perdu", rempli de pêches aux cuivres puissantes et agressives (écouter The Raptors appear !). Enfin, reprise au ralenti du thème de "Jurassic Park", à 4'24. Tout est là : "Jurassic World", c'est "Jurassic Park" passé au filtre de la Guerre des Mondes - puisque pour la première fois, les dinosaures ne sont pas vus comme de simples animaux sauvages mais comme des ennemis à abattre, et qui plus est, des ennemis intelligents (« intellects vast, and cool, and unsympathetic », pour parler comme HG Wells dans le prologue repris par Spielberg).

Our Rex is bigger than yours : De façon un peu incongrue, on entend à 0'50, après une lente montée de la tension, des chants de guerre tribaux au chœur, qui accompagnent le combat entre les deux grands carnivores (quoiqu'on les entende à peine dans le film : ils sont couverts par les rugissements !). Retour ensuite à de très larges accords au violon enveloppés par des chœurs plus « classiques », et à 1'51, il faut bien le dire, débarque glorieusement l'unique et magnifique occurrence du thème du "Monde Perdu", cité ici au ralenti (accompagnant cette fois le ralenti du raptor arrivant au dernier moment, façon Han Solo dans "Star Wars IV"). Thème repris aussitôt après, mais cette fois note après note, très, très lentement, et très lourdement (plus l'ombre d'une flûte traversière ici), de façon assez audacieuse. C'est la musique du plan-séquence qui conclut le film, comme si la musique signifiait ici qu'on est dans une forme de déformation du temps, comme si l'on regardait sur vingt secondes ce qui, il y a 15 ans, n'en aurait duré que cinq, évolution de la technologie oblige - c'est-à-dire un combat de dinosaures.

Growl and make up : Les scènes d'actions sont terminées. Gros pansements de cordes, mercurochrome musical, on a même droit à quelques clochettes vers la fin.

Nine to survival job : Ici, c'est la romance. Un peu facile, un peu joli. Piano Bétadine. Avec une grande reprise héroïque de la variation sur le thème de John Williams à la fin (chœur, punch d'orchestre, etc). Le film s'arrête ici, la piste suivante est celle du générique de fin.

The Park is closed : Reprise du thème de John Williams avec intro au piano solo, puis l'orchestre débarque et change la mélodie, passe au nouveau thème. Le piano ici, c'est le souvenir, c'est l'ancien parc, c'est tout ce qui a été perdu, détruit (le rêve d'un parc à dinosaure) et remplacé par quelque chose d'aussi beau, ce qui explique que la mélodie soit à la fois triste et belle : des dinosaures en liberté.

Jurassic World Suite : C'est le plus long morceau (12'53). A écouter après avoir réécouté Monkey to the City, sur "La Planète des Singes : l'affrontement", l'intro est très parlante. La suite : medley des thèmes évoqués ailleurs ici.

It's a small Jurassic World : Musique sautillante de parc d'attraction, on croirait un jingle de DisneyWorld. Giacchino s'est amusé. Intéressant de voir qu'il est aussi le compositeur de "Tomorrowland", adaptation au cinéma d'une partie de Disneyworld dans laquelle apparaissait "It's a small world" (le truc avec les poupées...) - pourtant situé dans Fantasyland certes, mais à laquelle Giacchino fait référence ici.

The Hammond Lab Ouverture : Nouvelle musique complètement tarte de parc d'attraction jovial. Du Disney avec tout un tas de flûtines et puis de jolis violons pour faire rêver les gens, avec un petit air de marche pour donner envie d'aller se balader.

The Brockway Monorail : Musique tarte, troisième. Jovial, sautillant, etc. A 0'54, c'est bien un morceau de thème d'Indiana Jones qu'on croit entendre - on entend souvent ces quelques notes Indiana Jones-esque dans le film (peu après que les deux gosses aient tasé le raptor !) - c'est aussi que le film est cité à l'image, notamment à la fin, dans le grand hangar qui évoque le dernier plan des "Aventuriers de l'arche perdue".

Sunrise o'er Jurassic World : Morceau un peu plus digne, avec des airs d'hommage à quelque chose, mais on se croirait toujours à Discoveryland avec l'effet fanfare transmis par les trompettes jouant à l'unisson. Une seule mélodie jouée une dizaine de fois. Manière de finir l'album sur quelque chose d'assez calme et d'assez humble... comme le film, paradoxalement, qui cherche surtout à enseigner aux gens à se satisfaire de ce qu'ils ont plutôt que de toujours en vouloir plus.

 

 

Analyse piste par piste, par Camille Brunel


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