Interview Nicolas Godin: TAJ MAHAL, sa première BO en solo

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- Publié le 03-12-2015




Nicolas Godin, l'un de deux musiciens du duo français de musique électronique Air (auprès de Jean-Benoît Dunckel) signe sa première musique de film en solo pour TAJ MAHAL de Nicolas Saada. 2015 fut une année riche pour son émancipation du tandem historique puisqu'est sorti son premier album solo "Contrepoint", hanté par la figure du musicien allemand Bach. Retour sur son rapport à la musique de film jusqu'à sa rencontre avec Nicolas Saada.

Interview Nicolas Godin

Cinezik : D'où vous vient votre intérêt pour la musique de film ?

Nicolas Godin : La principale influence de AIR était depuis le début la musique de film. Me concernant, c'était le générique de "Amicalement vôtre" de John Barry, que je trouve encore maintenant merveilleux ! Il y avait aussi "Le Bon la brute et le truand" que j'ai vu sur les Grands Boulevards à Paris. La musique de Ennio Morricone me restait en tête pendant tout le trajet de retour en voiture, elle me rendait fou ! Et puis il y a "Johnny Guitar" de Nicolas Ray, le premier air que j'ai appris à jouer. J'avais regardé le film dans l'émission de Eddy Mitchell "La dernière séance". J'ai ensuite demandé à mon père de m'apprendre le thème à la guitare. Je devais avoir 4/5 ans. C'est mon plus vieux souvenir d'apprentissage d'un morceau. Je suis complètement autodidacte sinon. J'ai appris à l'oreille en écoutant ces gens-là. J'ai aussi appris avec Jean Benoît car il a une formation classique. J'ai appris plein de choses à son contact et je continue à en apprendre. J'aime beaucoup apprendre des autres.

Comment voyez-vous l'évolution de la musique de film ?

N.G : Il y a eu une période où le cinéma était une œuvre commune entre un compositeur et un cinéaste. Je parlais justement de Morricone et Leone, mais je pense aussi à Nino Rota avec Fellini. Ce sont deux artistes qui se rencontrent et font un travail commun. Aujourd'hui, la musique de film n'a plus le même rôle. J'ai l'impression qu'elle sert plus de sound design, avec des drones, des percussions, des logiciels de banques de sons qui donnent des musiques "clé en main". C'est ce que j'entends. Aussi, avant on pouvait sortir d'un film et chanter la mélodie. Aujourd'hui c'est pratiquement impossible. J'adore le cinéma, donc cela n'entache pas mon plaisir à regarder des films. La musique a évolué mais ce sont des formes d'art différentes.

Comment expliquez-vous avec le recul le succès de votre musique pour VIRGIN SUICIDES de Sofia Coppola ?

N.G : On voulait que l'album puisse être écouté sans le film et cela a marqué les gens. Mais 20 % du disque est dans le film. Il y a surtout le thème de piano, et le thème de la fin. Le thème de piano ancre les choses, c'est un fil conducteur qui nous fait vivre avec le film. J'ai appris qu'il ne sert à rien de s'éparpiller quand on fait une musique de film.

Que pensez-vous des "music-superviser" dont le rôle est de placer les musiques préexistantes sur un film ?

N.G : J'imaginais le compositeur omnipotent, mais quand on a fait VIRGIN SUICIDES, notre premier film, je me suis rendu compte qu'il y avait Brian Reitzell, le music-superviser, qui mettait plein de musiques et ça marchait bien. Cela donnait un bon résultat.
C'est bien que quelqu'un qui ne soit ni compositeur ni metteur en scène puisse voir les choses de l'extérieur, c'est agréable. Pour les metteurs en scène, le film est leur bébé. Ils n'ont pas de distance, ils ont un rapport charnel avec leur film en tant que créateur, pour leur plus grand mérite. Porter un film comme TAJ MAHAL, j'imagine que Nicolas Saada devait être persévérant pour arriver à ses fins.

D'ailleurs, Nicolas Saada a convoqué des musiques préexistantes sur TAJ MAHAL... (voir le tracklist)

N.G : Il a en effet parsemé son film de pleins de musiques existantes. Je devais boucher les trous. On ne peut pas dire que j'ai fait LA musique du film. Il y a 2/3 scènes importantes qu'il fallait "scorer". Il a donc fait appel à mes services pour cela. C'était intéressant de bosser ensemble, j'ai appris plein de choses. Cela m'a d'ailleurs manqué avec le film de Nicolas qu'il n'y ait pas de superviseur musical. C'est toujours bien d'avoir quelqu'un qui synthétise tout, avec du recul.

Peut-on parler de thèmes dans votre partition pour TAJ MAHAL ?

N.G : Dans cette musique, il y a le thème de Louise, une belle mélodie avec des violons à l'indienne. Mais chaque séquence a son thème, il n'y a pas LE thème du film. J'aime la mélodie, c'est mon truc. Même pour les musiques instrumentales que j'ai faites, elles ont toujours une mélodie.

Comment était Nicolas Saada sur le travail musical ?

N.G : Il était directif mais il a souvent changé d'avis. A la fin, on ne savait plus sur quel pied danser. En revanche, on savait quand quelque chose n'allait pas, et on refusait de baisser les bras. On a retravaillé chaque scène pour que la musique soit parfaite. À chaque fois qu'il me faisait changer quelque chose je me disais qu'il avait raison. Il n'est pas musicien mais à chaque fois qu'il faisait une remarque c'était pertinent. Il n'a jamais parlé pour ne rien dire.

Comment vivez-vous la collaboration avec un réalisateur ?

N.G : Le metteur en scène a sa vision que l'on ne peut voir que quand le film est terminé. Tant qu'il n'a pas tous les éléments en main, il ne peut pas la faire partager. Pour mes disques c'est pareil, je les fait écouter quand tout est terminé. Je ne pourrais jamais les faire entendre en cours de processus. Ce qui était difficile pour Nicolas, c'est d'essayer d'expliquer comment allait être son film alors qu'il n'était pas terminé, qu'il était en train de se faire. Je pense à George Lucas qui disait que sur le tournage de "Star Wars" tout était "Cheap", personne n'y croyait, lui-seul savait ce que ça allait donner à la fin, avec la musique, les effet-spéciaux, il avait tout dans sa tête. C'est dur pour un metteur en scène de porter un film pendant trois ans en étant le seul qui connaisse le résultat. Les gens te prennent pour un fou. C'est un métier que je n'aimerais pas faire.

Que représente pour vous ce type de "commande" par rapport à vos albums ?

N.G : Quand on est un artiste, car je suis aussi artiste, le plus dur est de se mettre au service de l'œuvre de quelqu'un d'autre. Pour ESPION(S), le précédent film de Nicolas Saada, je n'avais pas le courage de travailler pour quelqu'un, je voulais faire mon disque à moi, donc on a dû refuser le film. Je trouve que c'est une bonne chose puisque la musique de Cliff Martinez est géniale. Nicolas a gagné au change. C'est un vrai talent de se mettre au service de quelqu'un, ce n'est pas donné à tout le monde. Ceux qui en font beaucoup ont du talent, ils arrivent à se blinder. Moi je suis assez sensible par rapport à ma vision artistique des choses. Se faire rejeter un morceau n'est pas dans mon quotidien.

Quelle est votre approche du numérique dans vos musiques de films ?

N.G : Je n'utilise jamais le digital pour copier l'analogique. J'utilise chaque équipement pour ce qu'il sait faire. Je n'utilise pas de "samples" pour faire de faux violons, je préfère dans ce cas ne pas mettre de violon. Il y a des compositeurs qui savent très bien imiter les orchestres. Ensuite ils vont faire enregistrer par un orchestre et le producteur dit que c'était mieux avant. Du coup aujourd'hui, les orchestres commencent à jouer comme le numérique, car on y est habitué. On va maintenant avoir des orchestres qui vont jouer comme des faux orchestres.

Propos recueillis à Paris le 2 octobre 2015 par Benoit Basirico
Merci à Paul Lucas.

 


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