Interview Sébastien Betbeder veut des mélodies et de l’émotion (Voyage au Groenland)

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Propos recueillis par Benoit Basirico - Publié le 16-05-2016

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Le réalisateur Sébastien Betbeder (LE VOYAGE AU GROENLAND, sortie 30 novembre 2016) revient sur ses différentes collaborations : Sylvain Chauveau, Bertrand Betsch, Sébastien Tellier, Minizza.

« J’ai toujours considéré la musique de film comme quelque chose de primordiale, j'ai du mal à concevoir un film sans une collaboration avec un musicien. » 

 

Interview 

 

Cinezik : A vos débuts vous avez travaillé régulièrement avec Sylvain Chauveau, que ce soit pour NUAGE (2007) ou MES NUITS AVEC THEODORE (2012)...

Sébastien Betbeder : En effet, jusqu'à 2 AUTOMNES 3 HIVERS (2013), j'ai travaillé avec fidélité avec Sylvain qui est un ami avec lequel j'ai commencé à faire des films. La musique était déja importante, dans un rôle presque narratif. Le fait de cesser provisoirement cette collaboration a été synchrone avec l'évolution de sa musique et l'évolution de mon cinéma. Sylvain est allé faire des musiques plus minimalistes et radicales, là où moi je suis allé vers un cinéma beaucoup plus accessible, où la place de la comédie était plus importante, avec des envies de musique plus mélodique. J'ai toujours considéré la musique de film comme quelque chose de primordiale, j'ai du mal à concevoir un film sans une collaboration avec un musicien.

Ensuite vous avez changé de compositeur à chaque film...

S.B : Ce n'était pas dans une volonté particulière, cela se fait de manière naturelle. A chaque film, il y a eu un désir particulier. Pour 2 AUTOMNES 3 HIVERS, j'ai repensé aux musiques des années 90, très liées à la Nouvelle Chanson Française, avec les gens du label Lithium. J'ai donc pensé à Bertrand Betsch, et cela correspondait à la nostalgie du film. Pour MARIE ET LES NAUFRAGÉS (2016), il y avait l'idée d'un mouvement perpétuel, d'une musique qui allait emporter les personnages. Quand je suis allé voir Sébastien Tellier, je lui ai demandé non seulement de faire la musique du film, mais aussi de faire la musique des personnages, la musique de Oscar et de Cosmo qui sont musiciens dans le film. Une troisième demande était d'interpréter Cosmo, directement inspiré d'un personnage qu'il avait créé pour un album, « My God is blue ». (ndlr : c'est finalement André Wilms qui l'incarne).

Pourquoi le choix de Sébastien Tellier qui a un univers bien à lui ?

S.B : Tellier est un musicien que j'aime depuis très longtemps. Je considère aussi les films comme des lieux d'accueil, donc autant en profiter pour y accueillir des talents qui sont importants pour moi et même influents dans mon travail de réalisateur. Pour la scène d'amour dans MARIE ET LES NAUFRAGÉS, il m'a amené à quelque chose d'ilien, avec des maracas, ce que je n'aurais jamais osé lui demander. C'est lui qui l'a proposé. Il m'a convaincu. C'est très beau d'être à l'écoute des idées parfois saugrenues que peut proposer un musicien comme Tellier.

Comment avez-vous fait le choix de Minizza pour LE VOYAGE AU GROENLAND ?

S.B : Sylvain Chauveau m'avait fait rencontrer Franck Marguin & Geoffroy Montel (de Minizza), donc c'est parti d'une amitié. Cela faisait très longtemps qu'ils étaient dans mes films, en utilisant la musique de leurs disques. Ils apparaissent ainsi dans MES NUITS AVEC THEODORE. J'aime leur parcours musical. Quand est venue l'idée du VOYAGE AU GROENLAND, j'ai repensé à une discussion commune qu'on avait eu.

Pourquoi le choix à chaque fois de convoquer un artiste issu de la scène, qui a son propre univers par ses albums ?

S.B : Quand je suis allé voir Minizza ou Sébastien Tellier, j'avais cette envie de m'éloigner d'une musique trop atmosphérique dont j'avais un peu assez en tant que spectateur. Dans mes premiers films, il y avait de cette musique atmosphérique qui pouvait de manière indifférente aller sur une séquence ou autre, c'était un refus de la mélodie et du thème. Il y avait donc cette fois-ci une volonté de laisser une grande place à la mélodie, à la récurrence d'un thème, de ne pas avoir peur de créer une musique où les émotions à la simple écoute pouvaient advenir. Il y a toujours dans mes films ce souci de produire de l'émotion.

Ces compositeurs d'albums ont pu facilement se mettre au service du film ?

S.B : Quand je vais vers ces musiciens, j'ai la conscience qu'ils feront leur propre musique. Je suis d'abord admirateur de leur travail, donc je leur demande comme un cadeau de faire venir leur musique chez moi. J'ai eu la chance à chaque fois de travailler avec des musiciens qui avaient un rapport à la musique de film très culturel. Je savais qu'on était en terrain commun. Ce qui pouvait me rebuter dans la musique de films d'aujourd'hui, c'est le fait que ce soit simplement de la musique de film qui soit soumise aux images et au récit. Leur musique peut produire de l'émotion par elle-même, tout en étant consciente du récit qui se déroule. Les musiciens avaient envie qu'on repense à la musique une fois le film fini, qu'elle reste comme un souvenir, une coloration de ce que aurait été le film. C'est très beau une musique qui habite l'esprit. J'ai besoin de travailler avec quelqu'un qui travaille sur une matière d'une heure et demie dans la conscience du récit du film.

Leur donnez-vous des références ?

S.B : Avec Minizza, sur l'idée du thème, on avait des références précises, et même des morceaux précis, de François de Roubaix, dont des choses qu'il a faite pour les enfants comme Chapi Chapo, le dessin animé. Il y avait aussi un compositeur que j'ai redécouvert grâce a eux, Pierre Bachelet, notamment des musiques qu'il a faites pour « Les Bronzés » et « Coup de tête » de Jean-Jacques Annaud.

A quel moment interviennent-ils sur un projet ?

S.B : Je propose toujours au musicien de composer à partir de la lecture du scénario, en sachant que le scénario est un objet a-priori assez loin de ce que sera le film fini, mais j'aime l'idée de ne pas trop donner de direction, et de le laisser un peu rêver le film. J'ai toujours travaillé ainsi et cela a toujours donné des résultats immédiatement réussis. Le musicien peut partir dans les directions qu'il veut, sur de l'intuition. Concernant Sébastien Tellier, ce n'était pas un hasard que je vienne le voir, car il savait que j'aimais beaucoup son travail, il a accepté cette démarche. Il a lu le scénario qu'il a aimé. On a juste parlé de couleurs et il est parti là-dessus. Cette méthode lui allait très bien ! Il a vraiment écrit en parallèle du tournage, il faisait la musique dans son coin et moi mon film. On ne s'est pas parlé pendant cette période. Je suis revenu du tournage pour lui montrer les rushes du film pas encore montés. Il avait une longueur d'avance sur moi car il avait déjà composé la musique. En voyant les images, il était très content de ce qu'il voyait, cela semblait correspondre à ce qu'il avait imaginé. Quand j'ai écouté ses thèmes, cela collait parfaitement. Au montage, on n'a eu que des ajustements à faire. La plupart des thèmes étaient déjà là simplement sur lecture du scénario. Pour Bertrand Betsch, c'était un peu la même chose, il a eu le scénario conçu à partir de longs monologues très évocateurs. Il a écrit une vingtaine de thèmes, qu'on a plus ou moins développés, et là encore je suis parti en montage avec une matière musicale déjà très riche.

Et comment cela s'est passé pour LE VOYAGE AU GROENLAND ?

S.B : Avec Minizza, c'était la même méthode. Mais j'avais une grosse angoisse en terme d'écriture avec ce film. Il était très difficile pour moi de réussir au cinéma cette idée du temps qui passe. Je me suis confronté à un film où il fallait raconter la vie de ces deux personnages dans ce village du Groenland où ils allaient vivre pendant trois semaines avec une action très minimale. Il fallait qu'on éprouve le temps qui passe. Il y avait même un moment très précis dans le scénario où je me suis très vite dit qu'il devait être très musical. Beaucoup de cette réussite tient dans la musique qu'a livré Minizza. Ils ont travaillé sur un thème utilisé à deux reprises dans le film, un thème qui raconte le temps qui passe. Sans cette musique je pense qu'il aurait été impossible de produire cet effet.

 

Propos recueillis par Benoit Basirico

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