Interview Jean-Claude Brisseau & Jean Musy : 20 ans de collaboration musicale depuis NOCE BLANCHE

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Interview réalisée à Paris le 17 mars 2009 par Benoit Basirico - Publié le 17-03-2009




Le réalisateur Jean-Claude Brisseau et le compositeur Jean Musy ont collaboré 5 fois de NOCE BLANCHE à A L'AVENTURE. Rencontre.

Interview : Jean-Claude Brisseau & Jean Musy

Cinezik : D'où vient le projet du film A L'AVENTURE ?

Jean-Claude Brisseau : J'ai eu envie à un moment de faire un film testament qui reprendrait tous les thèmes de mes films précédents, sauf le thème de la violence dans les HLM. J'ai eu aussi envie de faire quelque chose de très léger, en vidéo, mais je me suis rendu compte que cela coûtait plus cher que de le faire en 35mm. Donc on l'a fait en pellicule. Je voulais aussi mélanger des choses, ce que l'on trouve dans le film, des éléments à la limite de la philosophie, des éléments sociaux, scientifiques, émouvants et deux ou trois éléments liés au sexe. Ce sera d'ailleurs mon dernier film avec des séquences de sexe. Il y a une sorte de trilogie, et là c'est fini.

Vous parlez des thèmes de vos films, quels sont-ils ?

Jean-Claude Brisseau : Il y a toujours de l'imaginaire, ou quelque chose de fantastique. Ce qui me préoccupe, c'est de donner le sentiment d'un monde parallèle. Au-delà de l'univers sensible, il y en a un autre. Et de relativiser ainsi toutes nos visions du monde, c'est une permanence dans mes films. Cela se cristallise dans le dernier film par les dialogues de manière explicite car on y dit à un moment que nous avons une perception complètement déformée et partiale et même ce qu'on appelle le monde, on ne sait pas ce que c'est. Donc il y a une relativisation systématique de la perception du monde. C'est ce qu'il y a dans tous mes films. 

Jean Musy : On a un regard très proche par rapport à l'amour, et par rapport au rôle de la femme dans les rapports, donc il est difficile pour moi de ne pas y être sensible, et dans la magnifique et épouvantable comédie qu'est la vie. Jean-Claude... c'est mystique, l'image est matérielle, et la musique est là pour l'élever. 

Vous utilisez souvent de la musique classique dans vos films ?

Jean-Claude Brisseau : Je me souviens que pour CHOSES SECRETES (2002) j'ai utilisé des musiques classiques pour renvoyer au coté éternel de la problématique sexuelle. La musique a été utilisée parfois comme un moment d'exaltation, on peut appeler cela "sacré", mais je préfère être modeste dans ce domaine. 

Sur le film précédent, LES ANGES EXTERMINATEURS (2006), j'ai beaucoup hésité à mettre de la musique, mais j'en ai mis sur les séquences érotiques pour que l'ont voit que les gens éprouvent du plaisir, pour les filles ça se voyait, mais en particulier pour celui qui observait ce qui se passait. 

Pour ce dernier film A L'AVENTURE (2009), lorsqu'on voit la jeune femme s'allonger dans l'herbe jaune avec le vent, la musique est apaisante et renvoie à quelque chose de mystique. 

Comment vous déterminez la place de la musique, et le choix de celle-ci ?

Jean-Claude Brisseau : Quand je fais le montage du film, avec la table, je commence chez moi à voir les musiques qui pourraient coller au film. Je me rappelle sur LES ANGES EXTERMINATEURS, Jean Musy m'avaient donné un disque avec une série de musiques que je pouvais utiliser pour le film mais qui n'avait pas été écrite spécialement pour ce film, j'ai pris deux ou trois thèmes, plus d'autres qui venaient de mon film précédent. Jean s'est contenté de les adapter, de changer le début ou la fin. Dans la séquence du restaurant, il a retiré un instrument par exemple. Je fais tout cela sur la table de montage. 

Lorsque j'ai utilisé un thème de L'ANGE NOIR (1994) dans LES SAVATES DU BON DIEU (2000), Jean me disait que si je lui avait demandé de composer pour la séquence en question, jamais il aurait eu l'idée de reprendre sa propre musique, tout en avouant que cela collait bien. 

Avec Jean, tout a commencé avec NOCE BLANCHE (1989) avec la petite Vanessa (Paradis), on se voyait régulièrement, il avait un studio, je venais tous les soirs, il avait une cassette du pré-montage, et cherchais les musiques en la regardant. Il me donnait au fur et à mesure les musiques, je dois même avoir des musiques non utilisées encore quelque part. C'était la même chose avec L'ANGE NOIR, dés que j'avais une bande pré-montée, Jean commençait à chercher son inspiration. 

Jean Musy : Jean-Claude me donne le scénario, me parle beaucoup et me fiche la paix pendant un certain temps et je pond sur ce qu'il m'a dit, sur les intentions, sans voir d'images, je fais des maquettes, et je lui apporte le tout. A partir de là, il commence à travailler en faisant les montages en fonction des maquettes. On est arrivé parfois à ne pas changer les maquettes. Pour NOCE BLANCHE, c'était un peu particulier car la maquette, on n'a pas pu la retoucher car on n'avait pas l'argent pour avoir de vraies cordes...

Jean-Claude me parle d'émotions, il me parle davantage comme si j'étais un peintre, je trouve cela gratifiant, il me parle de couleurs, il me cite des phrases. Il n'est pas du tout partisan de m'orienter musicalement.  

C'est un des rares metteurs en scène qui n'a de leçons à recevoir de personne. Avec les autres, j'ai tendance à ouvrir ma bouche car il y a des choses qu'ils ne voient pas, car ils ont trop de travail, ils font deux films par an, pour la télévision. Jean-Claude fait un film tous les deux ou trois ans, il a une pensée forte sur son oeuvre que ne peuvent pas avoir les metteurs en scène qui travaillent à la commande. Pour Jean-Claude, c'est son oeuvre, c'est un auteur. Mais en plus, c'est un amoureux de l'image, et de l'histoire du cinéma.

Je souhaite qu'une bonne fois pour toute on se taise sur les polémiques, et qu'on admette le grand mec qu'il est dans le cinéma. Beaucoup de gens le savent, mais la profession joue les autistes avec lui, mais pas le public, c'est formidable. Je touche beaucoup de droit d'auteur avec Brisseau, car ses films sont diffusés à l'étranger, au Japon, aux Etats-Unis. Jean-Claude est très aimé dans le monde entier. Ce n'est pas le cul, c'est autre chose, il n'y a pas de cul dans ses films.

Et pour CELINE (1992), vous avez utilisé une musique de Georges Delerue, pourquoi ? 

Jean-Claude Brisseau : Jean a beaucoup regretté de ne pas faire la musique de ce film mais il était parti dans une voie différente, et quand je suis tombé sur cette musique de Delerue utilisée dans un documentaire, je lui ai demandé de s'en inspirer, mais il n'était pas partant pour ce genre de chose, alors j'ai utilisé la musique que j'avais. Ce fut la seule fois que nous étions en désaccord.

Jean-Musy : Ce n'était pas Delerue qu'il voulait, mais cette musique-là était celle de son film. C'est vrai que je l'ai emmerdé là-dessus, mais il ne voulait rien entendre. On s'est engueulé, et même fâché. Ca n'a pas duré longtemps.

A quel point considérez vous la musique dans un film ?

Jean-Claude Brisseau : Je pense à "Psychose" ou "Vertigo" qui doivent beaucoup à la musique de Bernard Herrmann, je pense que la musique a un rôle très important. Quand vous voyez "Le Mépris" de Godard, heureusement que la musique de Delerue est là, ce n'est pas contre Godard, mais si vous ne voyez que la mise en scène, si vous retirez la musique, c'est d'une grande simplicité, il n'y a pas grand chose. Lorsqu'il y a ce simple travelling arrière avec Fritz Lang, la musique de Delerue apporte une fascination, qui renvoie d'ailleurs à la fascination que peut exercer Fritz Lang sur Godard. Comme quand on voit Bardot nue, grâce à la musique, le tout prend une dimension triste et magique en même temps. Je pense que dans les écoles de cinéma, on parle de l'image, et de l'image, moi ça m'exaspère, car le cinéma ce n'est pas que de l'image mais d'abord une succession d'images montées d'une certaine manière, avec une bande sonore comprenant de la musique, qui donne bien souvent la force émotionnelle à un film, beaucoup plus que l'image. 

Jean Musy : J'aime bien les films où il n'y a rien, du silence, je n'aime pas trop la musique dans les films, curieusement, je suis un vieux con, j'aime le cinéma d'autrefois, français, où il n'y avait pas trop de musique, mais quand la musique arrive, c'est qu'elle est un personnage, qui raconte quelque-chose en plus. Mais la musique qui est là pour apaiser le lecteur, ça m'est insupportable.

Je n'ai pas encore fait le film de ma vie, alors je me les invente. Je prend des scénarios, que je lis, ou je prend des nouvelles, et j'en fais des adaptations, c'est du cinéma sans images. Je fais des bruitages, je fais venir des comédiens. Ce sont des histoires que je choisis. Je joue ainsi au metteur en scène. C'est en ce moment ce que j'aime le plus faire.

Interview réalisée à Paris le 17 mars 2009 par Benoit Basirico

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