Interview Guy Maddin : 'Des Musiques dans la tête'

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Interview réalisée le 17 octobre 2009 à Paris par Benoit Basirico / Transcription et traduction par Cécile Chandran / Merci à Emilie Imbert et Manon Ouellette - Publié le 17-10-2009




Guy Maddin met en place une esthétique originale et expérimentale héritée du muet. Sans budget important, il impose une oeuvre poétique, lyrique, surréaliste, mêlant une imagination débordante aux plus profonds désirs non-refoulés. La musique est chez lui une part importante, chacun de ses films est un poème.

Interview Guy Maddin
"Des Musiques dans la tête"

Cinezik : Quelle est l’importance de la musique dans votre travail ?

Guy Maddin : J’ai toujours pensé qu’elle était très importante. Vous savez, j’envie les réalisateurs qui sont capables de faire des films sans musique du tout, ils savent qu’ils font partie du Dogma95. J’ai toujours voulu faire des films que j’aurais voulu voir. J’aime être ému, sans forcément comprendre, par la musique. C’est pour ça que j’aime l’enregistrer, cette puissance que je ne comprends pas. Je ne pourrais jamais suffisamment contrôler un film, mais quand j’entends une force incompréhensible et incontrôlable émanant de la musique, je suis vraiment ému. J’essaye de trouver des moyens pour « souder » la musique, de sorte que mes images vont faussement donner l’impression qu’elles sont à l’origine de cette force… c’est comme si je voyais un puissant et grand train en marche, que j’avais besoin d’aller quelque part, et que je sautais dans ce train, que je m’y accrochais, illégalement, sans permission et sans payer de ticket. J’espère vraiment pouvoir voler le tonnerre de la musique et renforcer mes films avec.

La musique dans vos films est aussi un sujet, un élément du scénario... De quelle manière pensez-vous à la musique au moment de l'écriture, pour les personnages, par exemple ?

G.M : Parfois, j’écris juste un script, ou c’est Georges mon partenaire qui le fait. Pour DES TROUS DANS LA TÊTE, je savais déjà qu’il y aurait de la musique, mais je ne savais pas laquelle, je n’avais encore rencontré aucun compositeur. J’écris mon script et espère le meilleur, j’espère que je trouverai la musique appropriée. Pour THE SADDEST MUSIC IN THE WORLD, j’ai réussi à trouver la musique avant, ce qui a déterminé le ton, l’atmosphère, la noirceur que j’aimais. Dans d’autres cas, je regardais ce que j’avais, comme un disque, ou autre, comme le fait le fameux Quentin Tarantino qui, quand il a un bon morceau, écrit une scène qui lui colle parfaitement. Je fais parfois ça. Je l’ai fait pour TALES FROM THE GIMLI HOSPITAL, et pour quelques scènes dans ARCHANGEL, avec des enregistrements du domaine publique.

J’ai donc travaillé de toutes les manières possibles. Egalement sur le film GLORIOUS, pour lequel il y avait une équipe formée par des compositeurs, un groupe de musique de chambre, un pianiste… L’idée était de faire travailler simultanément le compositeur et le réalisateur, en même temps, et d’essayer de créer quelque chose ensemble. J’aimerais faire ça pour un reportage, travailler avec un scénariste, un chorégraphe et un compositeur en même temps, pour façonner une sorte de dynamique de marche. Parfois quand on regarde un film et qu’on écoute la musique en particulier, on a l’impression qu’elle s’intègre en finesse, d’une façon presque médicale, on tourne une scène qui avance si difficilement qu’elle a besoin d’être soignée par la musique. C’est ce que je trouve très excitant, on a l’impression d’écouter le traitement d’une maladie qui nécessite un travail urgent. J’aime donc l’idée que la musique fait partie d’une relation organique, d’une relation symbiotique avec les images. Les images aident la musique et la musique aide les images…

Dans vos films, la musique est une invitation au rêve pour le spectateur. Et pour vous, est-ce que la musique vous aide à imaginer des images aussi ?

G.M : Longtemps avant même que je sache que je prendrais une caméra et commencerais à tourner des films, je voyais presque déjà des images grâce aux choses que j’écoutais. Je ne parle pas seulement de musique… je vivais à Winnipeg, qui est très loin de toutes les villes que j’ai vu à la télévision américaine en grandissant. La ville américaine la plus proche était Minneapolis. Tard la nuit, on pouvait capter les stations de radio de Minneapolis, mais vaguement et entrecoupées. Elles étaient parfois très audibles, mais quelques secondes plus tard, éclipsées par les autres stations. J’avais donc ces très complexes couches de sons aléatoires de la radio. J’avais dans les treize ou quatorze ans… J’écoutais ce que d’autres auraient décris comme des sons sources de mal de tête… C’était entrecoupé et à peine audible, mais il y avait des sons émergents de parties de baseball se mélangeant avec des publicités. Pour moi, elles créaient une mystérieuse image de l’Amérique. Elles n’illustraient pas ce que j’avais pu voir à la télévision mais étaient des images nocturnes, car j’écoutais la radio toujours la nuit, quand les émissions étaient meilleures avec un plus grand chaos, quand plus de stations s’interféraient. C’était comme un véritable fouillis, c’était comme essayer de donner un sens au monde grâce à des photos déchirées qui auraient été mélangées ensemble. C’était étrangement puissant et mystérieux. J’ai fait ça pendant toute mon adolescence. Quand j’ai grandit, la radio est devenue un « trip » différent, pour écouter en stéréo… j’avais toujours besoin d’une musique élusive, mystérieuse, toujours difficile à écouter. J’ai donc collectionné les tubes des années 70-80, car ils ont encore de nombreuses couches sonores que tu es forcé d’entendre, ça passe au travers, comme si tu avais de la saleté dans les oreilles. Ca crée des images pour moi, d’une certaine façon.

Il y a une sorte d’ironie dans votre musique, un grotesque qui annihile la solennité. Comment la musique participe-t-elle à l’humour noir de vos films ?

G.M : A chaque fois que je choisis de la musique moi-même, c’est toujours intuitif. C’est une chose que je sens. C’est toujours un peu sombre ou triste, parce que souvent, les films semblent stupides ou légers, et j’ai alors l’impression que je dois les abaisser, les ramener sur terre. Je ne veux pas que les gens pensent que je me trouve très drôle, donc je suis obligé de faire une musique presque funèbre, qui va effacer le sourire du visage du film, et personne ne pense plus alors que « le film se trouve drôle ».

La musique s'intègre dans la bande son, la musique devient même bande son dans un travail de textures, comme l'utilisation d'un sample qui se répète pour définir une ambiance particulière dans TALES FROM THE GIMLI HOSPITAL ? Comment travaillez-vous sur ces bandes sons avec vos bruiteurs et mixeurs ?

G.M : J’aime mixer moi-même la musique mais je ne l’ai jamais vraiment fait pour ça. Quand j’ai réalisé mes premiers films, je mixais sur une basique et vieille machine. On ne pouvait mettre que deux chansons en même temps et on pouvait à peu près contrôler le volume du micro pendant qu’on passait le film. Mais ce qu’on est censé faire, c’est avoir autant de chansons que possible pour que le mixeur puisse se détendre et ne pas se soucier du volume tout le temps. J’avais alors l’habitude de placer mes deux chansons et de retenir où elles étaient… C’est un souvenir un peu inutile, mais c’est ce que je faisais… J’aime ces sons car ils sont primitifs, trop forts, ou pas assez. Tant que l’ambiance et le fond sonore étaient bons et forts, j’étais content. Ensuite, quand j’allais en studio avec les ingénieurs du son, j’étais presque comme leur esclave. Ils ne mixaient quasiment jamais de la façon dont je voulais qu’ils le fassent au début, et j’ai du vraiment me battre parce qu’ils voulaient donner au son une texture conventionnelle pour la télévision alors que je voulais un mixage primaire, comme si un gamin de cinq ans avait joué avec le bouton… J’ai gagné, mais j’ai toujours gardé une certaine colère contre ces techniciens du son, et j’ai perdu leur amitié, si jamais je l’avais eu au départ…

Pourquoi l'utilisation d'un bruitage en générique de fin de ARCHANGEL en lieu et place des habituelles musiques ?

G.M :  Il y avait dans le film un looping d’avion encore et encore… Dans ce cas-là, c’était une musique narrative traditionnelle. Mais à la fin, la musique tourbillonne… Je ne savais pas quoi mettre et j’avais ce petit bruitage d’avion qui ne durait que 11 ou 9 secondes… Je pense que le looping pourrait représenter simplement l’histoire que l’on vient de voir qui va continuer pour toujours, et qui va faire des loopings sans fin, pour les personnages, mais aussi pour le public…

De la même façon, les voix sont comme un poème ou une chanson. Comment travaillez-vous avec les acteurs ?

G.M : Je leur montre comment faire moi-même. Les acteurs détestent ça… car c’est assez insultant, mais très souvent mes personnages ne sont pas vraiment complets, ils sont justes des sortes de stéréotypes, donc j’espère que les acteurs ne sont pas trop vexés si je joue leur rôle pour eux, et qu’ils doivent juste m’imiter ensuite, car c’est vraiment comme ça que l’on apprend à se connaître et c’est comme ça qu’ensuite ils parviennent à dire leur texte. Je suis aussi aidé par mon scénariste Georges, qui écrit tous les dialogues dans un anglais très stylisé, d’une façon naturelle, très réaliste et il faut vraiment de très bons acteurs, très professionnels, pour les unifier dans le monde du film. Et pratiquement personne, même l’acteur le plus naturel sur terre peut dire ces lignes de façon naturelle, car ils sont dans un monde maniéré, stylisé.

Vous arrive-t-il de choisir des musiques pour les faire entendre à vos comédiens sur le tournage ?

G.M : Je l’ai fait parfois, pour DES TROUS DANS LA TÊTE. Le compositeur a visité le plateau, il a joué de l’orgue pendant que les acteurs jouaient, c’était vraiment un plaisir, c’est quelque chose que j’avais toujours voulu faire. Il jouait l’émotion car c’est un film muet et que nous n’avons jamais enregistré la musique. On aurait du le faire car c’est vraiment une merveilleuse musique. En fait, je choisis parfois l’atmosphère pour eux quand ils jouent, ou alors j’ai la musique avant. Ou comme je l’ai dit, je prie pour que le compositeur produise ce qu’il faut. Je suis pratiquement toujours content.

Est-ce que vous montez vos films sur les musiques pour obtenir un certain synchronisme ?

G.M : Oui, les films sont toujours montés avec la musique. C’est parfois une musique temporaire car nous savons que nous n’aurons pas les droits et que nous devrons l’abandonner. Mais ça aide beaucoup de couper sur la musique, pour le rythme. Quand on enlève la musique ensuite, on donne alors au compositeur des images qui ont une sorte de rythme visuel. Il ne lui reste plus qu’à composer quelque chose qui fonctionnera.

Pourquoi puisez-vous dans la musique savante, avec Sergei Prokofiev, Richard Wagner, Chopin... ou Gustav Mahler, pour DRACULA ?

G.M : J’ai toujours pensé mes films comme des contes de fées, modernes ou anciens. La musique classique est vraiment romantique et est une musique symbolique, mais elle est très riche et luxueuse. Mes films à petit budget ou mes cadres simples… ça les enrichit. J’ai appris cela en regardant les films « underground », comme ceux de Jack Smith qui ont des images très simples. Mais ils ont une musique très riche et luxueuse, et du coup, à la fin du film, on a l’impression d’avoir vécu une expérience très forte, même si l’on sait que c’est du petit budget, on se sent enrichit parce que la musique est si belle. Donc j’ai emprunté leur stratégie, c’est sûr.

Et quel est le travail avec les compositeurs de la musique originale, Christopher Dedrick ou Jason Staczek ?

G.M : J'ai vraiment aimé travailler avec ces hommes là, surtout Jason. Parce qu’avec Chris Dedrick, j’ai eu la chance d’avoir plus de temps, et j’ai pu en parler dans tous les sens. Mais avec Jason, pour les deux fois où nous avons travaillé ensemble, dans WINNIPEG MON AMOUR et DES TROUS DANS LA TÊTE, nous avions de telles deadlines, qu’il n’y avait pratiquement aucune chance pour un second tir. Je devais garder ce qu’il me donnait, donc je lui ai dit ce que je voulais, il voyait le film, composait quelque chose que j’ai aimé à cent pour cent. Il a tout suite capté ce que je voulais et en a fait une musique. Je pense que si nous avions eu plus de temps, j’aurai fait mon perfectionniste, j’aurai trouvé quelque chose à lui faire changer, dont je n’aurai pas eu besoin. Mais Chris a aussi fait du très bon travail, mais parce que nous avons eu plus de temps, nous avons travaillé plus lentement. Mais il est tellement talentueux que ça a merveilleusement fonctionné.

 

Interview réalisée le 17 octobre 2009 à Paris par Benoit Basirico / Transcription et traduction par Cécile Chandran / Merci à Emilie Imbert et Manon Ouellette

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