Interview Lidia Leber Terki et Chloé Thévenin / PARIS LA BLANCHE

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Propos recueillis à Paris en mars 2017 par Benoit Basirico - Publié le 30-03-2017




Avec PARIS LA BLANCHE, Chloé Thévenin (connue plus simplement au travers de son prénom Chloé en tant que DJ de musique électronique) signe la musique du premier long métrage de Lidia Leber Terki, ajoutant des instruments traditionnels algériens à sa musique digitale, et retrouve le cinéma après "Je ne suis pas un salaud" (Emmanuel Finkiel, 2015).

Interview Chloé Thévenin et Lidia Leber Terki

Chloé, vous êtes reconnue en tant que DJ, quel lien aviez-vous avec le cinéma avant d'y participer ?

Chloé Thévenin : Je me suis toujours intéressé aux films, et à la musique de film. La musique raconte une histoire dans un film, cela me parle beaucoup. J'ai beaucoup aimé par exemple la bande-son de "Blade Runner" avec les vieux synthétiseurs de Vangelis, qui sont un peu démodés aujourd'hui. Ceci dit, j'ai hâte de voir le prochain "Blade Runner" parce que c'est Jóhann Jóhannsson qui est un compositeur que je trouve en ce moment très intéressant, il sait employer avec finesse la musique électronique dans un film.

Qu'est-ce qui vous plaisait dans la musique électronique ?

C.T : Quand j'ai commencé la musique électronique, je ne me suis pas dit que j'allais faire de la musique électronique, je me suis dit que c'était génial d'avoir un multipiste et de pouvoir faire plein de choses avec, de pouvoir enregistrer des textures brutes, de la guitare et des voix, et mélanger le tout avec de la musique électronique. En gros, cela me permettait juste de faire de la musique toute seule. C'était un moyen pour moi d'être une chef d'orchestre sans communiquer avec d'autres gens.

Comment s'est passée votre collaboration avec Emmanuel Finkiel sur JE NE SUIS PAS UN SALAUD (2016) ?

C.T : Il m'a contacté car il a adoré mon morceau "Word for Word" qui était sorti sur un de mes albums. Il a imaginé ce morceau dans son film en me prévenant que jusque-là il ne m'était pas de musiques dans ses films. Là, il avait envie d'essayer avec ce morceau. Puis il m'a demandé de recomposer quelque chose un peu dans l'esprit. J'ai fait des propositions, mais il avait tellement le morceau en tête dans l'écriture au moment du tournage et du montage qu'il était compliqué pour lui de s'en détacher.

Lidia, pourquoi le choix de Chloé pour PARIS LA BLANCHE ?

Lidia Leber Terki (à gauche sur la photo) : Chloé a souvent fait la musique de mes court-métrages. Cela a commencé assez tôt, sur MAINS COURANTES (2001). Ensuite, comme elle faisait la musique de mes courts, quand elle a fait son clip, j'en ai fait l'image. Je l'ai aussi pas mal filmée pendant un certain temps, donc naturellement pour mon premier long je trouvais intéressant d'avoir encore cette collaboration qui marche. Il n'y a pas de raison de l'arrêter.
Il y a un croisement d'univers qui fonctionne. J'ai parfois une façon de travailler qui peut être un peu flippante. J'ai compris que je ne dois pas trop intervenir. Je fais confiance, puis on réajuste un peu. Mais Chloé, tout de suite elle tape juste. Sa musique se décale de l'image, c'est un univers en soi. Elle a cette façon d'être en dehors de l'image, de ne pas coller, les univers se croisent.

Chloé, présentez-nous le film et votre proposition musicale...

C.T : Ce film est l'histoire d'une femme qui part de son village en Algérie pour retrouver son mari. Elle fait ce voyage seule, elle le cache à sa famille. Il y a toute une première partie du film qui correspond au voyage de Rekia. Elle est seule, fait des rencontres, on est dans son voyage. J'ai d'ailleurs écrit un morceau qui s'appelle "Le voyage de Rekia" où j'ai utilisé du Oud et de la Mendole. L'idée était vraiment d'être dans sa tête, dans sa quête, et lorsqu'elle est à Paris, la musique s'efface, mais on ne perd pas de vue sa quête, il y a toujours cette petite mélodie qui revient. C'est ce qui nous tient du début à la fin. C'est ce qui fait le lien entre le personnage et l'histoire.

Comment est apparue l'idée de convoquer des instruments algériens, ce qui n'est pas dans vos habitudes ?

C.T : Lidia est arrivée avec un morceau de musique qu'elle avait en tête, que son père lui jouait au Oud quand elle était jeune. C'était l'idée première de la musique de ce film. Lidia est arrivée avec un souvenir, j'aimais bien cette idée de mémoire, de nostalgie, c'est lié à l'histoire de cette femme qui n'a pas vu son mari depuis 48 ans. Il y a donc eu l'idée de travailler avec des musiciens algériens. Lidia m'a présenté à un musicien, Medjoubi Khireddine, qui connaît d'autres musiciens. Quand je lui ai fait écouter la petite mélodie, il a voulu de la mandoline. Je lui ai indiqué que Lidia voulait du Oud, mais il était certain de son choix. On a eu différentes discussions, et il a donc fait appel à d'autres musiciens algériens qui sont venus enregistrer à mon studio. Il y a donc un joueur de Mandole et de Oud (Baazi Mohamed) et un joueur de Zurna (Hadj Khalfa), qui est un instrument traditionnel qui ressemble un peu à de la cornemuse mais qui ressemble à une petite trompette qui se joue très très fort.

L.T : Ce mélange de deux cultures fait partie de moi. Et cela fait partie de beaucoup de personnes en France, quelque soit l'origine. Je trouvais intéressant de réussir à mélanger les musiques algérienne et électronique sur une musique de film.

C.T : Ce mélange se fait en finesse, en évitant les clichés. L'exercice pour moi était de ne pas tomber dans la caricature. Il fallait mélanger en finesse et d'amener à quelque chose d'universelle. Je ne savais pas au départ ce que cela allait donner. Quand on a enregistré avec Khireddine, au départ, il était venu en tant que percussionniste, puis il m'a présenté ses musiciens très talentueux, et à un moment il s'est mis à chanter sur la mélodie, ce n'était absolument pas prévu. Ce sont des musiciens très spontanés qui aiment partager. La musique algérienne se transmet à l'oral, il n'y a pas de partition, de la même façon que Lidia m'a transmis à l'oral sa mélodie. Cette collaboration s'est faite de manière intuitive. Des choses inattendues sont apparues. C'est ce que je retrouve aussi dans la musique électronique où il y a beaucoup d'improvisation. J'ai aussi enregistré de la guitare que j'ai jouée, l'idée était aussi de convoquer des sonorités plus classiques et occidentales.

Que pensez-vous du rapport entre les aspects mélodiques et texturaux...

L.T : J'aime le côté mélodique dans la musique électronique. J'aime bien m'accrocher à une mélodie même si elle est en sous-couche.

C.T : J'aime jouer sur les harmonies, essayer de trouver des choses qui s'allient et vont bien ensemble, quelques fois un peu dissonantes, mais qui deviennent harmonieuses. Mixer, c'est passer des morceaux qui ont des textures différentes, des sonorités différentes, mais qui sont au final assez cohérents, c'est de créer quelque chose, d'amener à quelque chose, il y a un enchaînement d'un morceau à un autre. Ce que j'ai acquis dans le Djing, je l'exploite dans la production musicale.

Comment avez-vous travaillé avec les sons du film, notamment au mixage ?

L.T : On a pris des petits bouts de la musique de Chloé que l'on a insérés dans les vagues, puis on a ajouté des cris humains. Tout cela participe au rythme. Sur la fin du film, à la gare, sur un travelling de train, on a tordu la musique avec les bruits de la gare. Chloé ne met jamais sa musique en avant, ce sont juste des petites notes qui viennent de loin, et ensuite au mixage on a fait en sorte que ce soit le plus loin possible, le plus nostalgique possible, ce sont des petites notes évanescentes.

Chloé, par rapport à votre travail d'albums, que pensez-vous du travail plus contraignant au service d'un film ?

C.T : Ce qui m'attire le plus, c'est la personne avec laquelle je vais collaborer, quelque soit le médium, cela peut être du théâtre, de la poésie, du cinéma... Parfois il peut y avoir des univers très intéressants, mais qui ne se rencontrent jamais. Avec Lidia, on a eu une histoire, on se connaît, on connaît notre point de rencontre.

 

Propos recueillis à Paris en mars 2017 par Benoit Basirico

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