Interview B.O : Maurice Jarre, rencontre exclusive

[Flashback à l'occasion du Concert du Prix France Musique-SACEM 2024

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Entretien réalisé à Paris le 27 avril 2006 par Benoit Basirico

- Publié le 01-01-2006




Il a travaillé avec les plus grands de toutes les nationalités : français (Camus, Demy, Franju, Oury, Resnais), italiens (Visconti, Zeffirelli), espagnols, (Berlanga), hongrois (Szabo), allemands (Schlöndorff, Petersen), anglais (Hitchcock, Figgis, Lean), australiens (Miller, Weir), japonais (Masuda), mexicains (Arau),américains (Cimino, Eastwood, Huston, Kazan, Stevens, Wyler).

Interview Maurice Jarre

Votre rencontre avec Georges Franju s'est faîte sur HÔTEL DES INVALIDES ?

J'ai été directeur musical du TNP de Jean Vilar et j'ai écrit ma première musique en 1951, « Le Prince de Hambourg » pour le Festival d'Avignon. Franju est venu assister à une représentation de cette pièce au Palais de Chaillot avec le TNP. A chaque représentation, Vilar voulait un orchestre vivant pour interpréter ma musique. Franju m'a demandé à la fin d'une de ces représentations de lui faire la musique d'un documentaire qu'il a réalisé, HÔTEL DES INVALIDES, un film commandé par le ministère des armées. Il en a fait un document antimilitariste et finalement, il n'a pu passer que parce qu'il a ajouté au début un texte sans signification particulière qui a satisfait les ministres qui ont donné leur accord de jouer ce film dans les salles. Puis ensuite, il m'a demandé de lui faire la musique de son premier long métrage, LA TÊTE CONTRE LES MURS, et c'était ma première musique pour un grand film.

Et ce fut votre rencontre avec Jean - Pierre Mocky...

Oui, il jouait dans le film de Franju et il m'a demandé par la suite de lui composer la musique de son premier film LES DRAGUEURS.

Votre travail sur les films de Franju se construit sur un contrepoint aux images d'horreur...

Franju est un provocateur anarchiste et quand il m'a dit d'écrire la musique de HÔTEL DES INVALIDES, il m'a parlé d'une scène avec le statut du général Mangin dont le visage avait été abîmé par un boulet lors de la guerre, et il a fait un travelling sur cette statut défigurée d'un général et m'a demandé une jolie petite valse. La musique devait pour Franju toujours être en contrepoint, toujours contre l'image, jamais illustrer la scène. J'ai appris cela avec lui, mais aussi beaucoup plus tard avec David Lean.

Vous composiez du jazz à vos débuts...

Ce fut des musiques de sources, de "surprise party"... dans certains cas, le compositeur doit aussi composer ces musiques là.. Mais dans la majorité des cas, le réalisateur utilise des disques préexistants. Il est tout de même intéressant d'en écrire.

Votre travail musical au montage et au mixage n'est pas altéré ?

Je compose aussi moi-même au montage pour le synchronisme. En ce qui concerne le mixeur, il fait ce que veut le metteur en scène, donc il s'exécute. Il y a rarement de problèmes. Cela dépend du réalisateur, s'il veut que la musique soit en dessous, le mixeur le fait.

Des thèmes sont reconnaissables chez David Lean, tandis que dans la période française, ils sont moins perceptibles avec un souci davantage porté sur les timbres, le choix des instruments...

Chez Franju, les thèmes sont plus cachés. J'ai toujours essayé d'inclure des sons inouïs dans mes partitions. J'ai utilisé par exemple les Ondes Martenot dont je me suis servi aussi bien chez Franju que chez Lean. C'est un instrument qui est l'ancêtre du synthétiseur et qui a des sons que l'ont ne peut même pas reproduire avec les synthés actuels. J'ai toujours voulu apporter des sons d'instruments ethniques, d'Amérique du sud, du Bali, de Pologne, c'est une habitude chez moi. Dans SOLEIL ROUGE, j'ai utilisé des bruits étranges au sein d'une instrumentation classique. J'ai appris au conservatoire de Paris les sources des musiques ethniques, du sud-est de l'Asie, des sons russes avec les Balalaïkas que j'ai utilisés dans DOCTEUR JIVAGO, des instruments percussifs d'Afrique noire… et c'est toujours une préoccupation d'inclure ces sons barbares dans des partitions modernes ou classiques.

Dans LAURENCE D'ARABIE, j'ai utilisé des percussions que l'on n'utilisait pas habituellement. On enregistrait à Londres et j'ai demandé à ce que des ondistes de France jouant des Ondes Martenot viennent à Londres pour être intégrés à cet orchestre.

Quel rapport entreteniez-vous avec les autres compositeurs français de vos débuts ?

Aucun rapport, c'est très curieux. Georges Delerue, Michel Legrand, Pierre Boulez étaient au conservatoire avec moi, et on n'a jamais eu de relations amicales. Tandis que lorsque je suis arrivé plus tard aux Etats-Unis, la première semaine je ne connaissais personne et Henry Mancini m'a invité à un dîner un samedi soir en me présentant à d'autres musiciens. Il y avait Quincy Jones, Lalo Schifrin, Elmer Bernstein. J'étais surpris et me demandais ce qu'ils me voulaient en tant que français. Et bien c'était tout simplement pour me souhaiter la bienvenue. En France, on n'a jamais pris le temps de se connaître.

A vos débuts, vous composiez majoritairement des premiers films comme ceux de Franju et Mocky...

J'ai aussi travaillé avec Jacques Demy sur un court-métrage, sur un premier film pour les assurances de Jean-Paul Rappeneau, et le premier film de Gérard Oury LA MAIN CHAUDE. Puis ensuite, j'ai travaillé avec Frédéric Rossif sur MOURIR A MADRID. J'ai fait plusieurs films produits par Nicole Stéphane, productrice au TNP.

Et de la France aux Etats-Unis, le système est complètement différent...

Je suis d'abord passé par Londres lorsque Sam Spiegel et David Lean m'ont demandé de faire LAURENCE D'ARABIE, composé et enregistré à Londres. Ce fut mon premier O scar. Puis un metteur en scène américain, William Wyler, m'a demandé de venir à Hollywood pour travailler et enregistrer la musique de THE COLLECTOR qu'il venait de finir. J'y suis donc allé. Sur le plan professionnel, je fus surpris par leur système de part le changement avec la France. Là-bas, les musiciens sont très ponctuels aux séances d'enregistrement. J'ai appris un vrai professionnalisme, le travail strict. Sur le plan technique, les moyens étaient là. Il y avait un grand orchestre rémunéré à l'année dans chaque grand studio. Columbia ou MGM avaient leur propre orchestre. Je me souviens d'avoir composé pour la Fox où j'ai d û travailler avec leur orchestre.

Vous n'étiez pas affilié à un studio en tant que compositeur à Hollywood ?

Je passais d'un studio à un autre. Puis ce fut l'arrivée des productions indépendantes dans les années 60 qui n'avaient plus d'orchestre propre, et ils faisaient appel à des " contractors " qui convoquaient les meilleurs musiciens pour vous satisfaire comme une sorte d'orchestre sur mesure. Mais j'ai travaillé surtout avec des grands orchestres européens comme le LSO de Londres (London Symphony Orchestra) avec des musiciens qui jouent tout le temps ensemble : il y a un meilleur son que dans un orchestre dont les musiciens ne se connaissent pas. C'est un avantage d'enregistrer avec un orchestre constitué.

Dans des projets d'ampleur, le studio vous impose un orchestrateur. Par exemple, sur LAURENCE D'ARABIE, vous avez travaillé avec Gérard Schurmann qui au final voulait imposer ses idées..

On m'a demandé pour LAURENCE D'ARABIE de composer deux heures de musiques en six semaines, on m'a donc proposé quelqu'un pour m'aider sur le plan de la copie. J'ai écrit ma propre orchestration, mais lorsque la partition comporte plusieurs portées avec les même notes, il y a quelqu'un qui va mettre la flûte, le hautbois et la clarinette avec des octaves différentes. Cela me permet d'écrire qu'une seule ligne. Un copiste intelligent doit transcrire cela. C'est ce qu'on appelle un orchestrateur. Mais le plus souvent ce dernier veut interférer sur le travail du compositeur en donnant ses idées à l'orchestration, tandis que lorsque j'écris une musique, l'orchestration vient en même temps. J'ai donc eu des problèmes avec Gérard Schurmann lorsque je voulais qu'une ligne mélodique soit jouée avec trois flûtes et que lui n'en voulait qu'une. En plus de ce genre de détail, j'ai appris que Sam Spiegel ne voulait pas lui payer le tarif d'orchestrateur, en lui disant que de toute manière je n'aurais pas le temps de finir mon travail et que donc il serait probablement amené à composer lui-même de la musique originale : en fonction de cela, il lui a demandé de travailler gratuitement en pensant qu'il toucherait des droits d'auteur. Lorsque j'ai appris cela, j'ai dit à Sam Spiegel que soit il lui payait son travail de copiste, soit je me retirais. Au final, Gérard Schurmann, qui est tout de même un excellent musicien, s'est contenté de sa fonction initiale.

Et sur DOCTEUR JIVAGO...

Après l'expérience de LAURENCE D'ARABIE, j'ai fait très attention et il n'y a pas eu de problèmes. De plus, je connaissais très bien les Balalaïkas en les ayant étudiés au conservatoire, alors j'ai pu écrire chaque ligne une par une pour cet instrument.

Quant à votre collaboration avec Alfred Hitchcock pour TOPAZ, vous n'aviez pas l'impression de faire du remplacement de Bernard Herrmann ?

Non, car ils s'étaient fâchés sur LE RIDEAU DECHIRE, son précédent film. Aux Etats-Unis, il n'y a pas comme en France ces jalousies lorsqu'un musicien fait un travail réussi par rapport à ses collègues. Lorsque Hitchcock m'a demandé de faire la musique, il n'y a jamais eu de compétition avec Herrmann. Il y a certains réalisateurs qui me demandaient de faire une musique puis changeaient de compositeur le film suivant. Il n'y a aucun problème à cela.

Herrmann a laissé une telle trace sur les films d'Hitchcock que vous n'étiez pas tenté d'imiter son style ?

Non, car Hitchcock voulait autre chose. J'aurais fait la même musique pour un autre cinéaste. Le syndrome Herrmann n'a donc pas joué sur moi. En plus, apparemment, c'était un très bon musicien mais d'un tempérament désagréable, il a eu beaucoup de récompenses, et était très amer, virulent, surtout vis à vis des jeunes. Donc je n'ai pas eu de remord ni de complexe à prendre sa place. Lorsque Hitchcock m'a demandé de faire la musique du film, je voulais lui proposer des maquettes, de lui faire entendre des thèmes, mais il était surpris par cette démarche. Je lui ai affirmé que c'était son film, mais il persistait à me dire qu'il fallait que je fasse ce que je voulais, il m'avait choisi en fonction de cela, en ajoutant que si cela ne lui plaisait pas, il le couperait au montage. J'ai tout de même demandé à ce qu'il soit présent à l'enregistrement de la musique, car si certaines choses ne lui plaisaient pas je pouvais l'arranger. Il est donc venu pour me faire plaisir. Il était sur son fauteuil. Après avoir joué la première séquence, je me suis retourné et il avait disparu. Il n'est ensuite plus revenu assister à mes enregistrements. Je me suis dit qu'il ne devait pas aimer. Mais finalement c'est tout le contraire, et pour me récompenser de cette musique, il m'a offert un carrousel. Il a d'ailleurs mis dans le film toute la musique que j'avais écrite. Ce fut une bonne expérience, mais j'avais l'habitude que le cinéaste me questionne, assiste à l'enregistrement, tandis que là j'étais totalement dans le noir.

Un réalisateur vous a-t-il déjà demandé de faire du mimétisme, imiter un style ?

Non, et de toute façon j'aurais refusé. Dans ce cas, autant que le réalisateur aille à la source de ce qu'il veut. D'ailleurs, pour David Lean, c'était tout le contraire. Pour LA FILLE DE RYAN, il ne voulait surtout pas de musiques pseudo irlandaises, et pour LA ROUTE DES INDES, il ne voulait surtout pas des relents de musiques indiennes. Il était très bien.

Vous avez composé plusieurs films de guerre, et là encore, vous évitez les clichés des tambours battants , des marches militaires ou des hymnes patriotiques...

J'ai commencé avec Zanuck avec LE JOUR LE PLUS LONG, puis PARIS BRULE T-IL ? Il y a eu aussi pour Verneuil WEEK END A ZUYDCOOTE. Pour moi une bonne musique de film doit dire ce que l'image n'a pas su dire. Elle doit meubler une chose qui n'a pas pu se réaliser. Pour LA ROUTE DES INDES, il y a une séquence où le personnage féminin passe dans des jardins avec des sculptures érotiques, et David Lean me demande de retranscrire en musique ce que cette fille sent car il ne pouvait le faire voir avec une caméra. C'est typiquement ce qui est intéressant pour moi en composant pour le cinéma.

Vous avez d'ailleurs pu dire ultérieurement "un film sans musique serait une erreur"...

Je paraphrasais Nietzsche (1) , mais c'était plutôt une boutade (rires). Il y a de très bons films sans musique.

Votre intérêt pour l'électronique se fait sentir dés les années 80 avec WITNESS...

Je me suis toujours intéressé à la musique électronique depuis la découverte des Ondes Martenot. Pendant des années, j'ai essayé de persuader des metteurs en scène d'avoir une partition électronique avec des synthétiseurs pour essayer d'écrire avec une technique spéciale. Je n'avais jamais réussi avant cette rencontre avec Peter Weir pour qui j'avais déjà composé de l'électronique, sur L'ANNÉE DE TOUS LES DANGERS , non pas avec des synthétiseurs, mais en passant directement avec un ingénieur. Pour WITNESS, Peter Weir était d'accord pour de la musique électronique que j'ai enregistrée avec huit synthétiseurs, chaque joueur était formidable, c'était de purs électroniciens.

Est-ce vous qui avez donné le premier synthétiseur à votre fils ?

Non, pas du tout, Jean-Michel a fait tous ses essais lui-même. Je ne peux pas dire que je l'ai conseillé, je n'ai eu aucunes influences sur lui. Il a été très doué pour ce genre de chose. Il faut mentionner que j'ai été le premier compositeur à écrire une musique pour un spectacle de sons et lumières, pour le Château de Chambord. Et les spectacles de Jean-Michel sont un peu du son et lumière très sophistiqués, c'est le même concept de projeter des lumières avec une musique.

Vos derniers succès remontent aux années 90, avec GHOST et LE CERCLE DES POÈTES DISPARUS...

C'est un hasard. Pour LE CERCLE DES PO È TES DISPARUS, j'avais travaillé cinq fois avec le réalisateur Peter Weir, je travaillais très bien avec lui, il m'a demandé naturellement de faire la musique de ce film-là. Pour GHOST, c'est Jerry Zucker pour qui j'avais travaillé sur un film très satirique qui m'a demandé de faire la musique de GHOST en me disant qu'il y aurait une chanson et que ma musique y serait associée, en me proposant soit de composer à partir des arrangements de celle-ci, soit de composer une musique complètement originale, ce que j'ai fait.

On parle de succès, mais on ne sait jamais si un film dont vous écrivez la musique sera un succès. Je cherche à faire un travail précis sur un film sans me soucier d'autre chose. Certains me disent que sur DOCTEUR JIVAGO, je devais bien savoir que le film serait un succès, mais pas du tout. J'étais davantage préoccupé à finir la musique en temps et en heure. Car le souci de la musique de film est qu'elle intervient à la fin du film, au moment où la sortie du film est déjà calée, ce qui précipite le travail du compositeur. La musique arrive en dernier, et la faire le plus rapidement possible est quelque chose qui vous mine.

Et pourquoi ne composez-vous plus pour le cinéma aujourd'hui, ce ne doit pas être les propositions qui manquent ?

Pour vous donner un exemple, après le succès de la musique de DOCTEUR JIVAGO, le disque a battu Les Beatles pendant six semaines : dans les meilleures ventes, il y a eu « Maurice Jarre » en numéro un, puis « Les Beatles » en numéro deux (rires), et bien après cela, j'ai attendu six mois avant d'avoir une offre pour un autre film. Je me suis demandé quelles en étaient les raisons, et j'ai pensé que certains réalisateurs s'étaient dit que désormais j'avais la grosse tête et qu'on ne pouvait plus rien me demander. Mais il n'y a aucunes raisons. Les gens qui me connaissaient savaient que ma tête n'avait pas gonflé de trois centimètres. J'ai eu la chance de travailler par la suite avec des gens totalement différents de David Lean dans leur approche musicale, comme avec Volker Schlöndorff sur Le TAMBOUR.

Et dans ces vingt dernières années, c'est ce même problème de peur pour de jeunes réalisateurs de vous proposer leur film ?

J'ai quand même travaillé récemment avec un jeune réalisateur américain, Jon Avnet, sur UPRISING . Cela va vous paraître pompeux ce que je vais vous dire, mais après avoir travaillé avec David Lean, Alfred Hitchcock, John Huston, Luchino Visconti... c'est très difficile de trouver une bonne histoire.

Et puis aussi, dans le début de mon parcours, j'ai eu des problèmes très forts avec mes premières épouses pour lesquelles je devais payer des pensions alimentaires suite aux divorces, et à partir de là j'étais obligé d'accepter tout ce qui m'était proposé : j'ai donc eu la chance d'avoir des demandes de bons réalisateurs. Ensuite, lorsqu'on devient plus vieux et plus sage, on se rend compte qu'il vaut mieux choisir. Il est plus intéressant de refuser à priori un projet de film qui ne vous procure pas un choc. Pour écrire une musique de film, il faut être passionné. Il faut un déclic à la vue des images d'un premier montage.

Mais aujourd'hui, vous avez tout de même de grands réalisateurs aux projets aussi ambitieux que ceux de David Lean ?

C'est très rare. Vous avez par exemple de grands réalisateurs comme Steven Spielberg qui travaille toujours avec le même compositeur , John Williams, qui est un très grand compositeur et il n'y a aucune raison pour qu'il en change. Je n'ai pas de chocs émotifs avec d'autres réalisateurs. Et il n'y a pas que le réalisateur, il y a aussi l'histoire qui doit intéresser. Je reçois beaucoup de scripts qu'on m'envoie, beaucoup de très "débiles" et d'autres qui ne demandent pas de musiques car les "sound-effects" dominent. Quand même, les Lean , les Hitchcock ou les Huston, avaient des histoires fantastiques supportées par la musique, et regardez la production actuelle...

Mais je pense par exemple à Terrence Malick pour lequel je verrais bien votre musique.. .

Je l'ai connu très jeune lorsqu'il étudiait. C'est justement un réalisateur avec qui j'aurais aimé travailler. Il en a choisi d'autres et c'est très bien. Il y aussi les réalisateurs qui ne choisissent pas de travailler avec moi.

Vous continuez tout de même à composer des musiques de scènes, de ballet, des opéras...

Exactement. J'ai fait de la musique de chambre et je trouve cela formidable. J'ai travaillé avec un trio coréen "Han Trio " qui est magnifique, et j'ai écrit une partition inspirée par la Suisse où j'ai une maison. C'est formidable de travailler sans avoir la responsabilité de finir à une date précise, et d'être libre de faire ce que vous voulez.

Quel regard portez-vous sur les compositeurs français actuels ?

Je connais très bien Gabriel Yared que je trouve être parmi les deux ou trois compositeurs en France que j'admire. J'ai aussi une admiration pour lui pour une raison particulière : j'avais reçu un prix à la SACEM et il était présent, il avait écrit déjà plusieurs musiques de film qui ont eu du succès, et m'a dit lorsqu'on a parlé ensemble que malgré le succès il arrêtait tout pendant deux ans car il ne pensait pas être suffisamment savant au niveau musical, et voulait prendre des leçons d'orchestration, de fugue, de contrepoint. J'ai trouvé cela fantastique dans cette pureté, dans cette volonté d'acquérir des bases. J'ai une grande admiration pour lui, il dit d'ailleurs que je suis son frère (rires). Il y a aussi Alexandre Desplat que je trouve excellent. Mais je ne suis pas le cinéma français car je voyage beaucoup et réside aux Etats-Unis...

Quel souvenir avez-vous de votre concert à Lyon le 20 avril 2006...

Ce fut formidable, car cela faisait plusieurs années que j'avais envie de faire un concert dans ma ville natale. Emmanuel Krivine qui était en 2000 le directeur musical de l'Orchestre de Lyon m'avait dit qu'il désirait ce concert, mais la fin de son mandat l'a empêché. Puis il a fallut attendre l'appui logistique de la mairie pour pouvoir disposer de la salle et de l'orchestre. Quatre très bonnes répétitions avec des musiciens coopératifs ont suffit à faire un très beau concert , avec un public qui ne voulait pas me laisser partir. Quand je dirige ma musique, j'oublie que c'est moi qui ai composé ces musiques, je suis dans la peau d'un technicien qui essaie de ne pas trahir le compositeur (rires). Aussi, le chef d'orchestre ne doit pas battre la mesure tout le temps, on dirige l'orchestre plus avec les yeux qu'avec les mains.

Pour finir, parlez-nous librement de choses qui vous tiennent à coeur...

Certains journalistes pensent que mon travail en France était meilleur que lorsque je suis parti. C'est stupide. On m'a construit une maison à 2000 mètres en Suisse à St-Moritz, je ne pense pas qu'il y ait des échos du "Ranz des Vaches" ( chanson traditionnelle suisse ) dans ma musique. On a tendance en France à dire que je suis parti aux Etats-Unis. Tout d'abord, je ne suis pas parti, on m'a demandé d'y aller. J'ai aussi travaillé en Allemagne avec Schlöndorff, en Italie avec Visconti, à Londres avec Lean...

Mais vous n'êtes jamais revenu en France sur des films français...

Mais parce qu'on ne m'a pas demandé, je ne peux pas dire que j'ai refusé. Ça m'aurait fait plaisir de travailler avec de jeunes réalisateurs, mais l'essentiel est que le film me procure un choc. Ça m'est arrivé de m'engager dans un film qui au final me décevait, mais une fois le contrat signé, c'est trop tard. Par exemple, j'avais signé pour faire la musique de TAI-PAN d'après le roman de James Clavell, car j'avais fait la musique de SHOGUN du même auteur. Je ne connaissais pas le metteur en scène, Daryl Duke, qui était aussi responsable d'une émission de radio. Il était toujours dans sa radio, et au final, je travaillais davantage avec sa productrice Raffaella De Laurentiis (fille de Dino). Le film n'était pas réussi. Ce qui arrive aussi, c'est lorsque le metteur en scène n'est pas ami avec le producteur, dans ce cas le compositeur est entre les deux. Mais dans la majorité des cas, ça s'est bien passé, avec des gens sympathiques, de toute nationalité. Finalement, je n'ai pas fait beaucoup de films typiquement américains. Sur 170 musiques, j'ai peut-être fait cinq films avec des cinéastes vraiment américains, comme William Wyler...

Avez-vous eu les déboires d'une musique rejetée ?

J'ai eu ce problème sur THE RIVER WILD de Curtis Hanson. J'ai travaillé très sérieusement avec le réalisateur qui était tellement content de la musique enregistrée qu'il a aussitôt appelé une maison de disque, et donc le disque était prêt alors que le film n'était pas fini... Quand il a montré le film au directeur du studio Universal, celui-ci a décrété ne pas aimer ma musique, et vouloir quelqu'un d'autre, sans me demander le moindre changement. Il ne me voulait tout simplement pas (c'est finalement Jerry Goldsmith qui l'a composée, et qui retrouvera le cinéaste ensuite sur "L.A Confidential"). Le réalisateur n'avait pas le pouvoir de résister. Je n'étais pas déshonoré car ce n'était pas mon problème. J'ai le droit de garder la musique que j'ai écrite, mais je n'ai pas le droit de dire que c'est la musique de THE RIVER WILD, ni de l'utiliser pour un autre film.


Entretien réalisé à Paris le 27 avril 2006 par Benoit Basirico


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