Interview B.O / LA BELLE ET LA MEUTE : Amine Bouhafa, la musique d'un espoir

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Propos recueillis par Benoit Basirico

- Publié le 17-10-2017




Le compositeur tunisien Amine Bouhafa (Timbuktu) fait la rencontre de sa compatriote Kaouther Ben Hania, avec une partition oppressante qui illustre la lutte de la jeune Mariam (la belle) pour la reconnaissance de l'agression sexuelle causée par des policiers (relatée par neuf plan-séquences), tout en insufflant un espoir (par l'emploi du Cristal Baschet), et fait exister au sein de son architecture sonore singulière une voix soliste, la viole de gambe.

Cinezik : Quelle était l'intention musicale pour LA BELLE ET LA MEUTE ?

Amine Bouhafa : C'est un film fort, à propos engagé, il fallait que la musique ne double pas l'émotion. Il fallait vraiment que la musique ne fasse pas de pléonasme pour que l'image ne la rejette pas. La direction qu'on a choisie avec la réalisatrice Kaouther Ben Hania, c'était d'accompagner la prétendante et sa métamorphose. C'est un personnage que l'on voit changer, se métamorphoser, tout au long du film. Il y a un aspect temporel important dans le fait que le film a été tourné sur 9 plans séquence, donc la réalisatrice voulait étirer l'unité temporelle pour que l'on puisse vivre le périple et le combat qu'est en train de vivre la prétendante.

Il y a un peu la notion de "temps réel" qui instaure une immersion... avec ce montage en 9 plan-séquences, ce découpage en 9 chapitres... Quelle incidence ce dispositif a sur le travail musical ?

A.B : D'habitude, le compositeur arrive sur un film après tout un processus, souvent en phase de montage. Ici, il y a eu bien sûr du montage pour choisir et recoller les neufs plan séquences. Mais à la fin du tournage, le film était déjà quasiment fini. Donc le rythme était déjà là, il n'y avait pas la possibilité de recouper. Donc la musique était là pour aider à fluidifier tous ces plans, les jeux de caméra, épouser la musicalité inhérente au film. Dans la manière dont le film est fabriqué cinématographiquement, il y a une certaine musicalité, dans le tempo de la mise en scène, dans le mouvement de caméra... La musique vient approfondir le champ.

Le sujet du film est presque documentaire, aspect accentué par les plans-séquence, comment la nécessité de la musique est apparue pour la réalisatrice ?

A.B : Kaouther Ben Hania voulait une musique d'une grande humilité par rapport au sujet, qu'on ne se rende pas compte de sa présence, mais sans elle le récit ne tient pas. Cette manière de créer un équilibre était important. Elle voulait une musique acoustique mais très texturale, en rupture avec une musique opératique. Ce film a un engagement fort, il condamne des pratiques qui ne sont pas propres à une région du monde, mais qui se retrouvent dans le monde entier.

Et la musique aussi a une forme d'engagement, lorsqu'elle rend au personnage sa sensualité. La jeune femme s'est faite arracher sa féminité, et la musique lui rend...

A.B : C'est un choix de la réalisatrice, d'autant qu'on ne voit pas le viol à l'écran. On a choisi de l'identifier en musique, de lui attribuer une identification sonore, à travers l'instrument de la viole de gambe. Il n'y a pas d'agressivité, c'est dans une douceur, une ambiance, avec de l'espoir à la fin.

Le travail sonore est lui-aussi très riche...

A.B : Il y a une cohue sonore, les sons partent dans tous les sens, la musique vient là pour remettre de l'ordre, avec un rythme haletant, tel un cœur qui bat, et des cordes qui ouvrent le spectre. Je salue le travail de Raphaël, Florent et Thierry. Le son fait partie intégrante du film, la musique et le son s'imbriquent ensemble. La musique et le son se passent le relais. Il y a beaucoup d'éléments sonores traités et incorporés qui nous permettent de vivre ce que la prétendante est en train de vivre. L'idée n'était pas d'avoir un son qui laisse les spectateurs simple spectateurs, mais de l'intégrer au cœur de ce qui se passe. Et la musique crée une sorte de bulle autour du personnage, notamment dans certaines scènes où le son disparaît, et la musique prend le dessus et créé une bulle psychologique.

Malgré sa gravité, le film est résolument optimiste...

A.B : Oui, car c'est une métamorphose. L'espoir est personnalisé dans la partition par des instruments cristallins, comme le Cristal Baschet, ou des cordes au timbre moderne, avec des techniques empruntées à la musique contemporaine... des cloches, des guitares préparées, jouées avec des archers. Cela crée une sorte de textures. L'idée était de créer une identité sonore propre à ce film.

 

Propos recueillis par Benoit Basirico


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