Interview B.O : Cyrille Aufort, un premier long métrage (HELL), et un film fantastique canadien (SPLICE)

aufort,hell,splice, - Interview B.O : Cyrille Aufort, un premier long métrage (HELL), et un film fantastique canadien (SPLICE)

Propos sur HELL recueillis à Paris le 15 mars 2006 par Damien Deshayes / Propos sur SPLICE recueillis à Aubagne le 20 mars 2010 par Benoit Basirico - Publié le 20-03-2010




Alors jeune orchestrateur, Cyrille Aufort signe en 2006 sa première B.O pour HELL de Bruno Chiche jusqu'à rencontrer en 2010 le canadien Vincenzo Natali pour SPLICE.


HELL

Cinezik : Comment êtes-vous arrivé sur HELL ?

Cyrille Aufort: Marie Sabbah, mon agent, m’a dit de faire une maquette sur le film HELL et de le présenter à Bruno Chiche. La maquette a plu à Bruno pour certaines raisons. C’était la scène de la séparation, une séquence très longue, avec une atmosphère. Ce qui a plu au réalisateur, c’est l’évolution musicale, entre le début où on est dans un appartement très bourgeois, et la fin où elle se retrouve en boîte. J’avais fait une petite trame qui s’achevait avec quelque chose de plus orchestré. Il avait des réserves sur le langage, il trouvait cela trop « thriller ». Mais vu que j’ai continué par la suite, je pense que cela a du lui suffire.

Je n’avais vu que cette séquence : je ne connaissais pas le contexte du film. Je n’avais jamais parlé à Bruno Chiche avant donc je ne savais pas ce qu’il voulait exactement. Sur cette scène il y avait une musique préexistante. J’ai vu la direction musicale du temp-track, j’ai écrit une musique que Bruno Chiche a trouvé trop thriller et que j’ai entièrement réécrite ensuite.

Votre musique pour HELL est plus éthérée, avec beaucoup de cordes. L’utilisation de ce pupitre semble appuyer pour certains le côté cliché de cette histoire. Est-ce voulu ?

Ce n’est pas facile de répondre à ça. Je ne me suis jamais posé la question. Ce qui était difficile avec cette musique, c’est qu’il ne fallait pas tomber dans le thriller ni dans un romantisme exacerbé façon XIXème. Il fallait rester entre les deux, sans jamais tomber d’un côté comme de l’autre. Il y a une façon de traiter les cordes qui est très néoclassique, mais ce n’est pas conscient de ma part. La musique sur ce film devait avancer de façon masquée. Bruno Chiche parlait d’un poison qui se distille progressivement. C’est un mal-être qu’on doit ressentir tout le temps. On est un peu du côté du romantisme avec l’utilisation de cordes lyrique, et du côté du thriller, avec un piano dans l’aigu, un climat épuré. Mais ce n’est qu’un ressenti.

Avez-vous été influencé par des compositeurs au moment d’écrire pour les cordes? Par des compositeurs comme Desplat ou Vaughan Williams par exemple ?

C’est possible. Mais le temp-track, qui était un peu néo, m’a certainement influencé : il me faisait penser à certaines choses de Morricone.

Vous considérez donc le temp-track comme une source d’inspiration et non pas comme une contrainte?

Je n’ai pas vraiment eu le choix. Comme je ne connaissais pas le film, il fallait que j’écoute le temp-track pour connaître les intentions du réalisateur. Si le réalisateur n’est pas trop attaché à son temp-track et s’il me laisse de mon côté m’exprimer, ça ne me dérange pas. Dans le cas contraire, cela devient un vrai cauchemar. Mais Bruno était détaché de son temp-track : il m’expliquait ce qu’il aimait et cela ne m’a pas dérangé : cela a été une source d’inspiration.

D’autres éléments du film vous ont-il particulièrement inspiré? Le scénario, les images, les acteurs ?

Le jeu des acteurs, évidemment. Ils ont une façon particulière de jouer. On est dans un registre pas chuchoté, mais presque très doux. L’image également compte beaucoup, avec un éclairage qui pour moi fait partie de l’identité du film. Mais ce n’est pas conscient.

Vous avez fait beaucoup d’arrangements de morceaux classiques ? Etait-ce une volonté d’apporter autre chose par rapport à votre score ?

Il y a trois plans sur la musique qui sont importants : la musique additionnelle, très importante puisque les personnages vont dans des boites – il y avait vraiment un choix à faire – ; la musique originale, totalement différente de la musique additionnelle ; une musique qui est un choix personnel du réalisateur, grand amateur de musique classique. Notamment pour ce qui est de Schumann, avec ce morceau qui pour lui ressemblait beaucoup au personnage de HELL. Le Dvorak c’est complètement autre chose : lorsqu’ils ont filmé la scène dans le théâtre la chanteuse chante en fait du Puccini. Quand je me suis retrouvé sur le film, on m’a demandé de prendre cet air de Dvorak et de coller les paroles sur les images, certainement pour des raisons de droit. A la fin de cette séquence, quand ils sont dans la voiture, je crois que c’est Bruno qui a dit que ce serait bien qu’on ait quelque chose de lyrique, qu’on reprenne cet air. Donc j’ai orchestré les premières mesures.

Avez vous un pouvoir de décision sur la musique additionnelle ?

Non. Je suis incapable de savoir ce qui se passe en boîte aujourd’hui (rires). C’est Marie Sabbah qui s’est occupé de ce travail.

Quel est votre parcours musical ?

C’est un cursus on ne peut plus classique. J’ai commencé le violon à l’âge de 8 ans. Après, à une quinzaine d’années, j’ai pris quelques cours d’harmonie pour voir si ça me plaisait, voir éventuellement si je pouvais composer des petites choses pour moi plus tard, et ça m’a plu. J’ai continué un peu l’instrument parallèlement, mais j’ai vite abandonné. Ensuite je suis rentré au Conservatoire dans les classes d’écriture. J’ai baigné là dedans jusqu’à l’âge de 26 ans.

Vous avez pourtant fait de la variété ?

Ca n’empêche pas ! Le cursus classique, c’est une bonne base pour avoir une technique d’écriture. Sans ça, je n’aurais aucune idée de ce que l’est l’orchestration. L’écriture c’est juste apprendre ce que les autres ont fait auparavant, c’est parcourir au fur et à mesure des siècles les compositeurs qui ont marqué le répertoire : Bach, Mozart, Beethoven. Cela nous donne une connaissance technique de ce que les autres ont fait avant, et cela nous donne des bases pour s’exprimer. Les gens pensent souvent que le classique c’est quelque chose de cloisonné. Je ne suis pas d’accord : c’est comme faire ces gammes au piano. Et c’est très enrichissant.

Donc ce passage d’un langage à l’autre ne vous a pas posé de difficultés ?

Ce qui est important dans la variété, c’est d’avoir une petit ouverture d’esprit sur ce qu’est le jazz. Souvent en variété, ce que n’aiment pas les gens, c’est le côté trop classique. Or en jazz, en étudiant l’harmonie, la disposition des accords, on trouve souvent un pont entre les deux. Le fait d’avoir cette ouverture d’esprit permet à la fois d’utiliser les compétences classiques et utiliser ce langage plus étendu au niveau harmonique. La personne qui m’a ouvert les yeux là dessus, c’est Pierre Adenot. On a beaucoup discuté de cela au Conservatoire. En classique on pense la musique par degré, en jazz on pense la musique – je vais être très schématique - par gammes. C’est une grosse différence dans la compréhension de l’écriture.

Que retenez vous de cette expérience ? A-t-elle influencé votre travail de musique de films ?

C’est une bonne expérience car c’est la première depuis que je sortais du Conservatoire que j’étais confronté à un milieu totalement différent. Pendant les études, on est dans un milieu spécialisé, qui parle la même langue que vous, une langue très technique. Mais quand on parle avec des chanteurs, des réalisateurs, ce langage n’existe plus : il y a donc un rapport à la musique qui change un petit peu. On parle beaucoup par métaphores. Donc c’est une bonne école : le patron c’est le chanteur ou le réalisateur. Il faut être à son service. Ce n’est pas forcément facile lorsqu’on sort du conservatoire de débarquer dans ce milieu : il y a tout un truc à décoder. Et cela permet en effet de quitter un peu le cadre classique, et d’ouvrir de nouvelles perspectives. Cela apprend aussi à travailler dans un cadre bien défini.

Quelle est votre définition de l’orchestrateur ?

C’est un mot qui prête en effet à polémique. Pour moi je fais une distinction entre l’orchestration et l’arrangement. L’orchestration, c’est un travail purement et simplement technique. Les compositeurs sont maîtres de leur musique de A à Z. Je n’apporte absolument rien musicalement. Comme ils n’ont pas le temps, ils me donnent une partition avec quelques portées, et mon travail d’orchestrateur est de dispatcher le tout entre les différentes parties. Je reçois aussi des fichiers MIDI avec une piste par instrument. Et à partir de cela je fais un conducteur, avec un audio de référence (le son de la maquette). Je rajoute les phrasés, les nuances, je regarde la longueur des notes...

N’avez-vous pas un travail de vérification ? Vérification des tessitures, de la jouabilité?

Bien sûr. Mais ceux qui connaissent l’orchestre font rarement d’erreurs…

Vous avez travaillé avec Cyril Morin, Yvan Cassar, etc…

Pour Cyril Morin, je vérifiais simplement ses partitions. J’avais un rôle de superviseur du score. Ce n’est pas de l’orchestration, ni de l’arrangement. C’était très particulier. Je lui disais que j’avais des doutes sur ceci ou cela : il me disait que j’avais raison ou que j’avais tort, et je copiais ses partitions. Pour Yvan, c’était un travail d’orchestration. Sur MASSAÏ, il me livrait des fichiers informatiques, et je faisais un travail de transcription. C’est un travail très technique. Mais il faut comprendre très vite le langage des gens, pour agir vite : il faut se taper des kilomètres de musique en très peu de temps, il ne faut pas faire d’erreur, il s’agit de bien comprendre ce qu’on nous demande. Le phrasé est important. Et déchiffrer un fichier sur ordinateur ce n’est pas toujours évident.

Et pour des gens comme Michel Munz, qui sont à la fois compositeur et réalisateur ?

Michel a des thèmes et des mélodies, qu’il joue au piano d’ailleurs, et on parle ensemble de la couleur orchestrale. Michel Munz a une bonne culture classique et une très bonne oreille. Il décrit les systèmes orchestraux très précisément. Là où j’ai un peu de liberté c’est qu’une fois qu’on a déterminé un peu l’esthétique de l’orchestre sur le thème qu’il veut faire arranger, je peux lui proposer des choses : des contre-chants, des harmonisations d’accord, des systèmes orchestraux. Je lui fais des propositions sous forme de maquette et nous discutons des points qui font interrogation.

Votre travail d’orchestrateur influe-t-il sur votre propre travail ? Le fait que vous entriez dans l’intimité des œuvres de vos collègues ne constitue-t-il pas un risque que vous composiez inconsciemment dans le style d’un autre? Comment gérez-vous cela ?

Je ne m’en rends pas compte. Ca va tellement vite en fait, qu’on n’a pas le temps de se retourner sur le travail. On orchestre trois ou quatre minutes dans la journée et il faut donner cela très vite au copiste parce que les délais sont courts. J’ai l’impression de n’avoir aucun souvenir de ce que j’ai orchestré ! Pour répondre à la question, je ne pense pas, non… C’est un travail très mécanique et très fatigant.

Ce métier vous a-t-il influencé dans vos méthodes de travail ?

C’est possible.

Avez vous des orchestrateurs ?

Je n’en ai jamais utilisé !

Comment orchestrez-vous votre propre musique?

Cela dépend. Parfois je commence au piano, très simplement, pour trouver une trame harmonique, une mélodie, un motif. Mais généralement, le travail sur le piano est très court. J’orchestre très vite. Parfois j’orchestre directement, en brodant autour d’une mélodie. Je réalise des maquettes pour convaincre, et il m’arrive d’écrire différemment pour les sons que j’utilise, quitte à écrire autrement sur partition.

Des compositeurs de film vous influencent-ils?

Je suis très américain dans mes goûts (rires). Williams naturellement. Celui que j’apprécie particulièrement c’est Goldsmith. Comme j’aime cette musique, j’ai le fantasme d’orchestrations très riches, très brillantes, à la Williams…

Vous êtes très diversifié : y a-t-il des domaines que vous ne connaissez pas encore? La musique de jeu vidéo et de télévision vous attire-t-elle ?

Tout dépend du travail qu’on me demande. A partir du moment où ça touche à l’orchestre, cela m’intéresse. Je reste très frustré quand ce n’est que du travail machine : je n’aime profondément pas ça.

 

Splice

Cinezik : Comment arrive-t-on sur un tel projet international ?

Cyrille Aufort : 
La coproduction du film est assurée par Gaumont, donc il fallait qu'une partie de la post-production se fasse en France, et que le compositeur soit français. Lors d'un passage de Vincenzo Natali (Ndlr : le réalisateur) à Paris, la Gaumont a organisé un appel d'offres en demandant à plusieurs compositeurs de se présenter. Ils ne voulaient pas de compositeurs connus, peut-être que le budget ne le permettait pas. J'ai donc été contacté par quelqu'un de Gaumont qui m'a proposé de mettre des musiques sur le site que Vincenzo allait écouter avant de me rencontrer. Sur la vingtaine des compositeurs candidats, cinq seront retenus et feront une maquette. J'ai donc eu une demi-heure d'entretien avec lui, il me posait des questions sur les musiques que j'avais mises sur le site (je pense sincèrement qu'il les avait écoutées), et puis il a fait le choix de compositeurs qui allait travailler sur une scène. 

Comment s'est passée ensuite la rencontre ?

C.A : 
Lorsque je suis intervenu, le montage n'était pas terminé, ni les effets spéciaux... je suis parti trois jours à Toronto pour regarder les images, discuter avec lui, on a appris à se connaître, ce fut une rencontre humaine et musicale. 

Connaissiez-vous son cinéma ?

C.A : 
J'avais bien aimé CUBE, mais j'ai préféré CYPHER. Je trouve qu'il a un style bien reconnaissable, dans la photo, les couleurs, cette façon d'imbriquer ses histoires, et quand j'ai vu ce nouveau film, j'étais ravi de retrouver cet univers qui lui ressemble. 

Quelles étaient les discussions de travail ?

C.A : 
En parlant avec lui, c'est quelqu'un de très ouvert, qui n'a pas peur de la musique, d'une très grande intelligence, d'une très grande culture, et en plus extrêmement gentil. L'expérience fut tout cela pour moi. J'ai aimé le film avant de travailler dessus, je l'aime d'autant plus maintenant, parce que je ne me souviens pas d'une seule fois où le ton est monté. Et je ne me suis jamais senti frustré. 

Quelles étaient ses premières intentions musicales ?

C.A : 
La première fois que je l'ai rencontré, il venait de terminer le tournage, il me parlait d'une musique minimaliste, pas trop présente. Après, quand je suis allé à Toronto voir le film, le discours avait un peu changé, il voulait quelque chose de plus fournie, et je lui ai dit que je voulais de l'orchestre pour ce film, avec un travail sur les machines, et il me parlait aussi de Satie, avec le piano, et je pense que c'est ce qu'il entendait par une musique minimaliste. J'ai donc tenu compte de cela sans reproduire le style. J'ai interprété cela par des aspects intimistes, en mettant plusieurs pianos désaccordés sur certaines scènes.


Propos sur HELL recueillis à Paris le 15 mars 2006 par Damien Deshayes / Propos sur SPLICE recueillis à Aubagne le 20 mars 2010 par Benoit Basirico

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