Interview B.O : Anne Dudley, BLACK BOOK (2006)

dudley,blackbook, - Interview B.O : Anne Dudley, BLACK BOOK (2006)

Propos recueillis en 2006 par Sylvain Rivaud. - Publié le 01-11-2006




Compositrice anglaise, Anne Dudley a signé une musique remarquée pour "Americain History X" après avoir oeuvré au sein du groupe The Art of Noise dans les années 80. Elle a reçu un Oscar pour la musique du film "The Full Monty" en 1998. BLACK BOOK marque sa première collaboration avec Paul Verhoeven.

Cinezik : Tout d’abord, pouvez-vous nous expliquer comment Paul Verhoeven a décidé de vous engager sur BLACK BOOK ?

Anne Dudley : Paul avait entendu plusieurs de mes musiques, notamment Tristan & Isolde et American History X. Nous nous sommes rencontrés à Londres et nous avons eu une discussion fascinante sur la musique – et tous les genres de musique. Nous avons parlé de nos compositeurs classiques préférés et de nos compositeurs de cinéma favoris. Il nous paraissait clair que dès ce moment-là, la collaboration semblait bien engagée.

Vous souvenez-vous de quels compositeurs (classique et de cinéma) avez-vous parlé en particulier ?

En l’occurence Paul a évoqué le Requiem allemand de Brahms, et les « Four Last Songs » de Richard Strauss. Nous avons également parlé avec beaucoup de complicité de Jerry Goldsmith.

Pourriez-vous nous dire ce qui a plu à Paul Verhoeven dans vos précédentes musiques ?

Il a particulièrement admiré l'orchestration et les transitions entre les différents modes.

Aviez-vous vu SOLDIER OF ORANGE, le précédent film de Verhoeven sur l’occupation en Hollande ?

Ah bon, sur la seconde guerre mondiale en Hollande ? Non, je ne l’ai pas vu.

Quelle a été votre approche du film de guerre ? Avez-vous eu recours à des instruments particuliers, un « son » décidé à l’avance avec le cinéaste ?

Paul voulait le son traditionnel d’un orchestre symphonique, tout en restant dans le contexte du film. Il m’a fait écouter quelques pièces classiques qu’il avait trouvé (les morceaux de Brahms et de Strauss que j’ai évoqué plus haut), et qui, dans la couleur et l’orchestration, pouvait me donner des pistes à explorer.

Quelles ont été les demandes de Paul Verhoeven sur ce film ?

Il sentait que le caractère de l’héroïne, Rachel, était crucial pour le film. Son esprit, ses pensées et son désir de survivre dominent toute l’histoire du complot. Nous avons voulu d’un thème qui reflétait sa résilience (*).

(*) Une phrase célèbre de Nietzsche permet de résumer la notion de résilience : « Ce qui ne tue pas rend plus fort. »

Vous parlez de résilience : comment pourriez-vous décrire le personnage de Rachel ?

Le caractère de Rachel est autoritaire, elle est de temps en temps séduisante et parfois impitoyable.

Comment s’est déroulée votre collaboration avec Paul Verhoeven ? Il est réputé très exigeant et parfois même désagréable…

Cela m’étonne ! Entre nous, ça a toujours été comme entre atomes crochus. Il adore la musique et nous nous sommes vus à de nombreuses occasions pour que je lui joue mes idées au piano, ou quelques démos un peu plus élaborées. Nous avons pu avoir des discussions ouvertes et franches. Et pendant les sessions d’enregistrement, il était très enthousiaste et très encourageant, et grâce à lui il y a avait une bonne ambiance au studio. Pas de question d’égo ici !

Pensez-vous que le fait que vous soyez une femme compositeur est un élément important dans cette collaboration où une femme est le personnage principal ?

Je n’en ai aucune idée, mais en l'occurence que j’ai pu créer une certaine empathie avec le personnage de Rachel.

Les musiques des films de Paul Verhoeven sont souvent peu subtiles, mais plutôt radicales jusqu’à la provocation (à prendre au second degré). Pensez-vous que votre partition pour BLACK BOOK possède également plusieurs niveaux de lecture ?

Je trouve au contraire que la musique de Jerry Goldsmith pour des films de Paul tels que Basic Instinct ou Hollow Man sont bourrées de subtilités, à bien des niveaux. Dans ce film, il y a naturellement des thèmes musicaux qui se développent – en de nombreuses variations – et qui progressent, comme le drame à l’image. En outre, quelques petits motifs reviennent à l’occasion.

Ce que je voulais dire c’est que pour prendre l’exemple des musiques de FLESH & BLOOD, ROBOCOP ou STARSHIP TROOPERS, la musique de Basil Poledouris n’évoque pas la psychologie des personnages mais crée plutôt un second degré. Alors qu’au contraire Jerry Goldsmith que vous citez a une approche plus psychologique dans BASIC INSTINCT ou HOLLOW MAN en effet. Je suppose que votre approche dans BLACK BOOK va aussi dans ce sens. Votre partition est très sombre, parfois torturée. Voici ma question : qu’est-ce qui vous a inspiré sur ce film ? La psychologie du personnage de Rachel, ou plutôt l’ambiance visuelle ?

C'est un mélange des deux - j'ai été inspiré par l'instinct de Rachel pour sa survie mais j'ai été également fasciné par la période historique – notamment vers la fin de la guerre, quand la Hollande est dans un état désespéré, alors que tout le monde sait que les nazis vont être clairement défaits mais que la brutalité continue.

Est-ce que le titre du morceau « Sleeping with the Enemy » dans l’album est une référence au film du même nom mis en musique par Jerry Goldsmith ?

En fait, non ! Mais cela aurait pu !

Etes-vous intervenue sur l’élaboration du disque édité par Milan Music ?

La musique a été mixée spécialement en stéréo pour l'album (au contraire du mixage 5.1 pour le cinéma). J'en ai également fait des remontages pour créer des morceaux plus longs dans l’albums que dans le film. Enfin, j'ai séquencé la musique pour mettre les morceaux dans un ordre (je l’espère !) qui rend l’écoute plus agréable - et j'ai conçu les titres.

Pensez-vous que Paul Verhoeven fera appel de nouveau à vous pour un prochain projet ?

Je l'espère ! D’autant plus que ses commentaires sur l’album ont été très sympathiques et réconfortants.

Vous êtes annoncé sur le prochain film de Tony Kaye, LAKE OF FIRE, après une première collaboration sur l’excellent AMERICAN HISTORY X. Que pouvez-vous nous dire sur ce film ?

Le film est encore en développement, je n’ai malheureusement rien à vous dévoiler !

Quel genre de relation entretenez-vous avec Tony Kaye ?

Tony est quelqu’un de très intéressant, un homme extrêmement créatif, original, provocateur et intransigeant. Mais il a également un sens merveilleux du travail en équipe et du travail avec des personnes de confiance. C’est ce qui en fait une collaboration idéale.


Propos recueillis en 2006 par Sylvain Rivaud.

En savoir plus :

Vos avis