Interview B.O : Eric Demarsan & Hervé Hadmar, PIGALLE, LA NUIT (2012, Canal Plus)

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Interview réalisée à Paris le 15 février 2012 par Benoit Basirico - Publié le 29-02-2012




Eric Demarsan, connu entre autres pour ses deux films avec Jean-Pierre Melville (L'armée des ombres, Le Cercle rouge​) a travaillé à la télévision pour Hervé Hadmar sur LES OUBLIES, PIGALLE LA NUIT et SIGNATURE.


Cinezik : Comment se déroule votre collaboration ?

Hervé Hadmar : Il a carte blanche pour me proposer tout ce qu'il veut et j'ai carte blanche pour refuser tout ce que je veux (rires).

Eric Demarsan : C'est bien ainsi. Dans un premier temps il me donne une ou deux directions musicales, je vais dans cette direction, je lui propose des thèmes, qu'il accepte ou refuse, mais à partir de ce qu'il a accepté j'ai toute latitude pour écrire et orchestrer comme je veux.

H.H : C'était le cas sur LES OUBLIES. Dés que j'avais validé les 3/4 thèmes principaux et que j'ai entendu les premières déclinaisons, je lui ai montré les scènes, puis j'ai découvert l'intégralité du Score le jour de l'enregistrement à Sofia.

A quel moment Eric intervient ?

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H.H : Pour LES OUBLIES, Eric avait composé la musique sur les scènes montées, ce qui n'était pas le cas sur PIGALLE ou SIGNATURE pour lesquels Eric a proposé en amont une bibliothèque musicale.

E.D : J'aime bien le système de bibliothèque, c'est aussi intéressant, mais c'est un autre travail. Sur LES OUBLIES, j'ai eu l'impression d'écrire la musique pour deux ou trois films, puisque la série comprenait six épisodes de 50 minutes. J'ai composé 4 épisodes sur les 6 (Hervé a repris mes premiers thèmes pour les deux derniers). Si j'avais eu le temps de tout écrire, je pense que j'aurais composé jusqu'à 120 morceaux pour à peu près 3h de musique.

Quel a été le travail musical sur PIGALLE, LA NUIT ?

H.H : PIGALLE est l'histoire d'un français expatrié à Londres qui revient à Paris pour retrouver sa soeur qu'il n'a pas vu depuis deux ans, et se rend compte qu'elle danse nue à Pigalle. Il l'a cherche partout. L'idée était d'avoir un thème pour Thomas, ce frère, un thème pour la soeur disparue, et un thème pour Pigalle. Ces thématiques se complètent, se croisent, s'épousent, se complexifient au fur et à mesure que la série avance tout au long des huit épisodes.

E.D : Je n'ai pas écrit la musique épisode par épisode car le principe premier était de faire une bibliothèque musicale. Les quatre thèmes étant validés, Hervé m'a demandé une liste de commissions.

H.H : Voilà, je lui demandais 1 minute 30 dans telle tonalité, 1 minute dans telle émotion. Eric a écrit sans avoir les scènes montées. Puis j'ai organisé la musique au montage. 
Ce qui est agréable dans le couple réalisateur/compositeur, c'est au fur et à mesure des projets communs d'approfondir cette relation, cette confiance, décliner une sensibilité musicale, faire évoluer la mise en scène et la musique pour construire une oeuvre commune. C'est ce qu'on essaie de faire avec Eric. Sur PIGALLE LA NUIT, les délais de post-production étaient tels que Eric a été obligé de composer la musique sur le scénario. La musique a été enregistrée et mixée au milieu du tournage. Elle était donc déjà là lorsque je montais les épisodes. La musique était enregistrée sur des pistes séparées, je pouvais utiliser une prise avec l'orchestre entier, et reprendre sur une autre scène le même morceau avec uniquement les premiers violons par exemple, ce qui multipliait les possibilités. Sans compter la participation d'Archie Shepp qui une fois que la musique était enregistrée a improvisé sur certains morceaux d'Eric des solos de saxophone. J'avais donc la musique d'Eric, le saxo d'Archie, je pouvais utiliser les deux en même temps ou séparément. C'est cette bibliothèque musicale importante qui a donné la richesse du projet.

Quelles ont été les premières discussions musicales entre vous ?

E.D : Hervé voulait un petit orchestre, j'ai proposé un trio minimaliste...

H.H : Oui, je me souviens qu'on avait parlé d'un piano pour les scènes de jour, et un piano électrique pour les scènes de nuit.

E.D : Et puis ensuite l'ajout des cordes.

H.H : On est parti sur un minimalisme qui pouvait évoquer la solitude des personnages dans Pigalle, puis petit à petit on a voulu faire ressortir le côté romanesque de la série, avec plus d'ampleur. Puis le saxo d'Archie a ajouté une couche de sensualité et de mélancolie. 
Tous les personnages sont des solitudes qui recherchent l'amour. Il y a donc une forme de romanesque qui est apparue.

Pigalle, la nuit, cela évoque le jazz...

E.D : J'avais en tête ce côté jazzy.

H.H : Il y a une forme de liberté à Pigalle comme dans le jazz.

E.D : Même si cela ne s'entend pas vraiment, il y a une partie bluesy dans ma musique, et cela est renforcé par le saxophone d'Archie.

H.H : La partition reste quand même assez symphonique et classique, mais avec des moments de liberté. Il y a toujours un instrument qui s'isole au sein de l'orchestre, que ce soit au Rhodes ou au saxo, c'est comme si l'instrument reprenait sa liberté.

E.D : Le thème de Pigalle joué au Rhode est un blues.

D'où vient le thème des génériques de début de tous les épisodes ?

H.H : Je savais que je voulais pour le thème du générique un morceau de Harmonic 33, édité chez Warp. Eric me disait qu'il pouvait aussi me proposer un thème, mais c'est cela que je voulais. Eric a accepté de le réinterpréter.

Music Box Records rend cette partition disponible en éditant un disque. Que représente ce travail pour vous ?

E.D : De la part de Music Box Records, c'est gonflé. Ils m'ont d'abord contacté pour éditer mes anciennes musiques qui n'avaient pas encore de disque ou alors qu'en vinyle, et je leur ai proposé de sortir PIGALLE qui n'était pas disponible. Ils ont sauté sur l'occasion. Je trouve cela risqué car on sait que cela ne va pas se vendre par milliers. Mais il y a des collectionneurs et j'aime bien qu'il y ait un objet qui reste.

Après PIGALLE, LA NUIT sur Canal Plus, vous avez travaillé ensemble sur la série SIGNATURE pour France 2...

H.H : Cette série se déroule entièrement sur l'île de la Réunion. On suit les aventures d'un ancien enfant sauvage très violent. Je voulais quelque chose de primitif. Avec une musique aussi savante que celle d'Eric c'est compliqué, mais je lui ai parlé de Morton Feldman et un peu de Toru Takemitsu. On est parti sur l'idée de percussions et de bois, de Marimba, puisque la forêt est omniprésente. On a trouvé ensuite un gimmick musical qui est comme un écho qui évoque le radar du chasseur qui voit sa proie se rapprocher, à la fois âpre et enveloppant le personnage dans un mystère. 
J'ai repris certaines pistes de la musique d'Eric que j'ai étirées dans le temps, en ajoutant des reverb, cela donne lieu à une matière sonore étrange que j'ai mise en sous-couche, en nappe. J'ai fait du sound design en me servant de la musique d'Eric. C'est la première fois que je manipule ainsi la musique. Je me suis équipé entre PIGALLE et SIGNATURE.

Et le cinéma ?

H.H : Cela fait des années que je repousse le long métrage pour faire de la série car aujourd'hui cela me plait plus que de faire du cinéma. Je fais de la télé comme elle doit se faire. Quand je suis en réunion avec la chaine et le producteur, j'annonce que la musique sera écrite par Eric Demarsan, et que cette musique a un coût.

H.H : Pour conclure je vous invite à regarder L'AFFAIRE GORDJI réalisé par Guillaume Nicloux et mise en musique par Eric Demarsan, c'est génial ! C'est un unitaire qui passera sur Canal Plus bientôt.

Interview réalisée à Paris le 15 février 2012 par Benoit Basirico

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