Interview B.O : Jean-Claude Petit, LE PASSAGER DE L'ETE (2006)

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Entretien réalisé le 21 juin 2006 à Paris par Benoit Basirico - Publié le 21-06-2006




Jean-Claude Petit, a été pianiste accompagnateur et arrangeur d'artistes de variétés et "nègre musical" de Michel Magne avant de rencontrer Gérard Mordillat (Vive la sociale!), Claude Berri (le diptyque Jean de Florette / Manon des sources en 1986) et Jean-Paul Rappeneau (Cyrano de Bergerac - 1990, qui lui vaut de remporter le César). En 2006, il revient avec LE PASSAGER DE L'ETE de Florence Moncorgé-Gabin.

Comment avez-vous été impliqué sur LE PASSAGER DE L'ETE ?

Alain Terzian m'a appelé car il produisait des premiers films parmi lesquels celui de Florence Moncorgé-Gabin qu'il voulait que je rencontre. Il m'a envoyé son scénario que j'ai trouvé agréable car il y a dedans un prétexte à musique. Il n'y a plus trop de prétextes à musique dans les films aujourd'hui, alors quand l'occasion se présente, je ne résiste pas. Ma rencontre avec Florence s'est très bien passée, on a sympathisé. J'ai d'abord imaginé un premier thème qui ne collait pas du tout puis j'en ai trouvé un deuxième bien meilleur. Terzian a été un rare producteur qui accepte d'enregistrer en France avec un budget digne. J'aime bien le rapport avec les réalisateurs ou réalisatrices sur les premiers films, il y a une certaine naïveté vis à vis de la musique, sans a priori, ni acquis, on peut leur faire découvrir des choses, leur expliquer à quoi sert la musique dans un film, avant de se lancer dans un processus de création. Composer, c'est créer une histoire en parallèle à celle du film dans un langage musical.

Florence a tout de même été très exigeante sur le thème central. Elle avait des impressions. Je joue toujours d'abord le thème au piano au réalisateur, et à partir du moment où une émotion transparaît, je pars de ce thème pour composer le reste. Le thème, c'est le décor du film. Je compose librement ensuite autour de cette idée.

Vous êtes davantage dans la démarche classique de composer à partir de thèmes plutôt que de jouer comme certains sur les timbres et textures...

Aujourd’hui, nous sommes dans l'illustration, c'est à dire scène par scène, on peut passer du symphonique au rock... Nous sommes dans l'illustration et non plus dans la musique de film au sens classique, c'est à dire avec une forte thématique. Tout comme le scénario est une histoire avec en son centre un thème central (comme l'histoire d'amour), et bien en musique, il y au centre un thème. La musique de film ne peut pas être une simple illustration sonore de scènes, dans ce cas ce n'est pas une oeuvre, c'est juste un fond sonore. C'est ce qu'on entend actuellement. Il y a une tendance pour les réalisateurs de se défier d'un discours musical autour ou sur le film.

Vous faites parti des compositeurs qui ont eu une période de gloire dans les années 80/90 comme une période aujourd'hui révolue...

Depuis combien de temps n'y a-t-il pas eu une grande musique de film qui sort du film et qu'on écoute de manière incontournable ? Il manque un discours musical que l'on entend en dehors du film. Le cinéma est devenu un art industriel de plus en plus, et écrire un discours musical relève du travail d'un artisan en travaillant dans son coin. S'il doit correspondre aux critères industriels, l'oeuvre disparaît au profit de l'industrie. Lorsque le cinéma était un peu artisanal, on pouvait se permettre un discours que l'on ne peut aujourd’hui pas se permettre pour correspondre aux paramètres de la télévision (en France) ou des studios (à Hollywood), incompatibles avec la liberté d'un créateur.

Quelle est l'histoire du thème de CYRANO DE BERGERAC ?

J'ai mis du temps à trouver ce thème central. La trompette, c'est le nez de Cyrano, c'est le caractère du film, son âme. Rappeneau, que j'ai retrouvé sur LE HUSSARD SUR LE TOIT, fait des films tous les cinq ans, alors chaque détail compte.

Vous avez débuté en tant qu’arrangeur de chansons de variété…

Pendant quinze ans, j'ai été arrangeur, de Julien Clerc à Claude François, de Serge Lama à Stone et Charden. Il faut habiller les gens comme des costumiers. Les arrangements de Claude François ou Julien Clerc ne sont pas les mêmes. Je m'adaptais au type de textes qu'ils chantaient. Pour Julien Clerc, ce fut davantage original à mon goût. Ce sont des choses qui restent. Ce sont toujours des tubes à la mode. Et au bout de quinze ans, j'en ai eu marre et je suis passé au cinéma. C'est arrivé dans les années 80 par hasard. La chanson était devenue un art industriel. Aujourd'hui nous avons rarement d'arrangements originaux dans les chansons.

Sur PODIUM, vous étiez impliqué en tant qu'ancien arrangeur de Claude François ?

Oui, j'étais l'inévitable car j'avais fait tous ses disques et qu'il fallait les refaire. Je n'ai pas retrouvé les arrangements écrits car c'est Claude qui les avait gardés. J'ai demandé à tout le monde de me redonner les disques afin que j'y relève les arrangements à l'écoute. Il y a très peu de musique originale car l'essentiel était de reconstituer le son d’époque.

Une certaine tendance au jazz peut se repérer dans vos musiques…

J'ai été musicien de jazz. Entre 15 et 22 ans, j'ai été un petit prodige, j'ai joué "Le chat qui pêche" au Blue Note avec Kenny Clarke, Dexter, Gordon, Jimmy Gourley, Stan Getz et Don Cherry. Tous les grands musiciens américains de l'époque venaient sur Paris et prenaient des musiciens français pour les accompagner. Le jazz fut ma musique de prédilection. Après, pour trouver du jazz dans LE PASSAGER DE L'ETE il faut être un fin musicologue car il y a en effet une influence jazz que l'on n’entend pas au premier degré. Je suis devenu ensuite musicien symphoniste par le hasard des films, de CYRANO à JEAN DE FLORETTE, du HUSSARD SUR LE TOIT à BEAUMARCHAIS...

Mon image de marque est symphonique, mais c'est une image usurpée car je suis passé par le jazz et l'arrangement de variété avant d’en arriver là. Cela fait plein de cultures, mais la dernière image demeure.

Improvisation et interprétation du jazz, arrangements de chansons… tout cela se mêle dans les BO ?

Je suis mon propre chef d'orchestre, je joue parfois du piano, c'est effectivement une interprétation. Pour l'improvisation, elle est présente lorsque je regarde les images vidéo d'un film, le premier thème me vient de manière improvisée et intuitive. Puis ensuite j'écris.

Vous avez dirigé le LSO (London symphonic Orchestra)…

C'est toujours une expérience fabuleuse, ils sont très professionnels. J'ai dirigé beaucoup d'orchestres à travers le monde, notamment dans les pays de l'est, au Japon, aux Etats-Unis... Le LSO est sûrement le plus professionnel dans la musique de film et le son, mais en France nous avons tout de même de bons musiciens et j'ai fait des enregistrements qui valent ceux de Londres, il ne faut pas exagérer.

Vous avez des propositions aux Etats-Unis ?

J'ai un agent américain, mais il ne me fait pas travailler. J’ai fait des films américains comme LE RETOUR DES MOUSQUETAIRES, LE PLAYBOY... mais c'était dans les années 90 après les succès de CYRANO et JEAN DE FLORETTE, et mon agent m'avait proposé de m'installer là bas, mais j'ai refusé car un certain nombre de choses me retenait en France comme la nourriture, ma vie familiale, mes responsabilités à la SACEM, et donc allé vivre à Los Angeles était difficile. J'étais logé chez Georges Delerue lorsque j'y suis allé dans les années 90, et tel qu'il me décrivait la vie américaine, cela ne me plaisait pas. Je n'ai pas eu de carrière américaine pour ces raisons. En plus j’ai un agent qui me propose des choses qui n'aboutissent jamais.

Vous composez aussi des comédies musicales…

Je suis en train d'écrire un opéra dont le langage est celui d'une comédie musicale, sur l'histoire de Sans famille. La première est le 23 février 2007 à l'Opéra de Nice puis on tournera sur la Capitale. Ce sera un évènement assez important, accompagné d'un DVD... Vous en entendrez parler. Ma première comédie musicale en tant que chef d'orchestre et arrangeur fut LA REVOLUTION FRANÇAISE, jouée au palais des sports, puis le MAYFLOWERS avec Charden, 36 FRONT POPULAIRE avec Etienne Roda-Gil qui fut un disque avec Julien Clerc.

Mon envie est d'être de plus en plus autonome. Après avoir été pianiste pour des musiciens de jazz, puis arrangeur pour des chanteurs de variété, puis compositeur pour les plus grands réalisateurs, maintenant j'essaie d'être tout seul. Je cherche la liberté, mais j'adore toujours écrire les musiques de films, et j'espère que les occasions de composer de belles musiques de films vont revenir.

Vous avez été le nègre de Michel Magne...

Comme beaucoup, comme Vladimir Cosma qui fut le nègre de Philippe Sarde. C'était en parallèle de mes arrangements de variété, il m'est arrivé de faire des musiques de films comme cela. J'ai écrit LE GRAND MEAULNES avec Jean-Pierre Bourtayre, puis des arrangements de BARBARELLA de Roger Vadim avec Michel Magne, de THE SERVANT de Joseph Losey aussi.

Quelle fut votre première signature ?

C'était un disque de synthétiseur pour un film de Jodorowsky, TUSK (1980), c'est un scoop car personne ne le sait. Mais ma première musique autonome est pour un film de Gérard Mordillat, VIVE LA SOCIALE!, grâce à Michel Berger et France Gall qui m'ont branché sur René Cleitman, le producteur. C’était le début. Puis il y a eu L' ADDITION de Denis Amar avec Richard Bohringer et Richard Berry et tout a décollé ensuite très fort avec Claude Berri.

Quel fut votre relation avec Claude Berri ?

Peu de rapports. J'ai eu l'idée de prendre un thème de Verdi et le transposer à l'harmonica pour JEAN DE FLORETTE. J'ai eu la chance de donner naissance à des tubes qui eurent une aura internationale. J'ai rencontré Yves Montant, Emmanuelle Béart... Une expérience fondatrice pour moi. Claude a du flair, il sait faire confiance, mais il n'écoute pas la musique. Grâce à lui, j'ai pu vivre de la musique, je l'en remercie. Il y a eu aussi URANUS. Mais Claude ne vient pas aux séances d'enregistrements, il n'écoute pas.

Avec Jean-Paul Rappeneau, c'est le contraire. On se réunit tous les dimanches pour que je lui joue la musique. Il vient à toutes les séances, il vient même avec ses fils. C'est un travail de chaque instant. Je viens sur les tournages avec lui. On fait de la dentelle ensemble. Chaque détail compte. On en parle pendant des heures. C'est radicalement le contraire de Claude Berri, mais c'est très intéressant. Il met cinq ans pour préparer un film.

Avec Henri Verneuil sur MAYRIG, c'est Tarek ben Amar, producteur, qui me présente à lui. Je vais chez lui à Neuilly, il se met à me chanter tous les airs de musiques traditionnelles arméniennes. Il chante très bien. Il me demande si je connais un instrument emblématique d'Arménie. Je fais mon enquête et je tombe sur le doudouk. J’ai été le chercher jusqu'à Marseille avec Levon Minassian. Le doudoukest devenu l'instrument central en même temps qu'un thème central. Tout cela à partir des souvenirs du réalisateur.

D’autres collaborations marquantes ?

A part Gérard Mordillat avec qui je continue d’être, j'ai peu de collaborations suivies. J’ai faillit avec Edouard Molinaro, mais il ne réalise plus pour le cinéma. Avec Eric Assous, c'est Stéphane Lerouge qui me présenta à lui, et ce fut un plaisir de composer pour ses deux premiers films (LES GENS EN MAILLOT DE BAIN NE SONT PAS FORCÉMENT SUPERFICIELS et SEXES TRÈS OPPOSÉS). Je rêverais de composer comme Ennio Morricone avec Sergio Leone, comme Francis Lai avec Claude Lelouch, ou même Eric Serra avec Luc Besson car c'est appréciable.

Vous travaillez aussi pour la pub…

De temps en temps. J'ai fait une pub pour Renault dernièrement.

Le cinéma fut pour moi un moyen d'aller plus loin dans l'écriture après les arrangements de variété, mais ma préoccupation actuelle est l’opéra.

Des projets avec le cinéma ?

Je n'en ai pas en perspective actuellement. Les chanteurs pour lesquels j'étais arrangeur, je leur donnais une couleur, et c'est pour cela que je poursuivais avec eux, car ils voulaient toujours cette même couleur. Je voudrais que ce soit le même chose pour les réalisateurs. S'ils veulent changer de couleur à chaque fois, c'est leur droit, mais ce n'est plus une oeuvre d’art, car pour moi une oeuvre d'art c'est avoir un style et le continuer. C'est bien de continuer avec le décorateur, la lumière et la musique que l'on a toujours. Steven Spielberg retrouve John Williams et on retrouve un style qui fait une oeuvre.

La musique de film en France n'est pas morte tout de même...

Ce n'est pas qu'on n'ait plus de travail, car il y a toujours des besoins, mais c'est moins créatif. J'ai composé, il y a deux ans, pour une revue du Lido et ça tourne tout seul. Les droits d'auteur me permettent de bien gagner ma vie, ce n'est plus cela qui est en jeu. Mais j'aimerais bien faire des choses nouvelles, d'affirmer un style. Je n'aime pas être le bureau des plaintes comme quand les compositeurs signalent systématiquement qu’en France il n’y a pas de budget. C'est juste une évolution générale de la musique de film qui est regrettable, mais cela reste le plus beau métier du monde. Il y a toujours eu des contraintes, même au temps de Bach il y en avait avec l'église puis avec le prince, nous c'est avec l'industrie. Il faut faire avec.

Entretien réalisé le 21 juin 2006 à Paris par Benoit Basirico

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