Interview B.O : Mehdi Ben Attia & Karol Beffa, l'émotion de L’AMOUR DES HOMMES

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Propos recueillis en février 2018 par Benoit Basirico - Publié le 26-02-2018




Karol Beffa, élu compositeur de l'année aux Victoires de la musique classique, retrouve avec L’AMOUR DES HOMMES (en salles le 28 février 2018) le cinéaste tunisien Mehdi Ben Attia après "Le fil" (2009) et "Je ne suis pas mort" (2012) avec une partition de harpe, piano, clarinette et cordes, mêlant la sensualité, le romanesque, le mystère et l'angoisse, instaurant un véritable hors-champs musical au parcours de cette photographe (Hafsia Herzi) magnifiant les corps masculins.

Cinezik : Comment travaillez-vous la musique de vos films ? Pour la troisième fois avec Karol Beffa, à quel moment intervient-t-il ?

Mehdi Ben Attia : Le compositeur est informé assez tôt de ce qu'on va faire. Karol fait partie de mes premiers lecteurs quand j'écris quelque chose. Ensuite pendant toute la phase de préparation et de tournage il suit ça d'assez loin puis c'est lors du montage image qu'il arrive et qu'on commence à essayer des choses.

La musique dans vos films n'est pas illustrative, elle joue un réel personnage, et le silence est aussi très important. Il y a la question de l'emplacement. Est-ce que la place de la musique est envisagée dés l'écriture ?

MBA : Non, elle n'est pas envisagée aussi tôt. Pour L'AMOUR DES HOMMES, j'avais besoin que la musique de Karol porte de l'émotion, tout simplement. C'est un film sur un travail artistique et je voulais une émotion universelle. C'est à cela qu'a servi la musique.

Karol, qu'est-ce qui vous intéresse dans cette collaboration, vous qui venez de la musique contemporaine. Le cinéma n'est pas votre cœur de métier, qu'est-ce qu'il vous apporte en tant que musicien ? Et quel est votre support d'inspiration ?

Karol Beffa : C'est plutôt l'image, mais aussi la lecture du scénario. Effectivement, j'ai l'habitude d'écrire de la musique sans trop de contraintes, ce qui est le cas de la musique faite pour le concert. Quand on est guidé par l'image, c'est une contrainte forte mais c'est quelque chose de bénéfique. Cela peut conduire parfois à resserrer l'expression pour avoir une émotion assez dense. Cela oblige d'avoir une palette stylistique assez déployée. La musique a quelque chose de l'angoisse, à d'autres moments du mystère, et à d'autres moments de l'émotion pure, ou encore d'un accompagnement. Toutes ces choses supposent des formations et un type de musique qui évoluent.

Vous êtes plutôt soucieux de la couleur ou de la mélodie ?

KB : Peut-être plus de la couleur car je crois que je suis un compositeur de l'harmonie plus que de la mélodie. Même si pour L'AMOUR DES HOMMES il y a aussi des bribes de mélodies qui s'interpénètrent et évoluent l'une avec l'autre en canon. Ce sont des mélodies assez brèves.

Mehdi, quel est pour vous le rôle de la musique dans vos films...

MBA : La musique peut aider à étendre les choses, à instaurer une tension dramatique à des moments où l'image se laisse aller à être contemplative. On resserre un peu par la musique. C'est une mécanique que l'on commence à maîtriser tous les deux.

Le travail de musique de film est un peu un travail d'équilibriste, à la lisière de plusieurs émotions qui vont colorer les scènes...

KB : Oui en effet c'est un travail de funambule. Une musique en demi-teinte, parfois crépusculaire, contribue à tirer le film dans une esthétique forte, mais il y a des moments plus légers dans le film, avec ou sans musique. C'est un dosage habile et Mehdi a réussi à avoir l'un et l'autre dans le film.

Pouvez-vous nous parler de l'usage de la clarinette dans une scène du film ?

KB : J'ai pu déjà en utiliser dans un film de Jean-Xavier de Lestrade "Sur ta joue ennemie" (2008). Je suis ravi de l'utilisation de la clarinette à un moment où elle apporte quelque chose de poignant car elle se détache sur un fond de cordes, ce qui correspond à la séquence où l'un des personnages va partir de façon irrémédiable pour échapper au service militaire. Il y a quelque chose de liée au départ du personnage avec un instrument qui se détache d'un autre groupe instrumental.

Comment se déroule la collaboration, est-ce que Mehdi vous êtes directif ?

MBA : Il y a plutôt Carte Blanche. Je ne suis pas très directif avec Karol. Je n'ai pas besoin de dire grand chose, les images sont là. Et je m'intéresse plutôt à ce qu'il va en faire. J'ai même peur d' enfermer les gens dans une vision un peu étroite, dans une intention trop claire. Je préfère laisser mes collaborateurs proposer.

La carte blanche vous va bien Karol ?

KB : Oui elle me va bien, c'est même la raison pour laquelle je ne ferais pas tant de musique de film que ça. Il y a peu de réalisateurs aujourd'hui qui vous laissent cette carte blanche. Beaucoup de réalisateurs exigent de leurs compositeurs des maquettes, ce qui conduit à prendre le moins de risque possible. Il est dommage que la maquette ce soit à ce point là généralisée. Avec Mehdi, on a les mêmes goûts cinématographiques et musicaux donc ça tombe bien.

Il n'y a pas de maquettes pour faire découvrir la musique à Mehdi ? Cela veut dire, Mehdi, que vous découvrez la musique de Karol uniquement au moment de l'enregistrement avec l'orchestre ?

MBA : Oui. On n'en prévoit un peu plus à enregistrer. La seule chose qui peut arriver c'est de se rendre compte qu'on n'a pas besoin de certaines musiques pour telle ou telle scène. Mais à part ça, il y a peu de prises de risque. J'aime bien quand ça m'échappe. J'aime ça pendant tout le processus de fabrication d'un film, j'aime qu'une scène se révèle racontée autrement que ce qui était prévu, j'aime quand les acteurs font autre chose que ce qui est écrit... Dès que je suis surpris je suis content.

Karol, quel est votre travail sur le ciné-concert ?

KB : Il m'arrive très fréquemment d'improviser en ciné-concert sur des films muets. C'est un autre rapport à l'image. Je n'ai à disposition qu'un piano, même s'il m'arrive parfois d'improviser avec d'autres musiciens, un saxophoniste ou un autre pianiste. Dans cette expérience d'accompagnateur de films muets, surtout lorsqu'il s'agit de films mélodramatiques, j'improvise en ressentant le flux filmique, en réagissant vraiment en fonction de l'image. Très souvent d'ailleurs, lorsque je compose pour un film, je commence par une improvisation. Pour LE FIL (2009), j'avais suggéré ce que je pouvais faire à Mehdi au piano. C'était un avant-goût de ce que j'imaginais.

Vous avez écrit un livre sur l'opéra...

KB : Ca s'appelle "Diabolus in opéra", avec en sous-titre "Composer pour la voix", parue chez Alma le 18 janvier 2018. Il y est un tout petit peu question de cinéma, sachant que l'opéra a un certain nombre de points communs avec les musiques de films.

 

Propos recueillis en février 2018 par Benoit Basirico

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