Interview B.O : Bertrand Mandico & Pierre Desprats, LES GARÇONS SAUVAGES

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Propos recueillis à Paris en février 2018 par Benoit Basirico - Publié le 27-02-2018




Pierre Desprats signe avec LES GARÇONS SAUVAGES (en salles le 28 février 2018) la musique du premier long-métrage de Bertrand Mandico qui s'était fait remarquer dans le court et moyen métrage avec des notes et des voix prolongeant l'univers sonore et visuel singulier du cinéaste. 

Cinezik : Quelle place a la musique dans votre cinéma ?

Bertrand Mandico : Pour moi, il n'y a pas de cinéma s'il n'y a pas de travail sur la bande-son. J'ai besoin que ce mariage soit complet. Je travaille énormément l'image, mais ma bande-son est aussi énormément travaillée. Et la musique est pour moi très importante. J'aime bien jouer avec une musique qui se confond avec les ambiances, et qui finit par prendre le dessus, une musique très présente, très enivrante.

Quelles étaient les premières pistes musicales ?

B.M : J'avais l'idée d'un film d'aventure du début du XXe siècle, avec une musique très Cold Wave, ce qui est un paradoxe par rapport à l'imagerie que je mettais en place. J'ai donc utilisé dans un premier temps des morceaux existants, certains que j'ai conservés car ils me semblaient importants à certains moments, comme un morceau de Nina Hagen, de Cluster, de Nora Orlandi, une grande musicienne de films italiens des années 70... Quand j'écris, je me crée une sorte de bande-son idéale avec plein de morceaux qui m'accompagnent pendant l'écriture. Elle se garnit au fur et à mesure que j'avance. Je trouve des idées grâce à la musique. J'écoute des musiques souvent en train ou chez moi et c'est là que les images arrivent. Cette bande-son idéale m'accompagne pendant toute l'écriture et la fabrication du film. C'est une bande-son que je vais ensuite oublier en grande partie au moment où le film est tourné. J'avais ainsi une sorte de maquette musicale avec des choses que j'ai pu prendre à droite à gauche. Il y avait aussi beaucoup de musiques de Disasterpeace (le compositeur de "It Follows"), j'ai utilisé des musiques qu'il a faites pour des jeux vidéo, parce que j'avais au départ l'idée de le solliciter. Puis j'ai donné ça à Pierre, mais on s'en est détaché complètement. On est parti ailleurs.

Pourquoi par exemple avoir gardé le morceau "Es war einmal" de Cluster ?

B.M : Le morceau de Cluster, je l'utilise dans ce que j'appelle le jardin d'Eden. La séquence a une connotation sexuelle assez forte, les garçons boivent à un arbre avec des fruits phalliques qui éjaculent du lait. Je voulais que ce soit plus ambigu, la musique de Cluster amène donc quelque chose de très enfantin. On se demande si ce sont des ados libidineux, ou des enfants qui retrouvent le lait maternelle. Cluster m'aide ainsi à contrebalancer par rapport à cette séquence. C'est typiquement des choses très importantes pour moi, de pouvoir penser en amont cette musique qui ne vienne pas juste illustrer mais qui amène un contrepoint par rapport à ce qui se passe. Il y a aussi le groupe Scorpion violente qui m'a fait quelques morceaux. J'en ai conservé deux ( "Swamp Lodge" et "Froissements de Chair"), que Pierre a réorchestré en ajoutant une couche. Et des morceaux d'Hekla Magnúsdóttir, une musicienne islandaise que je connaissais par sa mère, qui avait une maquette d'album dont j'ai eu accès aux morceaux. J'en ai mis quelques-uns sur l'île. Elle définit en quelque sorte l'identité de l'île. Avec tout ça, j'avais malgré tout besoin d'une musique qui englobe tout, qui serait le ciment du film, qui amènerait de l'émotion, et c'était le travail de Pierre.

Pierre Desprats est donc arrivé dans un second temps ?

B.M : C'est vraiment à la fin de la post-production que j'ai rencontré Pierre, où je me suis aperçu que cette idée de créer un patchwork devenait de plus en plus compliqué. Je me méfie beaucoup des musiciens de films, j'avais l'impression que c'étaient des types qui prenaient en otage les films, qui faisaient des propositions avec lesquelles on était coincé, qu'on avait pas trop le choix, qu'il n'y avait pas trop de dialogue possible. Mais ce n'est pas du tout le cas avec Pierre, qui a la patience de m'écouter dans mes directions contradictoires, et dans mes hésitations parfois. Car parfois je peux revenir en arrière sur mes premières intuitions. Il est très souple par rapport à ça.

Ce n'est pourtant pas votre première collaboration ?

B.M : J'avais déjà travaillé avec un musicien, Frederic Acquaviva, qui fait plus de la musique expérimentale, qui a souvent signé ses musiques avec moi avec des pseudos (Erwan Eyck), et aussi avec Ghédalia Tazartes. Mais pour LES GARÇONS SAUVAGES j'avais envie d'un virage plus pop. Et c'est le producteur Emmanuel Chaumet qui nous a mis en relation avec Pierre. Et ça a tout de suite accroché. La première musique que tu m'as faite, pour la scène du procès, m'a tout de suite subjugué !

Pierre Desprats, quel était votre monde musical avant cette rencontre ?

Pierre Desprats : A la base je suis batteur de Hardcore. J'ai fait beaucoup de musiques violentes. J'ai découvert la musique expérimentale, la noïse. J'écris des chansons pop aussi. J'ai un peu de mal à catégoriser un univers. Et j'évolue dans la musique de film depuis trois ans seulement, donc je n'ai pas encore une direction précise dans ma capacité à créer de la musique de film. Cela dépend des réalisateurs avec lesquels je travaille. Mais avec Bertrand, on avait des influences communes dans notre rapport à la musicalité, et aux matières sonores étranges. La bande-son de son film n'existait pas, il fallait l'imaginer, rediriger les acteurs a posteriori pour la post-synchro, trouver des bruitages... À partir du moment où on a commencé à explorer un pan de la musique, il y a forcément eu un enchevêtrement entre une bande musicale et une bande-son qui se croisent en permanence. Je n'écris pas la musique, je la fabrique. Je n'ai pas la porte d'entrée du compositeur mais plus celle de l'artisan. Je suis plus proche de Luc Ferrari que de Alexandre Desplat. Bertrand Mandico arrive avec ses mains qu'il met dans la musique, il retourne les morceaux, puis on les retravaille...

Bertrand, comment travaillez vous cette alchimie entre le son, l'image et la musique ?

B.M : Je regarde le film sans sons à un moment donné, avec des sous-titres, et là c'est l'épreuve qui fait trembler l'édifice, car si je m'ennuie pendant la vision c'est que ça n'allait pas. Pour moi, l'image doit fonctionner sans le son, et de la même manière la bande-son doit pouvoir s'écouter sans les images. Après, c'est la communion des deux.

Les placements de musiques étaient-ils prévus dés le départ ?

P.D : La plupart des musiques que j'ai faites ont été déplacées par Bertrand et mises ailleurs. Il fallait réadapter les musiques en terme de durée ou en terme de variation.

B.M : C'était un jeu permanent. Pierre me livrait une musique pour une scène précise, et immanquablement je la mettait ailleurs. Mais ce n'était pas par esprit de contradiction. C'était que tout d'un coup il y avait une évidence par rapport à un autre passage, et cela permettait de bousculer les choses.

P.D : Comme si l'ennui se faisait très rapidement sentir et que le seul moyen de te remettre en mouvement était de créer de la surprise, d'essayer toujours de te surprendre en déplaçant les morceaux. Je fais une musique d'une certaine durée, qui commence et se termine bien, et cela t'ennuie énormément donc du coup tu la prends et la mets dans une séquence trop courte ou trop longue pour créer de nouveaux liens avec l'image, ce qui te permet de rebondir, de te donner d'autres idées...

B.M : C'est bien de pouvoir s'accaparer le travail du musicien, qu'il accepte que l'on puisse faire ces coupes, maltraiter sa musique, mais après, l'idée n'est pas de l'exclure du processus de création. Pierre a cette ouverture d'esprit et cette générosité qui fait qu'il accepte la démarche tandis que d'autres musiciens pourraient mal le vivre. Il va pouvoir ensuite affiner, reprendre sa musique pour qu'elle marche encore mieux par rapport à mes grosses paires de ciseaux.

Malgré cette recherche permanente du choc inédit entre musique et image, où se situe le soutien dramatique ?

B.M : Le rapport à l'émotion est très présent. Au bout d'un moment, je finissais toujours par dire à Pierre que je veux qu'il y ait de l'émotion.

P.D : Ce sont à peu près les seules choses dont on parle finalement. On a très peu de rapport théorique à la manière dont on fait la bande-son, parce que de toute manière Bertrand sera une force organisatrice de la musique qui la reprend, la coupe, la répète. Pour la plupart des films sur lesquels je travaille, je pense à une trame, à une logique, à une dramaturgie musicale. Avec Bertrand, on ne parle pas de ça.

B.M : La musique est quelque chose qui doit venir d'ailleurs, c'est souterrain. La musique est une rivière souterraine. Il y a le sol avec l'image, et la rivière souterraine qui gronde en dessous, puis remonte et passe par des cavités et des rapides... c'est comme ça que je la vois cette musique. Elle vient guider le récit mais je déteste l'idée d'illustration.

Dans LES GARÇONS SAUVAGES il y a aussi un travail sur les voix...

B.M : Il y a la voix des actrices qui est pitchée. Elles ont des voix de garçons, on a travaillé sur leur texture. Il y a aussi la voix off très présente, qui est chez moi importante dans tous mes films. Au-delà d'avoir sa fonction première de voix off, d'être une narration qui vient appuyer, conforter ce qu'on voit, ou au contraire contredire ou faire de l'ironie, là j'ai voulu travailler sur une double voix off pour des raisons de musicalité, pour amener de la féminité dans cette voix, que j'ai tout de suite vu comme une partition musicale. Il fallait que ces voix chantent et amènent un élément musical tout au long du récit. Elle doit embrasser la musique sans la pénétrer. Il y a aussi dans la partition musicale des voix de jeune fille ou de jeunes enfants, qu'on entend tout le long du film, et c'est la voix de Pierre, qui n'est pas du tout trafiquée. Il y a même ce jeune castrat qui arrive dans le salon et qui chante sur Offenbach, c'est aussi Pierre qui le double.

P.D : Je joue toutes les parties de la partition, et j'ai donc chanté également. Bertrand voyait en moi un dernier interprète de la fabrication de son film, qu'il pouvait diriger également.

Quel a été le travail sur la chanson "Wild Girl" en générique de fin ?

B.M : Au départ, il y avait l'idée de mettre "Midnight Summer Dream" des Stranglers, mais les droits musicaux étaient trop chers, donc il a fallu réfléchir à un remplacement. Ce n'était pas facile. Pierre a repris ce morceau, l'a digéré. On est vraiment allé vers une chanson pop assumée. Avec Elina Löwensohn qui chante. On est dans une figure de style assez logique par rapport à un générique de fin. Les filles vont conquérir le monde donc on fait un morceau qui s'ouvre au monde.

Avez-vous changé d'avis maintenant sur les compositeurs de cinéma ? Vous allez d'ailleurs retrouver Pierre Desprats sur votre prochain film, un court-métrage...

B.M : Pierre est mon frère de cinéma. On va pouvoir retravailler ensemble, c'est très excitant de se dire qu'on s'est trouvé. C'est en tout cas comme ça que je l'ai vécu. Après il ne faut pas que l'un lasse l'autre. Peut-être que Pierre en aura marre de mes images. C'était en tout cas une révélation. Voilà le musicien dont je n'osais pas rêver. Voilà, c'est une déclaration !

 

Propos recueillis à Paris en février 2018 par Benoit Basirico

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