Interview B.O : Jean-Claude Vannier, LES FRONTIERES DE L'AUBE

vannier,frontiere_aube, - Interview B.O : Jean-Claude Vannier, LES FRONTIERES DE L'AUBE

Interview réalisée à Paris le 25 septembre 2008 par Benoit Basirico - Publié le 17-10-2010




Orchestrateur à la fin des années 60 de Brigitte Fontaine, Johnny Hallyday, Michel Polnareff ou Barbara, Il collabore ensuite avec Serge Gainsbourg avec lequel il composa le mythique album "Histoire de Melody Nelson" (1971). C'est avec Gainsbourg qu'il débute dans les musiques de films (Cannabis, La Horse, Slogan). Sans arrêter la variété, il continue le cinéma jusqu'à rencontrer Philippe Garrel sur Sauvage innocence en 2002, qu'il retrouvera avec Les Amants réguliers puis La Frontière de l'aube.

Interview : 
"Si l'actrice ne sait pas dire Je vous aime, je ne sais pas le dire à sa place, même avec tous les violons du monde"

Cinezik : Parlez-nous pour commencer de votre collaboration avec Philippe Garrel...

Jean-Claude Vannier : On se connaît depuis très longtemps, on faisait partie d'une même bande. Je connais beaucoup son père Maurice que je considère comme un grand acteur. En 2001, il m'a demandé de faire SAUVAGE INNOCENCE en travaillant au piano, à l'image. On a donc appris à se connaître. J'ai dû faire des concessions sur ce film. Mais cette année, pour LES FRONTIERES DE L'AUBE, une collaboration a abouti. Il a su mettre la musique en valeur. Philippe a aimé ce que j'ai fait et j'ai apprécié faire ce travail. 

Son film que je trouve le plus beau, c'est LES AMANTS REGULIERS (2005), ça parle de mes 20 ans. Louis Garrel et Clothilde Hesme sont des comédiens extravagants. D'ailleurs, je reprends Clothilde dans mon spectacle à la Villette.



Pourquoi avez-vous fait le choix du violon pour LES FRONTIERES DE L'AUBE ?

Pour la première fois avec Philippe, on a travaillé avec un violon solo. Ce fut difficile pour moi car je ne voulais pas faire de la musique romantique. Le violon est tout de suite mélodique, la main sur le coeur. J'ai écrit le violon pour que ce soit abrupt, en double corde pour que ça racle un peu, pour traduire la violence des sentiments, et en même temps la tendresse, tout cela accompagné d'un piano.

Le violon solo est joué par l'immense Didier Lockwood...

Philippe m'a suggéré de travailler avec lui. C'est un type qui ne va pas dans la même direction que moi. J'étais un peu inquiet de savoir comment on allait se rencontrer, car c'est quelqu'un avec une forte personnalité. Je ne veux pas me laisser faire non plus. J'ai besoin d'un interprète mais pas de quelqu'un qui me bouffe. (rires)

Par coïncidence, je l'ai rencontré lors d'un boeuf à l'Île de Ré, et on a parlé de cette musique de film. Il m'a avoué être très malléable. Il a fait des études classiques, il est cultivé, il n'est pas con. J'étais très rassuré. 

C'est un magnifique souvenir, et je sais que pour lui aussi, car après on s'est revu, encore à l'Île de Ré, et on a beaucoup parlé de cet enregistrement qui nous a beaucoup marqué tous les deux. 

Vous étiez impliqué dés le scénario ?

Ce qui est bien avec Philippe, c'est qu'il m'appelle dés l'élaboration du scénario. Donc j'ai le droit de me tromper. Tandis que quand on est pressé, ce n'est pas aussi confortable et on n'a pas la chance de pouvoir y rêver.

Etes-vous satisfait du résultat, Philippe Garrel a t-il respecté votre travail ?

Je suis assez content.  Bien souvent le metteur en scène est déçu car il a peur de la musique, elle apporte tellement de choses sur les sentiments. Il y a le gars qui a fait son film pendant plusieurs mois et tout d'un coup, il y a un trublion qui s'amène avec son violon et qui lui change le scénario en bien ou en mal. Evidemment, Philippe est très sensible à cela, mais il a bien encaissé le coup. Et je trouve qu'il a mis la musique bien en valeur, ce qui m'a surpris. On l'entend bien, elle est bien placée. 

Quelles furent les Influences musicales pour ce film ?

Philippe m'a demandé d'écouter du Dmitri Chostakovitch, ce qui est un bon choix en soi, mais je ne m'en suis pas servi pour le film, car c'était trop symphonique, ça ne correspondait pas. Philippe a un rêve de musique d'un côté, et le film de l'autre, il ne se rend pas forcement compte. Mais on n'avait pas les moyens, c'était réglé. En revanche, je me suis rapproché des sonates de violon qui ont été écrites par des compositeurs du XXe comme Eugène d'Ysaÿe. 

Un film est littéraire d'une certaine façon, il nous montre des choses précises, ça parle à l'intelligence et accessoirement aux sentiments, tandis que la musique va directement au coeur, sans rien dire. Il y a le cinéma qui nous dit des choses précises en tournant autour d'un truc sans l'exprimer clairement, et la musique qui ne dit rien et qui l'exprime très clairement. Alors la musique trouble le metteur en scène. C'est comme en chanson, la musique change le sens du texte. Mais si l'actrice ne sait pas dire "je vous aime", je ne sais pas le dire à sa place, même avec tous les violons du monde, je ne le pourrais pas.

Parlons de votre collaboration avec Serge Gainsbourg à l'occasion du spectacle à la Cité de la musique dans lequel vous reprenez "Histoire de Melody Nelson". Quelle fut l'origine de ce projet ?

Serge me dit qu'il a envie de faire un album qui s'appellerait "Melody Nelson". Je lui demande des précisions mais il n'avait que le titre, c'est tout. Je lui ai proposé des mélodies, ça lui a plu, et après l'enregistrement, il ne savait toujours pas qui était cette fameuse Melody Nelson. On a réfléchi ensemble à un personnage. Puis c'est devenu quelque chose qu'il a resserré. Le texte est né après ma musique. C'est un peu le contraire de ce qui se passe d'habitude. 

Notre relation était amicale parce que c'est un mec bien. Je ne m'intéresse pas à la médiatisation, la seule chose qui m'intéresse c'est la musique et les choses artistiques en général. Je me suis aperçu qu'il n'y a aucunes photos de Serge et moi ensemble, car je ne l'ai pas souhaité. On a fait ce disque sans se marcher sur les pieds. En plus, il n'a pas eu de succès, donc ce ne fut pas un enjeu. 

Vous êtes l'homme de l'ombre ?

Si ce que vous appelez la lumière, c'est les spots télé, je préfère encore être dans le noir. 

Interview réalisée à Paris le 25 septembre 2008 par Benoit Basirico

En savoir plus :

Vos avis