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Alain Corneau  
Né le 7 Août 1943, Décédé le 30 Août 2010

Alain Corneau

Musicien de formation, Alain Corneau se tourne vers le cinéma en s'inscrivant à l'IDHEC. Stagiaire chez Costa-Gavras, puis son premier assistant en 1970 sur L'Aveu, c'est l'occasion pour lui de travailler une première fois avec Yves Montand qu'il dirigera par la suite à trois reprises. Il va très vite se faire une spécialité dans le film policier, dont le mémorable SERIE NOIRE avec Patrick Dewaere.

Filmo

Liste non exhaustive, apparaissent les films présents dans notre base :

 Le Deuxième Souffle (2007)
- Film - BO : Bruno Coulais


 Tous les matins du monde (1991)
- Film - BO :


 Fort Saganne (1984)
- Film - BO : Philippe Sarde


 Le Choix des armes (1981)
- Film - BO : Philippe Sarde


 Série noire (1979)
- Film - BO : Artistes variés


 La Menace (1977)
- Film - BO : Gerry Mulligan


 Police Python 357 (1977)
- - BO : Georges Delerue


Incontournables du réalisateur

Disparition en Août 2010 :

Disparition du cinéaste qui a compté dans le paysage cinématographique français en érigeant un genre (le Polar) au rang d'art, et qui a toujours su employer la musique. 
Musicien de formation, le cinéaste a pu régulièrement convoquer le jazz, avec Gerry Mulligan (saxophoniste baryton américain) sur "La Menace" ou encore un morceau de Duke Ellington entendu dans "Série Noire". Il aime aussi le classique (Schubert dans "Nocturne indien", Jordi Savall et sa musique dix-septièmiste pour "Tous les matins du monde", Johann Sebastian Bach dans "Stupeur et tremblements"). Et surtout, il est à l'origine de belles collaborations Cinéaste/Musicien avec son travail auprès de Georges Delerue ("Police Python 357"), Philippe Sarde ("Le Choix des armes", "Fort Saganne") et Bruno Coulais ("Le Deuxième souffle").

Bruno Coulais : "Le courant est bien passé entre nous. C’est un fou de cinéma, un fou de musique, et il parle très bien de ses confrères. Il est à part, il est unique."

Flashback : Conférence d’Alain Corneau sur la musique
(Festival d'Auxerre 2007)

Lire aussi notre Interview de Bruno Coulais sur LE DEUXIEME SOUFFLE

 

Stéphane Lerouge : L’une de tes particularités, c’est que tu anticipes beaucoup la musique dans tes films, comme pour LE DEUXIEME SOUFFLE où Bruno Coulais a composé avant le tournage…

Alain Corneau : En effet, en général le musicien travaille sur le montage terminé. Mais moi j’aime bien quand il y a quelque chose avant, ça m’est arrivé Dieu merci plusieurs fois. Dans ces cas-là, on peut tourner avec la musique, la faire écouter au chef opérateur, aux gens qui vont travailler sur le film, et surtout aux comédiens, ce qui n’est pas rien, car ça leur permet de s’imprégner de l’ambiance du film de manière un peu transcendantale. Et au montage, quand on a la majorité des musiques, je suis persuadé qu’on monte différemment une séquence et que les longueurs de plans ne sont pas les mêmes. Mais il n’y a pas de loi : un musicien peut aussi faire une très belle musique même après le tournage !

Un cinéaste que tu as bien connu, Claude Sautet, disait « Je tourne les films uniquement pour arriver à l’étape de la musique ».
C’est pas pour rien que Claude disait ça, car c’était un fantastique connaisseur de musique, sa vie était partagée à 50 % par le cinéma et à 50 % par la musique. Souvent les metteurs en scène sont un peu effrayés par les musiciens car c’est un domaine qu’ils ne connaissent pas bien, et ils ont affaire à un créateur à part entière qui peut provoquer du conflit. Mais quand on connaît la musique, c’est vrai que c’est le supplément d’âme du film. Je pense que la musique dit profondément ce qu’est le film, l’impression de réalité que donne le cinéma (et ce n’est pourtant qu’une impression car le cinéma est tout sauf réaliste) a un besoin absolument vital de transcendance qu’est la musique. D’ailleurs, historiquement, il n’y a jamais eu de cinéma muet. La musique sur un film est une évidence.

Est-ce que ça t’es arrivé, à l’étape de l’écriture, de prévoir de la musique à la place d’un dialogue ?
Ce n’est pas toujours évident, mais ça peut arriver. On peut épurer le dialogue à défaut de l’enlever entièrement, sachant que la musique va remplir l’espace dont on a besoin. Mais ce serait penser que la musique peut se charger de remplir un « manque » ; je pense plutôt à un dialogue profond entre les deux corpus qui sont liés, y compris avec les autres éléments de la bande son. Mais il peut aussi y avoir de très bons films sans une note de musique, comme chez Bresson ! Pourtant il aimait beaucoup la musique !

Peux-tu nous parler de ce film que nous avons tous vu, POLICE PYTHON 357 ? A l’époque tu avais 30 ans et Georges Delerue 52 ans…
Georges était un immense musicien. Il avait cette capacité qui fait les grands compositeurs de se couler complètement dans l’esprit d’un film (je n’aime pas le mot « caméléon »). Mais surtout il était beaucoup plus aventureux que ce qu’on lui demandait. Le polar est un genre qui, je crois, a besoin d’une dose de poésie. On a écouté une chose ensemble, une musique de Monteverdi un peu dissonantes, c’est tout, et il est parti là-dessus. Je crois que le film, c’est évident, aurait beaucoup moins d’intérêt sans la musique de Georges. Il manquerait cette dimension de perte d’identité.

C’est donc tout sauf une musique de polar…
Il n’y a pas de musique de polar. Une musique avec des effets synchrones n’est pas une musique de polar. Les grands films policiers ont en général une musique très élégiaque, plus onirique. Je ne crois pas à la musique « utilitaire » dans un film policier. Malgré le peu de moyen qu’il avait, Georges a fait un travail extraordinaire sur les cordes, les frottis, ces dissonances admirables.

Quelle a été ton impression en découvrant cette musique ?
J’ai été ravi ! La production un peu moins, ils trouvaient ça quand même un peu bizarre (rires) ! Mais pour moi la question ne se posait même pas : c’était parfait. George m’a donné l’occasion de m’exprimer par la suite, il m’a aidé pendant tout le film.

Curieusement, le film qui a suivi est dans le prolongement du même thème…
Oui, c’est ça, même si je voulais le faire de manière plus géométrisée, plus mécanique. C’était le même sujet mais réduit à sa forme initiale.

Je vais me faire l’avocat du diable mais nous avons reçu l’an passé un jeune compositeur prometteur qui s’appelle Philippe Sarde, qui était assis exactement où tu es. C’était sa sortie hors Paris de la décennie, il s’en repose encore... Philippe nous avait dit une chose sur le recours aux musiciens de jazz : « c’est formidable d’avoir de grands solistes de jazz, mais pour les lâcher sur une structure déjà mise au point par la composition ».
C’est très juste, d’ailleurs Philippe l’a fait beaucoup. Pour LA MENACE, j’avais plus précisément besoin du saxophone baryton de Gerry Mulligan, qui est aussi compositeur en plus d’être jazzman. Le timbre de cet instrument, c’est le personnage de Montand. J’avais besoin de cette « voix grave » qui était le contraire de la mécanique classique dans la mise en scène, encore une fois une sorte de dialogue contradictoire avec le film lui-même, pratiquement lisse comme une pierre.

On parlait de Philippe Sarde : ce fut une collaboration totalement baroque sur LE CHOIX DES ARMES…
Ça, c’est autre chose. C’est l’une des rares fois où j’étais en confusion avant de faire intervenir Philippe. J’avais à l’idée un certain contexte ravélien, puisque c’était la première fois que je faisais un film qui tendait la main au cinéma d’avant moi, et non le cinéma de la banlieue avec Depardieu et Dewaere. J’hésitais donc entre une ambiance plutôt ravélienne et une ambiance disons plus contemporaine. J’étais obsédé par deux contrebassistes, Ron Carter et Buster Williams, qui enregistraient en solo, ce qui était assez rare. Malgré mon hésitation, Philippe, dans sa grande simplicité qu’on connaît tous, a réglé le problème : « on va faire les deux » (rires) ! Ici, Philippe avait enregistré avant le film. Je regrette toujours de ne pas avoir filmé ça car c’était un grand moment : au beau milieu du London Symphony Orchestra, les deux contrebassistes américains ! Le contraste était inouï, et les gens du London étaient éblouis par la virtuosité de ces deux contrebassistes qui jouaient très juste. C’est l’exemple parfait du mariage idéal entre l’improvisation jazz et l’écriture. Je trouve que le jazz au cinéma est quelque chose qui n’a jamais été vraiment résolu : il y a une contradiction, et personne ne semble avoir trouvé de solution. Je crois qu’il y a dans le continuum rythmique du jazz et dans l’improvisation mélodique une sorte de dialogue qui rentre en contradiction avec la narration du film. Au final, ce qu’a fait Philippe correspond au sujet du film, qui parle de la contradiction des générations, des époques, des décors : dans la musique aussi tout s’oppose. Le score parle de ça de manière évidente.

L’an passé, Philippe Sarde a dit de toi, après avoir évoqué avec enthousiasme votre collaboration sur LE CHOIX DES ARMES et FORT SAGANNE : « après, Alain a chopé une étrange bactérie, un virus Bressonien ». Autrement dit, il est allé se promener du côté de Schubert, de Marin Marais, etc…
J’ai eu aussi Mireille Mathieu (rires) ! Ça dépendait des films, il y a eu un tas de chansonnettes de ce genre-là ! Il s’agit effectivement d’une période où j’ai eu besoin, à tort ou à raison, de musiquer les films d’une autre manière, et de créer mes propres bandes sonores grâces à des musiques préexistantes. Mais on se surprend parfois à mettre dans des films des musiques que l’on n’entend pas habituellement, et de trouver à ces musiques des vertus narratives et dramatiques très fortes. Je crois que le grand initiateur de cela, en partie, est Martin Scorsese dans MEAN STREET. Avant cela, bizarrement, on avait rarement la musique de l’époque dans le film, on n’avait pas la musique qui environnait les personnages et qui décrivait leur milieu culturel de l’époque. Après, il y a eu des débordements : aujourd’hui il y en a trop. J’espère ne pas tomber là-dedans.

Ce fut donc TOUS LES MATINS DU MONDE…
C’était un projet qui me tenait à cœur depuis longtemps, je voulais faire un film où la musique serait au centre de l’histoire. Mais je ne savais pas très bien comment m’y prendre, ni quelles musiques utiliser. Puis c’est venu peu à peu, au cours de l’écriture du scénario, jusqu’à la rencontre avec Jordi Savall. Nous avons ensuite cherché les pistes musicales ensemble, principalement Marais et Lully, c’était ici très important. Comme il fallait enregistrer la musique un an avant pour que les acteurs s’y préparent, on a eu beaucoup de séances d’enregistrement avec Jordi, qui est aussi instrumentiste et pas seulement un chef. Ce fut une expérience unique car pour la première fois je collaborais avec le musicien comme si c’était un comédien. Il fallait enregistrer les pièces de manière différente selon les scènes à l’écran, il fallait chercher un son différent de celui du disque. Jordi en parle encore avec nostalgie… Et puis au tournage, on a tout filmé avec les musiques sur le plateau, la direction d’acteur était liée à la musique que j’envoyais sur le plateau : la vitesse des pas était calqués sur la musique. Musicalement, ce film a été un véritable bonheur.

Est-ce que pendant toutes ces années, le regard et l’apport d’un compositeur ne t’ont pas manqués ?
Si, absolument. Un compositeur apporte un certain recul sur le film. Mais il arrive un moment où un projet appelle une certaine façon de faire. Et j’aime bien changer de grammaire cinématographique à chaque film quand je pense que le sujet le nécessite et donc cet environnement général de changement, il y a aussi la musique. A partir du moment où on fixe des parti pris techniques, on y va jusqu’au bout : dans TOUS LES MATINS DU MONDE, par exemple, il n’y a aucun mouvement de caméra. La musique, c’est pareil : au bout d’un moment on dit « c’est ça ».

Il y a une musique existante absolument magique sur les images et culturellement totalement inattendue, c’est le plus beau contraste dont on puisse rêver. C’est STUPEUR ET TREMBLEMENTS, avec les variations Goldberg de Bach.
Je trouve que dans le film, l’alliance entre les variations Goldberg et le plan fixe du jardin japonais est absolument parfaite. J’ai pris une interprétation très spéciale de Pierre Hantaï, j’y ai beaucoup réfléchi. C’est une interprétation très charnelle qui a une légèreté où le sang circule. Je pense que le son du clavecin, de manière fantasmatique, représente le Japon, et que la mathématique de Bach est exactement la mathématique japonaise, pleine de sentimentalisme derrière les apparences. Au Japon, on est fasciné par les codes, mais en même temps ils sont d’une émotivité éruptive. Et en plus les Goldberg, à mes yeux, racontent l’histoire du livre de Nothomb : il y a un thème, une introduction, puis des variations drolatiques, et une reprise chargée de ce qu’on a vu avant… Mais je m’arrête là : je pourrais parler cinq ou six heures du pourquoi j’ai pris ces Goldberg là !

Cela semble une évidence quand on voit la musique sur les images mais ça ne l’est pas a priori…
Oui. J’ai aussi tourné un film en Inde. Je suis un grand admirateur de la musique classique indienne mais je ne l’ai pas utilisée. Il fallait Schubert, puisqu’il est dans la tête du personnage, c’était sa culture à lui. Dans STUPEUR ET TREMBLEMENTS, le personnage désire retrouver son enfance et devenir japonaise mais c’est une folie, et elle finit par se découvrir elle-même. Il fallait quelque chose qui lui plane au-dessus. On dit que la seule preuve de l’existence de Dieu, c’est Bach : et je n’en vois pas d’autre !


Bruno Coulais et Alain Corneau

Pour LE DEUXIEME SOUFFLE, quelle correspondance secrète s’est nouée entre le sujet et l’envie de travailler avec Bruno Coulais ? (> Lire notre Interview de Bruno Coulais sur LE DEUXIEME SOUFFLE)
Il y a toujours une part d’irrationnel, d’inconscient. C’est un peu la même chose, pour un metteur en scène, que réfléchir à ses comédiens principaux. J’avais écouté beaucoup de choses de Bruno, et à partir de ça on suppose qu’il y a une possibilité autre déjà contenue dans ce qu’on a entendu ; exactement comme le choix d’un comédien : on l’a déjà vu, on sait qui il est, mais on se dit « c’est lui ». Je pense qu’à partir de là il faut adorer le choix qu’on a fait, et sincèrement ne jamais le remettre en cause, car c’est la pire des choses qui puisse arriver. On peut écouter des choses, mais pas trop, et surtout sans se borner à imiter, ça peut très bien aller vers autre chose après.
A propos de Bruno, j’ai rencontré peu de compositeurs qui aient une telle autorité dans la douceur. Le début du film a été particulièrement primordial, car c’est la mise en place de l’univers du film, avant toute instauration narrative. Il faut être très franc au début d’un film, ça passe ou ça casse. C’est un univers plus ou moins abstrait, plus ou moins onirique, plus ou moins réaliste, et cet univers-là, la musique le donne.

Quelle était ton attente ?
On a parlé de choses très simples. D’abord, il a eu le scénario : le compositeur est un bon lecteur car il sait où il va intervenir là-dedans. On a parlé de nostalgie, d’identité, de film noir, de destin, on a évoqué quelques musiciens de film, et puis c’est tout. La musique ayant été composée avant le film, sa maquette m’a ensuite aidé à finir l’écriture du scénario, puis à déterminer des choix de mise en scène sur le plateau.

A propos du DEUXIEME SOUFFLE, tu as dit : « la musique de Bruno Coulais m’a aidé à mieux comprendre mon propre projet, à mieux le cerner »…
Je pense que la musique est le seul élément dans un film qui parle du sujet profond du film. Evidemment, sans le film elle n’existerait pas, mais sans elle on raterait une grande partie de l’objectif du film. Je crois que la musique apporte ce que j’appelle bêtement le supplément d’âme, elle touche du doigt ce que les images ne peuvent pas exprimer. Ici la musique fait la mise en scène du film, j’y crois profondément.

Propos recueillis par Sylvain Rivaud à Auxerre le 15 novembre 2007.

> Lire aussi une Interview de Bruno Coulais sur LE DEUXIEME SOUFFLE

 

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