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JAMES BOND, l’incontournable apport de John Barry

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par François Faucon

- Publié le 18-02-2014




Il est inutile de refaire ici la biographie de celui qui est considéré comme le grand-père de la pop britannique. Avant James Bond, il fut, notamment, arrangeur talentueux chez EMI et leader du groupe qui porte son nom : The John Barry Seven ; un orchestre de jazz qui lui permet de côtoyer du monde, de passer fréquemment à la BBC, de comprendre les goûts du public, d'apprendre ce qui marche ou pas. 

 

Dans les compositions des années soixante, on retrouve déjà la touche d'un maître familier des styles à la mode : "Rock a Billy Boogie" (1957) ; "Twist it" (1961) ; "Kinky" (1963) ; "Monkey Feathers" (1964) ; etc. Et même lorsqu'il chante du rock en 1957 ("You've got a Way"), on sent déjà que John Barry mélange le plaisir et le sérieux. 

Le son inimitable du John Barry Seven se retrouve dans les enregistrements d'époque dirigés par Barry et serait perdu en cas de réenregistrement aujourd'hui. D'autant que ce son était fait d'équilibre et permettait d'entendre la 3ème flûte autant que le dernier violon lors même que le tout Hollywood contemporain affectionne la pâte musicale épaisse finissant en inaudible bouillie orchestrale. De fait, bien des titres de James Bond sont sortis en 45 tours par The John Barry Seven : "James Bond theme" (le nom de Monty Norman apparaît sur le disque...) ; "007" ; "From Russia with Love" ; etc. Et ce son est l'un des éléments qui peut expliquer le succès des bandes musicales composées par John Barry pour la saga. C'est tout cet "acquis sonore" qui va arriver dans l'univers bondien avec le recrutement de John Barry sur Dr No. Si Monty Norman est le créateur du "James Bond theme", John Barry a fait tout le reste...

De fait, John Barry ne se contente pas d'apporter sur 007 le son du Seven Barry Orchestra. Il innove également. Ainsi, dans le "James Bond theme", il combine "la guitare rock, substituée à la guitare expresso bongo de Monty Norman, le son des Seven, et le jazz mainstream de son haut cuivre de Stan Kenton." [Vincent Chenille, voir bibliographie, page 19]. Et pour faire du "James Bond theme" initialement composé par Monty Norman, un thème jeune, percutant et "dans le vent", il demande à Vick Flick, guitariste des Seven de jouer le thème. John Barry est donc un compositeur incontournable dans l'univers de 007. L'enchainement Gunbarrel/motif chromatique/James Bond Theme/thème d'action adresse un message presque subliminal à l'attention du grand public pris à partie dès le pré-générique : vous serez mis en danger (Gunbarrel) ; vous aurez du suspense (motif chromatique) grâce à un homme que vous reconnaitrez ("James Bond theme") et qui vous emportera dans des aventures à rebondissement (motif d'action). Qui dit mieux ?

D'autant que les mélodies de John Barry sont, et de loin, les plus romantiques qui soient ; à la limite de la tristesse. Et c'est bien de cela dont certains compositeurs essaieront se détourner, malgré la nécessité de reprendre les éléments de son travail pour assurer la continuité de la saga. Ainsi, George Martin, premier compositeur autre que John Barry, assure une musique dans la continuité de la chanson "Live And Let Die" de Paul Mac Cartney. Pour le reste du film, il utilise une combinaison, jamais utilisée par John Barry, de cuivres et de percussions. Il réduit également le nombre de mélodies présentes dans le film. Cette tendance est manifeste dans les James Bond d'aujourd'hui où les mélodies du film reprennent généralement celle de la chanson générique et où les percussions sont massivement utilisées dans les scènes d'action.

John Barry compte à son actif dix James Bond. Ce long compagnonnage s'explique par l'excellence du travail de John Barry sur Dr No, notamment pour l'arrangement du "James Bond theme" de Monty Norman. Certes, on ira chercher d'autres compositeurs soit parce que Barry est indisponible soit parce que d'autres auront, aussi, le talent nécessaire pour marquer 007 de leur musique. Ce sera le cas de Bill Conti pour For Your Eyes Only. En effet, le thème composé par Conti pour Rocky devient, dès la sortie du film, un tube planétaire. Il reste à jamais attaché au personnage éponyme et les producteurs de 007 espèrent un effet identique pour cet opus.

Mais, au-delà des mélodies, John Barry fut novateur quant aux procédés de mise en tension musicale utilisés. Un ostinato, sous forme de note tenue ou de motif rythmique et/ou mélodique, est "perturbé" par un "éclat" à l'aigüe que celui-ci soit un percutant accord de trompettes ou des coups de timbales (parfois un autre motif mélodique). L'exemple le plus frappant se trouve dans Goldfinger durant la scène où 007 visite nuitamment le hangar de son adversaire ("Alpine Drive - Auric's Factory" à 2'25). On trouve ce procédé dès Dr No mais également dans From Russia With Love ("Stalking" à partir de 0'22) ; dans Thunderball ("Underwater Mayhem" dès le début) ; et, des années plus tard, dans The Living Daylights ("Kara Meets Bond") de façon beaucoup plus édulcoré car le motif mystère l'emporte un peu sur la logique de mise en tension. Le fait est que d'autres compositeurs ont imposé d'autres habitudes et John Barry lui-même a fait évoluer son procédé de mise en tension. Ainsi, il est le seul à utiliser les contrastes chromatiques : The Living Daylights ("The Final Confrontation") et beaucoup d'autres depuis, dans différents films.

Le travail de John Barry sur James Bond se retrouve également dans certaines de ses compositions ultérieures comme The Golden Child en 1986. Barry claque la porte de la production qui lui demande de réécrire la musique de ce nanar absolu qu'il dote d'une musique d'exception, jamais titrée et jamais éditée ; du moins jusqu'à ce que le label La-la Land s'en charge en 2011 . Ainsi, dans "11M1", les accords de cuivres à 2'50 sont ceux du Gunbarrel et les cinq premières minutes de "The Final Act" rappellent l'univers musical de On Her Majesty's Secret Service. Mais après tout, Chandler Jarrell, héros du film, est un flic, un enquêteur chargé de retrouver les enfants disparus. Une sorte d'espion, en somme !

Il est impossible de terminer cette partie sans citer David Arnold, qui déclarait à la BBC, à l'occasion du décès de John Barry en 2011 : "Je pense que James Bond aurait eu beaucoup moins de flegme si John Barry ne lui avait pas tenu la main ". John Barry ! Ce monument de la musique de films, ciseleurs de thèmes populaires aisément identifiables et au style unique, mélange de lyrisme, de dandysme, de simplicité d'écoute et de structure musicale pourtant riche, aux influences multiples (jazz, classique, pop, etc.) et aux chromatismes menant aux orgasmes mystiques que seule la musique peut procurer ; ce monument, donc, interroge les jeunes générations sur ce qu'ils ont à proposer aux auditeurs. Car il existe dans l'hypnose basique et répétitive de The Persuaders davantage que dans certaines écuries contemporaines.

 

 

par François Faucon


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