LE ROI ET L’OISEAU (Wojciech Kilar), un mickeymousing à la française ?

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par François Faucon

- Publié le 14-04-2019




A l’heure où Hollywood nous assomme de ses blockbusters à répétition (Aquaman, X-Men, Avengers, Spider-Man, Justice League, Captain Marvel, Ant-Man, Shazam… pour ne citer que ceux-là) dans lesquels la musique s’oublie aussi rapidement que le numéro de l’opus cinématographique, il est plus que jamais nécessaire de se souvenir de certaines pépites rares comme « Le Roi et l’oiseau », l’œuvre de toute une vie : celle de Paul Grimault et de ses compositeurs Joseph Kosma et Wojciech Kilar.

Le chef-d'œuvre de Paul Grimault est un film atypique, loin des modes par définition éphémère. Un intemporel du 7e art avec quelque chose d'aérien dans la mise en scène, d'inimitable dans le mouvement fluide des personnages, d'indispensable dans la défense des libertés face aux tyrannies. Tiré du conte d'Andersen, «  La bergère et le ramoneur  », le film de Grimault met en scène l'abominable Charles Cinq-et-Trois-font-Huit-et-Huit-font-Seize, roi liberticide du royaume de Takicardie, tout de boursouflures et d'ego dictatorial. Face à lui, l'oiseau  ; volatile à la faconde sans pareille qui, plus haut logé que sa Majesté, le nargue à longueur de journées avant de venir chanter à ses sourdes oreilles la complainte éraillée qui nuira à son sommeil. La bergère et le ramoneur, quoique bien sympathiques, restent de l'aveu même de Grimault des personnages prétextes. Et tout ce petit univers de baigner dans une musique discrète et pourtant cardinale. Alors qu'est-ce qui fait la spécificité de cette musique  ? Qu'apporte-t-elle au film  ? Peut-on réellement qualifier Grimault de Walt Disney français comme le fait Jacques Demy dans «  La table tournante  »  ? Pour mieux répondre à ces questions, il faut au préalable, expliquer ce qu'est le mickeymousing. Héritage du muet, le mickeymousing est une technique propre aux films d'animation qui permet de souligner chaque scène du film par une musique appropriée, comme on souligne d'un trait de fluo le passage essentiel d'un texte. On peut aisément l'entendre dans le court-métrage Pixar «  For the Birds  » en 2000 (la musique suit l'arrivée des oiseaux sur le fil électrique) et, plus anciennement dans la «  Chanson de la pluie  » dans Bambi en 1942 (la musique souligne les gouttes de pluie tombant sur le feuillage). Nous y reviendrons.

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Une genèse tourmentée 

«  Le Roi et l'oiseau  » fait partie de ces films à la genèse tourmentée. La réalisation du film débute en 1947  : Grimault et son équipe au dessin  ; Jacques Prévert pour les textes  ; Joseph Kosma pour la musique. Les premières difficultés surviennent en 1950, date à laquelle le dépassement budgétaire cause l'arrêt de la production. Grimault et Sarrut, le producteur, se brouillent et c'est la fin des studios qu'ils avaient fondés en 1936  : les Gémeaux. Malgré la débâcle, certains animateurs restent fidèles à Grimault. En 1953 Sarrut bâcle la fin du film et en sort une première version intitulée «  La bergère et le ramoneur  » pour un total de 600 millions de francs.  Cette version de 63 minutes est totalement désavouée par Grimault et Prévert. Ce dernier - il ne reparlera plus jamais à Sarrut - n'en fait pas moins les gros titres du New-York Times (14 mai 1953) lequel explique que le «  French Cartoon [is] ready  ». Le film obtiendra en 1948 le Prix international du film d'animation au Festival de Venise (prix partagé avec «  Melody Time  » de Disney). Et l'admiration de ceux qui, en 1985, fonderont les désormais mythiques studios Ghibli. En 1967, Grimault rachète le négatif du film après une longue bataille juridique pour la reconnaissance de ses droits. De 1977 à 1979, « le Roi et l'oiseau » voit enfin le jour tel que Grimault et Prévert le souhaitaient. 40 minutes de « La bergère et le ramoneur » sont conservées et totalement fondues dans la nouvelle version du film qui n'est rien moins qu'une refonte complète et non un collage qui aurait été impossible et impensable. 1980  : le film sort enfin dans les salles  ; au bout de trente-trois ans  ! Mais la ténacité paye et le film reçoit le prix Louis Delluc qui récompense pour la première en 1979 (dès avant la sortie du film...), un film d'animation. Mais il faudra encore attendre 2003 pour bénéficier d'une sortie en DVD remastérisé. 

La musique est initialement composée par Joseph Kosma, partenaire de Prévert sur des chansons inoubliables comme «  Les feuilles mortes  ». En 1947, Kosma avait déjà musicalisé «  Le petit soldat  » de Grimault. Mais pour «  La bergère et le ramoneur  », il a cédé la musique des chansons au producteur. Estimant ne plus faire partie de cette aventure, Kosma se désolidarise de Grimault et Prévert et se brouille définitivement avec ce dernier. Lors de la refonte complète de l'œuvre, Grimault estime la musique initiale de Kosma trop inégale avec pour seule fonction, le remplissage. Elle est inutilisable en l'état et pousse Grimault à se rapprocher, un temps, de Maurice Jarre. Mais c'est finalement Wojciech Kilar qui sera choisi. Grimault est en effet très impressionné par son travail sur «  La terre de la grande promesse  » de 1974. La rencontre entre les deux hommes se fait à Paris. Et comme le dit Emile Bourget, assistant réalisateur lors de l'entretien disponible dans le coffret DVD, elle relève du coup de foudre. 

Kilar reste surpris d'avoir été retenu  : «  Je me demandais pourquoi Paul m'a choisi. Il y a pas mal de compositeurs en France quand même pour une personne telle que Paul Grimault. Beaucoup de compositeurs seraient heureux de travailler pour lui. Je ne sais pas  ! je pense que c'est un sixième ou septième sens [qui fait qu'il a trouvé] une certaine fraternité artistique et humaine entre nous. Nous sommes venus à Paris [avec ma femme] et le même soir, on a mangé. Je pense que Paul a dit  : «  Maintenant je suis absolument sûr que tout sera bien, que tu es le meilleur compositeur pour ce film. C'était après deux ou trois heures de notre dîner. » Au bout d'une semaine, Kilar repart en Pologne enregistrer la musique avec l'orchestre de la Radio-Télévision Polonaise. Pour le compositeur, la liberté est totale. Aucune contrainte n'est posée par Grimault qui n'entendra la musique qu'une fois achevée. A l'exception de deux scènes qui nécessitaient une entente préalable  afin de faire coïncider musique et image, dont celle du petit clown. Kilar se retrouve donc avec la possibilité «  d'écrire une partition avec une valeur musicale autonome sans les effets burlesques d'un cartoon de Tom et Jerry  ». Malgré les vicissitudes dans la genèse de l'œuvre, Kilar tient à conserver les chansons composées par Kosma qui lui semblent parfaitement convenir à l'esprit du film. Ce sera donc une musique à quatre mains et à presque trois décennies d'écart. De fait l'osmose sera parfaite, pour un résultat meilleur que si tout avait été préparé en amont avec l'intention d'obtenir ce résultat. 

Une logique musicale entre ascension et dégringolade

Dès le «  Générique  », le spectateur/auditeur peut découvrir le thème principal, celui qui incarne l'amour entre la bergère et le ramoneur mais aussi l'amour de la Liberté. Ce thème est décliné tout au long du film en de multiples variations  : intimiste dans «  Les appartement secrets  » du Roi  ; empressé durant la descente vertigineuse des escaliers (avec quelques dissonances pour renforcer la tension dramatique) ; décidé dans le «  Prélude au mariage royal  ». L'ensemble de la musique s'avère très française dans l'écriture, facile à écouter dans le sens d'une accessibilité à tous et servi par une orchestration minimale tournant autour d'un piano et d'un quatuor à cordes. Les thèmes musicaux se conjuguent parfaitement avec les dessins de Grimault, les uns et les autres dans un style très «  ligne claire  ». La finesse du thème général renvoie aux pinceaux qu'utilisaient encore les traceuses pour établir les contours des personnages et auxquels ils ne restaient que deux poils de martre. Mais derrière les variations sur un même thème général, c'est toute la structure du film qui est soulignée par la musique. Analysons la partition du thème principal.

Mieux encore  : relions trois notes par un trait (la première, la dernière en passant par le Do sommital) et donnons naissance à une proto- «  musique visuelle  » pour emprunter au titre des œuvres graphiques méconnues de Michel Magne.

La forme n'est certes pas sans rappeler celle d'un château. Au-delà de cette analogie facile, nous obtenons une structure musicale ascendante et descendante par mouvement conjoint, mouvement dont l'appropriation est aisée pour le spectateur/auditeur. Reprenant le lieu commun qui veut que «  tout ce qui monte doit redescendre  », l'objectif est ici de souligner par la musique la succession quasi-ininterrompue d'ascensions et de dégringolades qui jalonnent le film  : la bergère et le ramoneur descendent de leur toile puis montent s'asseoir sur une cheminée pour admirer le vaste monde  ; descente vertigineuse des escaliers abruptes vers la ville basse  ; ascension depuis cette même ville basse vers les hauteurs du palais lors de la révolte finale  ; ascension sans fin du roi dans son ascenseur avant le passage à la trappe opéré par son double vers un quelconque cul de basse fosse  ; ascension de l'oiseau plus haut perché que le Roi avant sa déchéance dans la ville basse, boulet aux pattes  ; ascension des animaux sauvages depuis l'arène dans laquelle ils avaient été plongés vers la salle de mariage  ; dialogue de sourds qui ne s'installe pas entre la ville basse qui espère ouvrir les yeux de sa Majesté laquelle, de ses hauteurs, dénigre inlassablement ses ouailles. 

Hors le thème principal, d'autres pistes musicales fonctionnent à l'identique. C'est le cas avec les mouvements d'accordéon du «  Petit clown  » qui tente de distraire le Roi. Ainsi que dans la «  Berceuse paternelle  » chantée nuitamment par l'oiseau à ses oisillons et qui énerve tant le Roi. Le tout sur une musique de Kosma.

Cette logique ascension/dégringolade est donnée dès l'ouverture du film. Un plan fixe, désertique, sur lequel on aperçoit les ruines du château. Bien avant que l'oiseau n'arrive pour raconter, a posteriori, son histoire, c'est la musique qui vient construire quelque chose sur les ruines, quelque chose qui ira plus haut que le despotisme incarné dans l'architecture délirante voulue par le Roi  : la Liberté. 

La dérision et l'ironie musicales contre le despotisme

Le film évolue selon une autre logique qui s'emboîte parfaitement avec celle que nous venons de mettre en évidence  : la dérision musicale. Quoi de mieux en effet que cette disposition à générer de façon humoristique et grinçante un mépris qui rabaisse le despotisme retranché sur ses hauteurs ?

De fait, une profusion de styles musicaux relevant tour à tour de l'emprunt ou du pastiche est convoquée pour introduire la dérision dans certaines scènes clefs. 

Les affres de l'usine  :

Le ramoneur est enfin capturé par le Roi qui, dans sa grande magnanimité, épargne sa vie pour mieux le condamner au travail éternel dans son usine. De fait, le Roi l'affirme «  Le travail rend libre  ». Citation qui rappelle bien évidemment celle que lisaient les déportés en arrivant à Auschwitz durant la 2e Guerre mondiale. Dénonciation de la dictature mais aussi du travail à la chaîne à la façon de Charlie Chaplin dans «  Les Temps Modernes  ». Initialement, Henri Salvador devait chanter un thème à base d'onomatopées censées symboliser les machines et introduire la dérision dont nous parlons ici. Finalement, c'est une musique de Mossolov qui est utilisée  : «  Les Fonderies d'Acier  ». Cette composition exécutée en 1930 était considérée par l'URSS comme le chant des machines et de l'acier. Elle sera notamment réutilisée par Michaël Kamen dans «  Une Journée en Enfer  » de John Mac Tiernan en 1995. Dissonante, elle souligne aussi bien l'homme broyé par la machine que l'absurdité du despotisme ambiant qui pousse les ouvriers à peindre inlassablement les mêmes bustes royaux. Enfer mécanique de la répétition qui les poussera à défigurer les traits royaux par des traits de peinture surréalistes.

Mourir d'ennui  :

Le Roi a tout. Il peut tout. Il est tout. Perdu dans l'immensité de son château désertique où seul son chien semble quelque peu avoir ses faveurs, est-il étonnant que le Roi s'ennuie à mourir  ? Et comme seul remèdes à ce problème sans solution qu'est l'ennui  : nuire aux autres, accumuler les richesses, prendre par la force plutôt que mériter, contraindre plutôt qu'intégrer. Charles Cinq-et-Trois-font-Huit-et-Huit-font-Seize serait-il un roi romantique  ? Toujours est-il que dans la solitude de ses appartements secrets, c'est la «  Chanson du mois de mai  » de Kosma et Prévert que l'on entend. L'âne y côtoie le roi dans une course programmée vers la mort qui rend l'action royale totalement dispensable :

L'âne le roi et moi

Nous serons morts demain

L'âne de faim

Le roi d'ennui

Et moi d'amour

Au mois de mai

 

La mise en abyme  :

«  Le portrait du Roi  » durant lequel le peintre officiel (sorte de Hyacinthe Rigaud qui peint plus vite que son ombre) couche sur la toile le portrait de sa Majesté, est un monument de mise en abyme. Grimault peint un peintre qui peint le Roi, lequel repeindra les yeux de son double dont il sera finalement victime. Quant au peintre, il sera passé à la trappe pour avoir peint les yeux du Roi tels qu'ils sont. Un autre choix l'aurait mené au même résultat... Nous assistons donc à une scène qui débute hors caméra (en arrière du spectateur donc) sur le bureau de travail du réalisateur, pour finir (toujours hors la vue du spectateur) dans une énième oubliette royale. La dégringolade est manifeste  ; et si le peintre ne réapparaît pas, les répudiés, eux, referont surface depuis la ville basse pour se révolter.

Pour digérer - voire alléger - une chute aussi vertigineuse dans laquelle le spectateur est partie prenante, la musique apporte un contrepoint plein d'ironie. Une sérénade très légère, dans un pur style français, avec un thème au violon sur fond de pizzicati pour le quatuor d'accompagnement. La partition de Kilar n'est pas sans rappeler l'andante d'une autre sérénade  : celle de Hoffstetter, un contemporain de Haydn (String Quartet in F Major, Op.3 N° 5). La scène connaît une rupture discrète mais majeure au moment où la main du peintre, terrifiée jusqu'à l'hésitation, ose peindre le strabisme du Roi (existe-t-il homme plus autocentré que lui  ?). Ici la musique devient satire, critique moqueuse et le violon solo souligne le dilemme du peintre par un simple trait d'archet un peu plus appuyé que les autres. Le «  nananananère  » des enfants n'est guère loin...

Le mariage du Roi  :

La musique de Kilar est l'occasion de pastiches et d'exagérations permettant de souligner le grotesque de certaines situations. Il en va ainsi de la volonté dérisoire du Roi d'épouser la bergère qui n'accepte que sous la contrainte, et dans l'espoir de sauver la vie de son ramoneur. Car contrairement à son homologue du conte d'Andersen, la bergère de Grimault a quitté sa toile et expérimente la réalité du monde dans sa beauté et son absurdité. Un théâtre s'ouvre dans le torse du géant de fer, scène qui permet de jouer la «  Marche nuptiale  » de Mendelssohn dans une version grotesque où se succèdent exagérations dans l'interprétation, effets pompiers et fausses notes. Ce mariage de façade peut-il satisfaire autre chose que la vanité du Roi  ?

L'appel à la révolte  :

Convoquant de nombreux styles musicaux pour renforcer l'aspect universel et intemporel du film, Kilar compose une musique rappelant Strauss et Vienne. «  La complainte de l'aveugle  » joue sur l'orgue de barbarie, une polka diégétique un peu triste qui évoque vaguement une ambiance montmartriennne sur laquelle le soleil ne se lève plus. Comble de l'ironie pour les habitants de la ville basse. Peu à peu la musique devient extradiégétique. L'aveugle continue de jouer de son orgue mais c'est une musique symphonique qui en sort «  La révolte des fauves  ». On passe alors du particulier à l'universel, de la situation du ramoneur et de l'oiseau  à celle de tous les révoltés contre la tyrannie. Et c'est toute l'ironie de la situation de constater que le petit-ramoneur-de-rien-du-tout s'affirme ici en meneur de la révolte. La musique de Kilar est alors le moyen d'inscrire le drame ascendant (de la ville basse jusqu'à la salle de mariage) dans la grande «  valse de l'existence  ». Bientôt, tout ce beau monde fuira le château...

Une musique qui sait se taire 

Mais la musique de Kilar est également une musique qui sait se taire. Attitude désormais rare dans le cinéma. Si le compositeur de «  Dracula  » compose 40 minutes de musique pour 1h20 d'images, la plupart des compositeurs hollywoodiens d'aujourd'hui, tirant sur la corde du mickeymousing, noient deux heures de films dans 1h45 de musique. Avec «  Le Roi et l'oiseau  », il faut s'attendre à des plages entières d'une musique qui, par son absence, devient assourdissante. Il en va ainsi dans cette scène, en toute fin du film, dans laquelle le robot géant piétine allègrement les restes du château royal («  Fin de règne  »). Seuls les bruits servent ici de partition musicale  : soufflerie, bruits du robot, pierres écrasées, pas des détenus de la ville basse pressés de fuir. La solitude du Roi et son échec, le congédiement de la tyrannie vers des terres plus lointaines, n'en sont que plus parlants. Et le film s'achève sur le thème musical principal, discrète apothéose qui consacre la victoire de la Liberté et de la Joie d'amour.

La musique du cinéma français - plus intimiste que l'héritage parfois lourd des romantiques allemands dont la musique de film américaine est imprégnée - n'en est pas à son coup d'essai (à ce titre, on se réfèrera à l'ouvrage de Cécile Carayol  : Une musique pour l'image. Vers un symphonisme intimiste dans le cinéma français). Dans «  Les Yeux sans visage  » réalisé par Franju en 1959, Maurice Jarre se contente de trente minutes de musique amplement suffisantes. La fin du film voit la mort de Pierre Brasseur, dévoré par ses chiens de garde préalablement libérés par cette fille défigurée à qui il tentait de rendre une humanité au prix de la sienne. Ici, pas de musique. Juste le fait brut accompagné des aboiements mortels. On retrouve la dénonciation d'une autre tyrannie  : celle de la vanité, du beau, de la vie éternelle. Et si le lien avec «  Le Roi et l'oiseau  » n'apparaît pas clairement, peut-être faut-il alors rappeler que c'est Claude Brasseur qui avait prêté sa voix et toute sa faconde à l'oiseau dans «  La bergère et le ramoneur  ». 

Absence de musique également dans la «  scène finale  » lorsque le robot géant devient Penseur de Rodin. Libéré de son maître, il se découvre la possibilité de penser par lui-même, fût-ce pour conclure qu'il ne sait quoi faire de cette liberté. Si ce n'est ouvrir la cage de l'oisillon  avant de la détruire ; geste banal qui souligne l'essentiel  : être Libre. Le film se clôt alors par le retour du thème principal.

Conclusion

Wojciech Kilar fait-il du mickeymousing  ? Dans une certaine mesure, oui. Mais là où il se distingue de Disney, c'est dans sa capacité (inconsciente  ?) à souligner non l'évidence donnée immédiatement par l'image comme dans «  For the Birds  », mais les messages et structures essentiels du film qui ne sont pas forcément évidents pour le grand public. La musique de Kilar souligne ainsi la succession des ascensions et des dégringolades de l'histoire  ; depuis les hauteurs du nid de l'oiseau jusqu'au plus profond de la ville basse. Elle souligne du même coup, la succession d'ascensions et de dégringolades que connaît toute existence. La musique de Kilar, fil conducteur du film, souligne l'universalité et l'intemporalité de la Liberté, de l'Amour et de la Lutte contre l'oppression. La musique souligne même le silence de l'image par le silence de la musique dans un univers devenu inaudible. En tout cela, «  Le Roi et l'oiseau  » se trouve à l'opposé des happy-end à la Disney et d'une certaine niaiserie. Quel parent ne s'est pas exaspéré d'entendre sa fille chanter à tue-tête (et avec la chorégraphie) le texte sirupeux de «  Libérée  ! Délivrée !  » dans la «  Reine des Neiges  »  ? 

La richesse de l'œuvre est telle qu'il serait possible de multiplier les pistes d'analyse  : urbanistique (ville haute/ville basse dans une verticalité abyssale directement issue du «  Metropolis  » de Lang)  ; littéraire (Ubu Roi d'Alfred Jarry pour le passage à la trappe systématique des opposants)  ; cinématographie (Miyazaki et Takahata ont toujours revendiqué l'influence du film de Grimault)  ; psychologique (la solitude du pouvoir qui rend fou)  ; surréalisme général de l'œuvre (emprunt aux peintures de Chirico) que la musique vient rehausser par un classicisme qui joue la carte du contrepoint  ; etc. Mais alors quel est le secret de cette ode cinématographico-musicale à la Liberté  ? La réponse la plus pertinente est peut-être donnée par ma fille qui, du haut de ses huit ans, alors que nous discutions il y a peu, de savoir ce qui lui plaisait dans ce film («  les épaules du roi, on dirait des fesses  !  »), me répondit : «  Le grand vide  ». «  C'est-à-dire  ?  », lui demandai-je, étonné. «  Il n'y a pas de joie.  » 

par François Faucon


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