Interview Philippe Grandrieux / UN LAC : 'Je voulais permettre l'accès au film les yeux clos, un film qui puisse être juste entendu'

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Interview réalisée à Paris le 9 mars 2009 par Benoit Basirico - Publié le 09-03-2009




Philippe Grandrieux passe au long-métrage avec SOMBRE et collabore à la musique avec Alan Vega. Pour LA VIE NOUVELLE, il se tourne vers le groupe electro Étant donnés. Pour UN LAC, il emploie des titres existants.


Cinezik : Quel est le point de départ du film UN LAC ?

Philippe Grandrieux : Le premier travail passe par l'écriture. Je peux difficilement imaginer construire un film sans passer par ce mouvement là, m'approprier les sensations du film à travers l'écriture. Et cela peut prendre des modalités différentes selon les films mais à un moment donné quelque chose doit se déposer, doit s'écrire. Le désir initial de ce film, c'est un lac. C'est vraiment l'idée d'un lac que j'avais, comme une sensation fabriquée à partir de multiplicités, le vent, des arbres, que je voulais suffisamment espacés les uns des autres, très élevés, pas une forêt de sapins serrés, cela demandais un certain type de conifères. 

Le lac, je l'ai très vite pensé comme un verrou qui interdisait de rendre l'accès de cette famille au monde, comme un lieu troué, un trou noir qu'il s'agissait de pouvoir traverser, et même pénétrer. Donc cette sensation est venue avec beaucoup de force, avec les souffles, l'épilepsie, l'enfant... Tout cela constituait des connexions qui ont des vitesses particulières.

Et comment avez-vous travaillé la nature sonore du film ?

C'était compliqué le chemin du son, et simple à la fois. Simple car je savais que je voulais permettre l'accès au film les yeux clos, un film qui puisse être juste entendu, chaque son était précisément construit, puis installé dans le film par le montage puis mixé. Il y a un travail constant sur ce que l'on entend, dans quelle proportion, la place, comme une partition, des bruits de pas dans la neige, du vent, la pluie, les souffles, du cheval, du dormeur, de l'enfant, d'Alexis, du bruit du vêtement qu'il frotte... Tout cela sont des événements sonores qui nous mettent dans une relation érotique avec le son, comme si le son devenait un objet dont on peut se saisir, comme si le son pouvait s'incarner.

Et par rapport à la musique, c'était tout un détour complexe. J'avais même imaginé qu'il y aurait une symphonie tout le long du film, que le film serait entièrement recouvert de musique, puis l'idée a été abandonnée et je me suis dit qu'il fallait juste un chant.  Et pour trouver ce chant, je l'ai trouvé en discutant avec des amis qui m'ont parlé d'Eichendorff.

Quelle est votre démarche de cinéaste, qui s'avère assez singulière dans le paysage cinématographique français, pour tenter de trouver votre public ?

On fabrique quelque chose avec le plus de force possible, en étant le plus proche de soi et de ce qu'on éprouve sans se détourner de ses émotions, et après le film a sa présence propre, et cet objet permet à un autre que moi, qui n'est pas le public ou l'audience, des termes qui servent aux dictatures, c'est un autre homme qui est là avec son histoire, sa vie, sa mémoire, ses fantasmes, ses désirs, sa bétise comme la mienne, qui regarde et reçoit le film, on ne peut pas raisonner dans des termes qui d'emblée interdisent au cinéma d'exister.

Sur vos films, vous êtes omniprésent, vous assurez tous les corps de métier ?

Sur UN LAC, j'ai fait le cadre et la lumière, et je n'ai pas fait directement le son mais je suis présent car j'ai une discussion constante sur ce travail sonore dans la relation intime avec ma monteuse Françoise Tourmen qui travaille avec moi, avec qui au moment du montage on dessine le film en matière de montage son aussi. 

Quels sont vos goûts musicaux ?

J'aime beaucoup Bach, mais aussi le rock anglais, The Strokes, la musique industrielle la plus improbable, j'aime le son sans hiérarchie culturelle. Il y a certaines choses dans la musique industrielle ou le rock qui transmettent beaucoup d'énergie et de joie comme cela peut être le cas avec un prélude de Bach. Il n'y a pas d'un côté la grande musique et de l'autre le reste. J'aime Joy Division par exemple. Bach et Joy Division, voilà !

Vous avez d'ailleurs réalisé un clip pour Marilyn Manson, quel souvenir avez-vous de cette expérience ?

C'était très chaleureux. C'est quelqu'un d'étonnant Manson, on a tourné très rapidement, en quelques heures, c'était une commande, sous le contrôle de la maison de disque, pour moi il est un peu trop "clipeux" ce clip. Mais je l'ai fait surtout pour l'aventure humaine de la rencontre avec Manson, c'était drôle de tourner ensemble, c'est quelqu'un de très présent lorsqu'on tourne tout en me faisant confiance puisque c'est lui qui m'avait demandé de faire ce travail. Il connaît en plus admirablement bien le cinéma.

Quel regard portez-vous sur les compositeurs de cinéma ?

Je ne sais pas très bien ce que ça veut dire compositeur de cinéma, mais je crois que j'aurais du mal. Je pense que la musique est là d'emblée, il n'y aurait pas pour moi la possibilité de faire l'image et de la donner au compositeur, il composerait où et quand, sur quel type de moment, la musique ferait quoi ? Expliquer les intentions psychologiques c'est atroce, permettre aux émotions de se soulever c'est monstrueux. Alors, qu'est ce qu'il viendrait faire ? Alors en revanche, que ce soit là d'emblée, oui, c'est autre chose, parce que c'est construit dans la mise en scène réelle, ce n'est pas de la musique qui vient se mettre sur les images, enfin je ne pense pas.

Interview réalisée à Paris le 9 mars 2009 par Benoit Basirico

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