Interview B.O : Jean Musy fait de la résistance

[Sa disparition le 27 avril 2024]

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Propos recueillis par Benoit Basirico 
en Novembre 2018
Dans le cadre d'une émission sur Aligre FM

- Publié le 09-11-2018




Jean Musy a orchestré et composé des musiques pour plus d'une centaine de films français et internationaux. Il a travaillé avec les réalisateurs les plus divers, parmi lesquels Costa Gavras, Juan Bunuel, Gérard Oury, Jean-Marie Poiré, Jean-Claude Brisseau , Denis Maleval, Alejandro Jodorowsky… 

Cinezik : Vous êtes avant tout compositeur, mais vous avez également mis votre musique au service de l'image, que ce soit au cinéma ou à la télévision. Considérez-vous que cette musique de film est votre musique personnelle ?

Jean Musy : Non... Je ne le pense pas, du moins dans la manière dont j'ai été contraint de les réaliser. Je n'aime pas le mot "créer" en référence à ce type de travail, ce n'est pas ma musique. J'ai toujours tenté de faire les choses que j'aimais, mais avec tant de contraintes que je ne peux pas affirmer que ce soit ma musique. Ma musique, je la compose ailleurs, dans d'autres sphères. Le cinéma n'est pas un espace de liberté.

Pour CLAIR DE FEMME de Costa Gavras, vous avez proposé un thème à la flûte de pan... était-ce votre choix ?

J.M : Initialement, ce thème fut interprété par un violoncelle. Actuellement, je donne des concerts avec un orchestre symphonique, et tout est réorchestré selon mon souhait, c'est-à-dire avec uniquement des cordes. Mais à cette époque, c'était Yves Montand qui m'avait obligé à utiliser une flûte de pan. C'était la grande période de Gheorghe Zamfir... et il craignait que son film ne soit pas un succès commercial (il en était le co-producteur), il n'avait pas confiance en son potentiel commercial.

Pour revenir à vos débuts, quel souvenir gardez-vous de Francis Lai, pour qui vous étiez arrangeur ?

J.M : J'ai collaboré avec Francis sur une vingtaine de films en tant qu'arrangeur. Grâce à lui, j'ai énormément appris. Étant un compositeur très célèbre, j'ai eu l'opportunité de travailler avec de grandes formations, ce qui s'est avéré plus compliqué par la suite quand j'ai voulu travailler sous mon nom, car il est très difficile d'obtenir des budgets importants pour la musique de film.

Est-ce que votre expérience aux côtés de Francis Lai vous a préparé à devenir par la suite compositeur ?

J.M : Cela m'a préparé à être en relation avec de grands réalisateurs (nous avons travaillé avec Dino Risi, Claude Lelouch...), et j'ai enregistré avec des orchestres du monde entier. C'était extrêmement enrichissant pour moi ! En plus, Francis était une personne absolument merveilleuse, adorable, il me laissait beaucoup de liberté. Tout cela était très intéressant pour le jeune compositeur que j'étais.

En tant que compositeur pour le cinéma, avez vous une méthode particulière ?

J.M : Je travaille toujours à l'instinct. Je n'ai aucune formation musicale, j'ai appris tardivement, grâce à un livre que je recommande : le Traité d'orchestration de Berlioz, une merveille, qui parle même de la psychologie à adopter avec les musiciens, car on ne peut pas s'adresser à un hautboïste comme à un tromboniste, à un violoncelliste comme à un violoniste. C'est l'instrument qui choisit l'homme et non l'inverse.

Souvent, un compositeur de film doit rivaliser avec les musiques préexistantes... ce qui vous est régulièrement arrivé, notamment sur PAPY FAIT DE LA RÉSISTANCE, puisque Jean-Marie Poiré a intégré du Mendelssohn...

J.M : Je m'entends très bien avec Mendelssohn (Rires). Je l'ai toujours admiré... Mais CLAIR DE FEMME n'est pas un grand film, PAPY FAIT DE LA RÉSISTANCE non plus, c'est un film que je ne voulais pas faire, cela m'a juste permis de régler mes arriérés d'impôts. Je n'apprécie pas ce film. Le premier est un film prestigieux car il met en scène Romy Schneider et Yves Montand, et c'est réalisé par Costa-Gavras, un homme prodigieux. Mais je ne peux pas dire que j'ai contribué à son meilleur film. Le second, c'est un film drôle qui a fait rire de nombreuses personnes, et qui m'a rapporté suffisamment d'argent pour me remettre à flot, mais sinon il ne m'intéresse pas.

Préférez-vous le film d'Alejandro Jodorowsky, LE VOLEUR D'ARC-EN-CIEL ?

J.M : Ah oui, celui-là j'ai adoré ! Et en plus, c'est un homme très passionnant ! Je n'ai fait qu'un film avec lui, et j'ai beaucoup aimé. Mais lui-même a été terrorisé par l'épouse du producteur qui était aussi la scénariste, il n'a pas écrit son propre film, et ce n'étaient que des conflits épouvantables. Mais j'aime beaucoup le thème que j'ai écrit pour ce film. Je l'ai réorchestré pour les concerts. 

Depuis la fin des années 90, vous entretenez des relations privilégiées et exclusives avec certains réalisateurs. Au cinéma, il y a Jean-Claude Brisseau, que vous avez rencontré en 1989 avec NOCE BLANCHE...

J.M : C'est quelqu'un qui adore la musique. Il aime la musique parce qu'il aime le silence. C'est fantastique ! Chez lui, lorsque la musique intervient, elle joue toujours un rôle. Elle n'intervient pas pour distraire ou pour ajouter quelque chose, elle intervient véritablement comme conteur. C'est un homme du silence et cela me plaît beaucoup. NOCE BLANCHE, j'étais tombé amoureux du film, vraiment ! J'aurais fait n'importe quoi pour y participer. Il n'avait pas d'argent mais peu importe.

Ce sont vraiment les films qui vous guident ? 

J.M : Je suis surtout un amoureux des histoires, bien plus des livres et du théâtre que du cinéma. J'adore Guitry, le cinéma de Carné, mais cela s'arrète aux années 60. J'ai détesté la Nouvelle Vague car elle a brisé les carrières extraordinaires de cinéastes qui étaient des merveilles !

Vous qui aimez les histoires plus que le cinéma... Est-ce cela qui vous a conduit à un projet intitulé "Cinéma sans images" ?

J.M : C'est un projet un peu particulier. Je suis passionné par un auteur qui est Stefan Zweig, j'adore ses nouvelles. Comme j'ai rarement réalisé des films dont je suis totalement satisfait (à part 5 ou 6 sur plus de 200 films), j'ai donc repris des nouvelles de Stefan Zweig pour créer un film, avec un conteur, des comédiens, ma voix, des effets sonores, un peu de musique originale, et beaucoup de silence. Je raconte ainsi les histoires de Zweig.

Terminons avec la télévision, avec Denis Maleval que vous retrouvez presque chaque année pour un nouveau téléfilm... Vous ne faites pas de différence entre le cinéma et la télévision ?

J.M : C'est le même travail. Les films de Denis m'apportent beaucoup de joie. J'aime ses films. Lui aussi est en lutte, mais il me protège énormément. Il a toujours fait bouclier, me permettant de créer la musique que j'aime. C'est le seul réalisateur avec qui j'ai collaboré qui m'a protégé à ce point.

 

Propos recueillis par Benoit Basirico 
en Novembre 2018
Dans le cadre d'une émission sur Aligre FM

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