LES FRÈRES SISTERS (Alexandre Desplat), une musique qui tourne en rond ?

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Julie Issartel et Manuel Bleton

- Publié le 02-10-2018




Julie Issartel (étudiante en musicologie) et Manuel Bleton (compositeur) ont livré leur avis sur la partition de Alexandre Desplat pour le western de Jacques Audiard LES FRÈRES SISTERS dans l'émission mensuelle BO Hebdo du 1er octobre 2018. En voici le compte rendu.

Julie : C'est un vrai cas de conscience. Je suis très partagée. C'est une partition très subtile, très intelligente, mais frustrante aussi. Elle est pensée, construite au regard de l'histoire et des personnages. Elle nous aide à comprendre le récit, mais même temps j'ai trouvé qu'il n'y avait pas assez de thèmes. Le compositeur aurait pu aller beaucoup plus loin.

On a dès le début du film un son très grave, aux cordes, c'est une des premières notes qu'on entend. On sent qu'il y aura quelque chose de grave qui va se passer, on sait qu'on n'est pas dans un film pour rire. Selon les personnages, on a un peu de piano pour Eli (John C Reilly), qui est plus secret, contrairement à son frère qui est plus sanguin. La musique nous aide donc à comprendre les caractères. En même temps, ils auraient pu à la fin, quand la relation des frères devient plus solide, illustrer cela en musique, même si on sent la tentative de Desplat de mettre en musique l'évolution entre les deux frères. Charlie va admettre l'objet de leur mission, il y a une libération de la parole, et là on va entendre l'orchestre s'élargir, donc cela se traduit vraiment en musique. A la fin il y a quelque chose de grave qui se passe, qui permet aux frères de se rapprocher encore plus, j'étais à deux doigts de pleurer, mais il y a eu le choix de ne pas mettre de musique sur cette scène, j'aurais apprécié plus d'émotions.

Manuel : On est d'accord. Il y a en effet ces sons graves qui commencent le film et qui sont trompeurs. On est chez Marvel, c'est énorme, ça prend toute la place. On se dit alors que la musique sera dans ce registre, mais en fait pas du tout. La musique est déroutante, pas en elle-même, mais dans sa relation avec l'image. Il y a un décalage. On sent qu'ils ont quand même beaucoup réfléchi, leur collaboration est rodée, ils ont leurs systématismes, ils se connaissent bien. Ce sont des conceptuels. Audiard donne ses indications, il lui dit que c'est un film sur la répétition, et donc Desplat traduit ça avec de grandes boucles. Et à l'intérieur plein de petites boucles. Avec cette première idée de répétition et de boucles, toute la partition est construite. Le film se termine même d'ailleurs par un retour aux sources. Mais pour moi un concept ne suffit pas à faire une bonne BO.

Manuel : L'aspect jazz m'a aussi un peu dérouté. Surtout qu'il y a beaucoup de cymbales, ce qui est pour moi turc, donc on est complètement ailleurs, on ne comprend pas pourquoi. C'est vrai que les personnages tournent en rond, ils ne s'en sortent pas, et la musique accompagne bien cette idée. Ils sont embourbés, retournent sur leurs pas, ils tournent en rond comme la musique. Les ambiances sont très bonnes, Alexandre Desplat est quand même le champion de cela. Mais ça manque de mélodie et d'émotions.

Julie : Même le thème principal, on se le rappelle parce qu'il revient en générique, mais sinon on l'a très vite oublié pendant le film.

Manuel : il y a un côté "musique répétitive à la John Adams", c'est un américain d'accord, mais je ne suis pas convaincu. Peut-être que ce qui explique qu'il n'y ait pas beaucoup d'émotion, c'est qu'il y en a déjà beaucoup par la parole, c'est bavard, les cow-boys sont des sensibles humanistes, avec un discours assez actuel sur la mondialisation, l'avenir de la civilisation, donc on sent qu'ils ont évité d'ajouter de l'émotion par-dessus musicalement, pour éviter la sensiblerie. Il y a donc une retenue. À mon avis c'est l'aspect que je n'aime pas.

 

Julie Issartel et Manuel Bleton


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