Rencontre avec Steven Price : de monteur musique à son Oscar pour GRAVITY

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- Publié le 20-02-2015




Steven Price, compositeur anglais lauréat de l'Oscar en 2014 pour GRAVITY, retrace son parcours, commente sa collaboration avec Alfonso Cuaron, et évoque son métier. 

Interview de Steven Price

“Je me trouve dans une position où je dois constamment prouver que je mérite cela, et que je suis en capacité d’avoir une vraie carrière dans ce monde comme cela a toujours était mon ambition.”

 

Cinezik : Pour commencer pourriez-vous nous parler de votre parcours musical, de votre formation, de vos références ?

Steven Price : Je n'ai jamais rien fait d'autre que de la musique. Quand j'étais petit, il y avait plein de disques chez moi, il y avait toujours de la musique dans la maison et il y avait aussi cette petite guitare en plastique que j'essayais de gratter de temps en temps. Et puis ensuite j'ai pu prendre des cours de guitare et cela m'a mené petit à petit à ce que je fais aujourd'hui. Durant mes années à l'école, à l'université, je trouvais toujours un moyen de faire de la musique. J'ai fini par étudier la musique. J'étais véritablement obsédé par l'idée d'en faire professionnellement d'une manière ou d'une autre, sans vraiment savoir où cela pouvait me mener.  J'ai fait mes débuts à Londres en faisant les cafés dans les studios d'enregistrement. Ensuite, après en avoir appris un peu plus sur les aspects techniques et les nouvelles technologies que les studios d'enregistrements étaient en train d'acquérir avec les ordinateurs, j'ai décroché un job avec un compositeur de musique de films et ça a été le déclic. C'était tout ce que j'avais toujours voulu faire, toutes ces musiques que j'avais dans la tête depuis des années, elles s'appuyaient toujours sur la narration d'une histoire. D'un coup, tout cela avait finalement une raison d'être et j'ai adoré ! Donc en gros, j'ai fais cela depuis 1998 en occupant différents postes autour de la composition de musique de film, toujours en espérant pouvoir composer moi-même un jour. C'était vraiment la quête d'une vie.

Vous avez commencé dans le cinéma en tant que monteur musique ? 

S.P : Non, ça c'est venu plus tard. J'ai commencé en étant assistant de compositeurs. J'ai pas mal travaillé avec Trevor Jones au début. Il travaillait sur des projets comme LE DERNIER DES MOHICANS et  moi je faisais de la programmation, j'étais à l'origine de tous ces bruits bizarres qu'on entend. J'orchestrais, je faisais les arrangements et grâce à cela, j'ai rencontré les personnes d'Abbey Road et ils étaient en train de chercher des gens pour monter une équipe de monteurs musique pour les films du "Seigneur des Anneaux". C'est cela qui m'a entrainé dans ce monde étrange du montage musique. Le montage musique est un très bon moyen d'apprendre la composition car on est dans la salle de montage avec le monteur, tous les jours, toutes les semaines, dès le début du projet, on intervient très tôt dans le process, jusqu'au dernier jour avec le mix final. On travaille avec des compositeurs et on aide la communication entre les réalisateurs et les compositeurs, ce qui est vraiment quelque chose de particulier : parler de musique, de fiction, d'émotions. C'est vraiment un langage spécial et donc j'ai beaucoup appris sur le processus de réalisation d'un film. Donc voilà, c'est certain que le montage musique a été une très belle opportunité pour moi mais c'est le genre de métier où l'on se demande à un moment donné « ok, bon maintenant je fais comment pour réussir dans ce que je veux vraiment faire ? ».  Et cela m'a pris du temps. 

Sur BATMAN BEGINS, avez-vous travaillé directement avec l'équipe de Hans Zimmer et avec Christopher Nolan ?

S.P : Oui, un peu avec les deux. J'ai été embauché par Christopher Nolan et je travaillais sur le film depuis un moment avant que l'équipe de compositeurs ne vienne à Londres. Ils ont tout fait à Londres, et ensuite j'ai été impliqué dans la globalité du projet. J'étais assis derrière Hans alors qu'il écrivait ces morceaux qui sont devenus célèbres. Je l'observais pendant ce processus alors qu'il cherchait à poser les mélodies qu'il avait en tête. Cela a été une grande chance pour moi. C'est une expérience fantastique d'être dans la pièce quand certains de ces grands compositeurs écrivent les thèmes des films qui sont en train de devenir les plus grands films de la décennie, des bandes sons brillantes. 

En France, le métier de monteur musique n'existe pas. Le compositeur monte lui-même la musique. Pensez-vous qu'il est nécessaire d'avoir des monteurs musique ? 

S.P : Je pense que c'est un rôle très important. Dans les films où j'ai composé la musique, je l'ai également montée car mon rôle est d'apporter un produit fini et je ne me vois pas déléguer quoi que ce soit à quelqu'un qui ne va pas forcément le faire comme il faut pour correspondre au film. Mais je pense que ce métier a clairement son importance dans des films où le compositeur a besoin d'aide au niveau de la communication avec le réalisateur et inversement. Tout dépend du film en fait. 

Et pensez-vous que ce travail de monteur musique vous aide dans votre métier de compositeur ? 

S.P : Oui pour moi ça a été la meilleure formation possible. J'utilise tous les jours des choses que j'ai apprises durant ce travail. Je me suis retrouvé dans beaucoup de situations vous savez et j'ai vu des films qui se sont bien déroulés et d'autres qui se sont mal passés. Cette expérience m'a permit de m'adapter à toute sorte de situation. Chaque film a ses propres problèmes, ses moments tendus et ses moments où, au contraire, tout va bien. Cela m'a beaucoup aidé d'avoir cette expérience sur laquelle je pouvais toujours me reposer. Aujourd'hui dans le cinéma, tout change constamment donc c'est important d'avoir ce type de base. Je ne me vexe pas si par exemple je finis une musique dont je suis très content et qu'au final les images changent. Je sais qu'il y a des moyens de sauver la musique malgré tout et cela, ce sont des choses que j'ai apprises durant mon temps en tant que monteur musique. 

Sur GRAVITY, au niveau du choix du compositeur, il y a eu un casting pour choisir le meilleur ou est-ce qu'Alfonso Cuaron vous a directement choisi vous personnellement ? 

S.P : Je pense qu'il avait fait ses recherches et je pense que la musique dans GRAVITY était un gros point d'interrogation. Vous savez, il n'y a pas de sons dans l'espace donc avoir de la musique soulevait des questions intéressantes.  Il y a eu un moment je crois où ils parlaient de ne pas avoir de musique du tout mais cela aurait été pénible pour les spectateurs donc ils ont commencé à faire des recherches et il y a eu un moment où ils ont tenté de mettre de la musique de film mais cela n'a pas fonctionné, donc ils ne savaient pas trop quoi faire. Je pense qu'Alfonso Cuaron cherchait quelqu'un avec qui collaborer et il avait vu le film ATTACK THE BLOCK. Ce film est assez spécial, il n'a pas la musique typique des films hollywoodiens et il a une approche vraiment différente. Cela l'a intéressé et il s'est dit que ce serait bien que l'on puisse en discuter et essayer quelques petites choses. On a donc parlé de quelle sorte de musique pourrait fonctionner avec un film comme GRAVITY où il n'y avait aucune raison d'être conventionnel car rien d'autre dans le film en terme de son n'était conventionnel.  On a donc commencé à lancer quelques idées. 

Pensez-vous que votre musique dans GRAVITY correspond plus à de la création sonore qu'à de la composition musicale ?

S.P : Je ne pense pas du tout que ce soit cela. Je pense que la musique a la lourde tâche d'être particulièrement immersive et même si l'on n'avait pas de sons conventionnels, la musique devait refléter parfaitement l'action qui se déroulait. Et au final, dans ce cadre-là bien spécifique, on faisait finalement les choses de manière traditionnelle. On a commencé de manière assez abstraite et puis on a avancé comme dans n'importe quel film de n'importe quelle époque. La musique est juste construite de manière différente et cette construction était prévue pour créer cette expérience particulière. On voulait que vous vous sentiez vous-même dans l'espace. Il y a des parties qui sonnent particulièrement anciennes et d'autres qui sont moins traditionnelles.

Vous êtes arrivé sur ce film après le montage ou avant ?

S.P : Ils avaient déjà travaillé quatre ans et demi sur ce film avant que j'arrive, dans la dernière année. Il y avait déjà un bon bout du film à voir mais l'infographie n'était absolument pas terminée. Je pouvais avoir des scènes presque terminées et d'autres avec des formes graphiques qui flottaient dans tous les sens mais on comprenait toujours le sens voulu et la performance était là. En fait, à plusieurs niveaux c'était comme travailler sur un film d'animation. Il y avait tellement d'infographie que les images ne changeaient elles-mêmes pas tellement en fait donc je pouvais vraiment travailler en finesse sur ce film car je ne me préoccupais pas tellement des coupures entre les plans. Je pouvais travailler la musique de manière continue, ce qui était très intéressant.

Est-ce que le réalisateur Alfonso Cuaron vous indiquait où il fallait mettre la musique ?  

S.P : Oui, nous travaillions ensemble à tous les niveaux. Je lui envoie tout au fur et à mesure et on discute en permanence d'où la musique devrait être ou pas, d'où elle devrait suivre les personnages et d'où elle devrait être dans leur tête, de manière plus subjective. La caméra fait tout cela dans le film. Parfois on a des plans subjectifs où l'on peut se retrouver dans le casque des personnages et ensuite on a des plans larges. La musique fait pareil. Elle change de perspective. Parfois, on se retrouve pile au milieu de leur panique mais ensuite on veut montrer plutôt la beauté, le chaos à l'intérieur même de cette beauté. On expérimentait en permanence. 

Comment la musique joue t'elle avec les silences dans le film ? Est-ce que les silences font partie de votre composition ?

S.P : Tout est prévu pour accentuer la solitude, donc lorsqu'on utilisait des silences, c'était généralement des moments dans l'histoire où l'on voulait rappeler cette solitude. Malgré tout le fracas autour d'elle, l'héroïne se retrouve toute seule et on a donc utilisé les silences dans les moments les plus extrêmes pour vraiment faire ressentir ce vide et amener le spectateur à vivre la réalité du personnage, à se plonger complètement dans l'histoire. 

Pour ce film,  Alfonso Cuaron vous a t-il donné des références sur lesquels vous appuyer ou non ? 

S.P : C'était vraiment de l'expérimentation. On a essayé des choses.  Certaines étaient instinctives comme avec ces sons particuliers qui nous font sentir l'espace et qui accentuent le suspens comme au début du film. On a vraiment essayé beaucoup de choses. Je lui ai envoyé des tonnes de maquettes et j'ai fait environ 250 versions de ces 3 minutes de musique que l'on a derrière les crédits. Elles sont toutes très différentes. Même si parfois la version entière ne survivait pas, on gardait quand même un bout à partir duquel on retravaillait. On a donc avancé chaque jour comme cela et ça a pris beaucoup de temps. 

Dans la scène avec les battements de cœur, avez-vous intégré ces battements dans votre composition ? 

S.P : Oui, les battements correspondent à un certain rythme. Le film impose un rythme vraiment intéressant avec des moments de pause et des accélérations. Les battements accélèrent le tempo. Parfois la musique suit cela et parfois c'est la musique qui dirige le rythme. En général, même au delà des battements, il y a beaucoup de pulsations dans la musique qui dépendent de ce qui se passe. Tout part des visuels en fait. 

Et avec le réalisateur, préférez-vous qu'il vous dise ce qu'il veut ou qu'il vous laisse faire ce que vous voulez ? 

S.P : Peu m'importe en fait. C'est fascinant dans les deux cas pour moi. Avec GRAVITY, Alfonso a voulu me laisser expérimenter et entendre le résultat de ces expérimentations avant d'en discuter. Tandis que dans FURY (de David Ayer, 2014), on parlait beaucoup de la psychologie des personnages, de ce qu'ils étaient, et ensuite je proposais mon interprétation de cela en musique pour qu'il puisse me faire des retours. Mais au niveau musical, nous n'avons pas vraiment parlé d'orchestration ou d'instrumentalisation, c'était plus une réponse émotionnelle qui reflétait ce que les personnages vivaient. 

Edgar Wright (THE WORLD'S END, 2013) avec qui j'ai également travaillé était, lui, parfois très spécifique, me disant par exemple « tiens ce serait bien d'avoir quelque chose comme ça là » et il avait souvent complètement raison car il a une bonne oreille pour ce genre de choses. Donc tout le monde est différent. 

Et dans FURY,  quel genre de réalisateur est David Ayer ?

S.P : Il est génial ! La première fois que je l'ai rencontré, ils étaient sur les champs de bataille en train de tourner. De mon côté, GRAVITY était en train de sortir et je me demandais ce que j'allais faire ensuite. J'espérais trouver quelqu'un avec qui travailler qui serait ouvert quant à tout ce que la musique peut offrir. Parfois, il y a des gens qui ne sont intéressés que par l'aspect sonore de la musique et qui ne prennent pas en compte ce qu'elle évoque émotionnellement. Les premiers  mots que David m'a dit concernant la musique étaient « je veux qu'il ait peur ». Là directement j'ai compris qu'il tenait véritablement à ce que la musique ait un rôle dans ce film. Donc j'ai accepté !

Entre la comédie comme THE WORLDS' END ou un drame, quel est le plus difficile ?

S.P : Ce sont deux genres difficiles mais j'aime les deux. J'adore faire des comédies et ça me démange d'en refaire une d'ailleurs ! Mes deux derniers projets étaient assez lourds dramatiquement avec beaucoup de moments de tension et j'aime vraiment la musique de comédie. J'apprécie les aspects techniques de celle-ci, la recherche du bon rythme car la comédie est particulièrement rythmique. Je trouve cela fascinant à quel point la musique peut appuyer le comique sans le casser. Donc oui j'adore faire les deux genres. Je pense qu'il me faut de la variété. J'aime pouvoir faire un peu des deux. Et travailler sur THE WORLDS'END, c'était comme faire une comédie romantique, un film d'action ou de science-fiction. C'était tout cela en même temps. Chaque jour était vraiment différent, c'était super. 

Faites-vous l'orchestration vous-même ? 

S.P : Je m'en suis pas mal occupé, et puis un ami, David Butterworth, s'est joint au projet. On travaille de manière très similaire, il comprend vraiment ce que je souhaite obtenir. On travaille très vite pendant nos sessions et de manière ordonnée. On fait tout nous même. Il y a lui, moi et un ingénieur mix Gareth Cousins qui est lui aussi très talentueux. Je le connais depuis toujours et on fait tout nous même. Cela signifie qu'on est une toute petite équipe, pas l'habituelle foule qu'on a normalement au cinéma, mais cela permet que j'entende chaque petite note et ça, c'est une grande satisfaction pour moi.

Il y a une tendance ces jours-ci à Hollywood qui veut que la composition de bandes originales se transforme peu à peu en création d'atmosphère sonore. Il y a moins de thèmes aujourd'hui. Que pensez-vous de cela ?

S.P : Je ne suis pas sûr que cela soit vrai en fait. En tous cas, dans ce que je fais moi, je suis particulièrement attaché à la mélodie mais celle-ci s'exprime peut-être de manière différente, pas de manière traditionnelle. Elle trouve toujours à s'exprimer quand même et les gens l'attendent. Il m'est arrivé de me retrouver sur des films où on avait un peu peur que la musique prenne trop de place au niveau émotionnel mais il y a quand même beaucoup de films cette année avec des bandes son très mélodiques, certaines assez traditionnelles, d'autres moins traditionnelles, mais la mélodie s'exprime juste de manière différente. Ce qui est super dans le cinéma, c'est que tout peut fonctionner à partir du moment où c'est approprié à tel ou tel film en particulier. Donc je préfère éviter d'être trop catégorique sur la direction que prend la composition de musique de film en général car cela dépend vraiment du film au final et si demain un film sort et a beaucoup de succès avec une bande son mélodique alors tout change à nouveau, vous voyez.

A propos de votre Oscar pour GRAVITY, deux compositeurs qui l'ont reçu, Maurice Jarre et Ludovic Bource, nous ont dit qu'après, il était plus difficile d'obtenir des projets car les réalisateurs les pensaient trop inaccessibles. Qu'en pensez-vous ?

S.P : Oui peut-être en effet. Je ne me suis pas encore bien rendu compte de l'impact des Awards pour le moment. Je ne sais pas si cela nous rend plus ou moins populaire. Je pense que pour quelqu'un comme moi, qui est parti de rien aux yeux des studios, il y a toujours cette suspicion de comment j'en suis arrivé là. Aujourd'hui, dans ma vie et dans mon travail, je me trouve dans une position où je dois constamment prouver que je mérite cela, et que je suis en capacité d'avoir une vraie carrière dans ce monde comme cela a toujours était mon ambition. Alors recevoir un prix c'est super, mais j'espère vraiment pouvoir travailler sur plus de films et continuer à explorer cet univers en profondeur. 

Pour quel types de films que vous n'avez pas encore explorés aimeriez travailler demain ?

S.P : J'adore les films d'animation et pour moi c'est un rêve de pouvoir composer pour ce type de films. En terme de réalisateurs, cela dépend vraiment de la relation que j'ai avec eux. J'ai tellement de respect pour Christopher Nolan par exemple mais je suis heureux qu'il travaille avec Hans Zimmer car ils ont tellement une belle relation que le travail qui en ressort s'en ressent. Il faut que je trouve aussi des gens comme ça, des réalisateurs avec qui on peut, en binôme créatif, nous permettre d'exprimer le meilleur de nous-même.

Interview réalisée à Gand le 24 octobre 2014 par Benoit Basirico
Dans le cadre du Festival de Gand 2014
Traduction de Lorraine Reinsberger

 

 


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