Nicolas Engel et Alexandre Chatelard en résidence au Moulin d’Andé pour un premier long-métrage musical

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- Publié le 03-04-2015




Le Moulin d’Andé est une association qui accueille depuis plus de 50 ans des artistes en résidence. Pami eux cette année, le réalisateur Nicolas Engel et le compositeur Alexandre Chatelard, lauréats d’une “Aide à la création musicale pour le cinéma” avec le projet de long-métrage LE GEANT D’ODESSA. A ce titre, ils étaient présents au Moulin pour une session de travail en résidence du 23 janvier au 1er mars 2015, en compagnie des lauréats de “l’aide à l’écriture”.  Ainsi, ils ont pu réfléchir et mettre en oeuvre les premières pistes musicales de ce premier film en commun. Rencontre.

 


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Nicolas Engel a derrière lui plusieurs court-métrages musicaux (voir notre article sur le DVD les réunissant), tournés dans une imprimerie, au jardin du luxembourg, ou dans une bibliothèque. Il signe avec son premier long un nouveau film chanté, cette fois-ci à Kiev en Ukraine. Alexandre Chatelard est un artiste de musique électronique. Il signe sa première BO.

Interview

Cinezik : Alexandre Chatelard (à gauche sur la photo), avant d'intervenir sur ce projet, quels étaient vos goûts en matière de musique de film ?

Alexandre Chatelard : Etant jeune, je n'ai pas trop regardé de cinéma, j'ai d'abord eu un lien avec la télévision. Mes premières sensations musicales étaient ainsi les musiques de séries télé. Il y avait une certaine qualité dans l'écriture de ces musiques. Il y avait des thèmes fantastiques, bien arrangés, bien enregistrés. Sinon dans le cinéma, j'aime bien Georges Delerue ou Giorgio Moroder.

D'ailleurs, parmi vos compositions electro, certaines me font penser à du Moroder...

A.C : C'est un peu la couleur qu'on va essayer d'amener pour le film de Nicolas, une musique analogique et synthétique, avec des synthés, des séquenceurs, des arpégiateurs. Quand on laisse un peu travailler la machine, il se passe toujours des choses très vivantes. On pense que les synthés sont des choses froides et inertes, mais il y a plein d'art & fact qui produisent une matière parfois plus vivante que des vrais instruments. Je pense par exemple à la musique de "Scarface" (par Moroder) et aux BO de Carpenter... Ces musiques sont faites avec peu de choses, 2-3 synthés. La BO de Vangelis pour "Blade Runner" a été entièrement conçue avec un seul synthé. Tout sort d'une machine, et pourtant il y a plein de couleurs différentes, une vraie texture, des choses très organiques.

Les musiques vous ont davantage marqué que les films eux-même ?

A.C : Oui. Quand la musique est bonne, elle peut complètement sauver une scène, sauver un film. Par exemple, sur un film que je ne trouve pas très intéressant, "Virgin Suicide", la musique provoque une emphase, quelque chose de très poignant se dégage des images. Quand ça "matche" bien, c'est formidable !

Pour le film de Nicolas, sur lequel vous réfléchissez ici au Moulin d'Andé, et qui est votre premier travail pour le cinéma, quel est votre échange sur la musique ?

A.C : Nicolas me parle beaucoup de son film, je commence à me faire une idée un peu plus précise, petit à petit. Au début c'était flou, et plus on discute, plus je commence à comprendre où on va. Ce qui va être intéressant avec Nicolas, c'est qu'on va construire la musique ensemble. On est dans un échange perpétuel. C'est ma première BO, donc je n'ai pas la prétention d'avoir une vision globale, de tout maîtriser. On travaille en synergie. On affine au fur et à mesure. On se laisse guider par notre instinct. La musique est une matière vivante. Il est rare de retrouver dans le cinéma français cette matière vivante. Il y a en général beaucoup trop de maîtrise, avec un classicisme dans les compositions qui fait qu'il n'y a rien qui dépasse. Il n' y a pas le petit accident qu'il y aurait dans un film de Carpenter par exemple. On conçoit ce processus comme un jeu, une aventure. C'est formidable si on arrive à aller jusqu'au bout de cette idée, franchir tous les barrages qu'il y a dans le cinéma, toutes les étapes, et garder intacte cette vibration.

Nicolas Engel, le film n'est qu'au stade de l'écriture, quelles idées avez-vous concernant la musique, sachant qu'il s'agit d'un film très musical, comme vous en avez l'habitude ?

Nicolas Engel : J'ai commencé à penser au film en 2010, autour de l'histoire d'un français qui vit en Ukraine. Puis il s'est précisé au fur et à mesure. Musicalement, j'ai eu d'abord envie d'une bande originale avec un son électronique, même si elle ne sera sûrement pas au final uniquement électronique. J'ai découvert le travail d'Alexandre au moment d'écrire mon scénario. J'écrivais en écoutant sa musique. Il est ensuite devenu une évidence pour moi que sa musique fasse partie du projet. La musique d'Alexandre était ma bande originale pendant que j'écrivais. Quand je décrivais une scène, j'avais sa musique qui l'accompagnait. Ainsi, j'imagine cette musique quand je tournerai cette scène. Dès l'écriture, la musique et les mots sont liés.

Vos films sont chantés, c'est encore le cas avec celui-ci. Dans la musique, il y aura donc une part de musique dramatique, et une part de musique chantée ?

N.E : Tout à fait, même si finalement, c'est un même travail. Ce sera une bande originale avec un désir d'unité, avec quelques thèmes qui portent tout le film, et sur laquelle par moment les comédiens vont chanter. Certains dialogues deviendront des chansons, de manière fluide, sans rupture.

Savez-vous dès maintenant quel dialogue sera chanté et lequel ne le sera pas ?

N.E : Oui, ce découpage a lieu assez tôt dans l'écriture. Je sais quels moments clefs doivent être chantés, voire dansés, en tout cas mis en musique. J'aime jouer avec le genre de la comédie musicale, ce qui me permet une emphase par rapport aux sentiments, d'avoir accès aux émotions du spectateur sans passer par l'intellect. Il y a donc quelques moments bien définis dans le film qui sont des moments chantés pour marquer une sorte d'empathie avec les personnages.

Ecoutant la musique d'Alexandre pendant votre écriture, aviez-vous déjà la sensation d'écrire des paroles sur la musique que vous entendiez ?

N.E : Non, je n'ai pas du tout cherché à écrire les textes sur les musiques d'Alexandre, car la musique va changer, Alexandre va composer des musiques spécialement pour le film. Et il est risqué de s'attacher à une musique existante sur laquelle des paroles seraient déjà écrites. J'ai le désir de réécrire les dialogues sur les musiques qu'Alexandre va me proposer. Le texte et la musique font corps.

Faisant intervenir Alexandre en aimant sa musique antérieure, vous avez envie que la BO aille dans son style ou alors vous avez envie de l'amener hors de son propre univers ?

N.E : Si je suis allé vers lui, c'est parce que j'ai envie que ce soit son propre univers. Mais en même temps, évidemment, j'ai envie qu'il aille vers le film, qu'il se surprenne à aller dans une direction vers laquelle il ne serait pas allé pour sa propre musique.

Alexandre, vers quel type de musique vous vous orientez ? 

A.C : On commence très tôt le travail sur la musique, du coup on a de la marge pour faire évoluer les choses dans un sens ou dans un autre, aller dans une direction, reculer un petit peu. Je ne me mets aucune limite, je n'ai aucun problème à faire écouter les choses non finalisées. J'ai pour l'instant l'idée d'une musique massive, qui exploite tout le spectre dynamique. On trouve cela dans le cinéma américain où les orchestrations sont très lourdes. L'idée n'est pas de jouer sur la cavalerie, mais d'essayer d'avoir quelque chose de très frontal, ne pas cantonner la musique de film à la petite musique en arrière-plan. A un des pivots du film, il y a un morceau de dance ukrainien, et par essence, la dance c'est massif, c'est très compressé. On ne se donne pas de limite pour explorer des sonorités.

Vous êtes venu au Moulin d'Andé par un désir de travailler sur la musique dés maintenant, au stade du scénario... avoir une semaine avec le musicien dans ce cadre apaisant était important ?

N.E : Oui, j'avais présenté mon scénario au Moulin d'Andé en disant que je voulais venir pour travailler la musique et réécrire les dialogues. On a donc obtenu cette aide à l'écriture musicale. On va être ici pendant un mois en tout. Nous sommes dans des conditions vraiment idéales pour être au calme et pouvoir se consacrer à ce travail. Avant de venir, je n'avais pas mesuré la qualité du cadre de vie.

L'idée est-elle d'avoir à la fin une partition écrite ?

A.C : Pas forcément. On va continuer d'écrire à Paris. Tout ne doit pas se faire ici absolument. Je suis juste venu avec mon ordinateur et un petit micro pour noter des idées. On a évoqué l'idée de tourner quelques maquettes en faisant venir deux comédiens pour les enregistrer et ainsi avoir une vraie démo pour démarcher dans la recherche de financements. Les gens sont toujours craintifs à l'idée d'avoir un film aux dialogues chantés. Avoir une vraie maquette de qualité nous permettra de montrer aux gens à quoi ça pourrait ressembler.

D'ailleurs, quelle connaissance et formation liées à la composition musicale avez-vous ?

A.C : J'ai un peu appris le solfège, j'ai joué du violoncelle, mais ce n'était jamais poussé. Je pense qu'avec la musique électronique, on peut obtenir des textures qu'on oserait jamais écrire autrement. Cela permet à moindre coût d'expérimenter plein de choses. Cela ne coûte rien de brancher un synthé, alors que faire une partition, avec un cor, avec des flûtes ou des violons, c'est tout un processus plus lourd. Après, pour l'écriture plus sophistiquée, je travaille avec Fred Palem (Ndlr : créateur et la directeur du big band "Le Sacre du Tympan") qui sait écrire les partitions d'orchestre, ce que je ne sais pas faire. Il sait diriger aussi. Il peut apporter une couleur instrumentale là où je suis plutôt mélodiste et producteur. On se complète, on a établi un rapport de confiance. Il intervient sur mon album en cours de finition, alors pour ce film, on s'était dit pourquoi pas s'allouer un orchestre. Et avant cela, pourquoi pas prendre un peu de temps pour faire une vraie maquette avec un orchestre, en plus de la voix des comédiens. Cela aidera Nicolas dans ses démarches.

Votre projet personnel est donc mis à contribution du film ?

A.C : Oui, j'aime bien quand tout se mélange, quand il y a une dynamique global, que tout se fasse en saisissant les opportunités. Par exemple, Nicolas a réalisé un de mes clips (Ndlr : pour "Cocorico", extrait du premier album d'Alexandre Chatelard à paraître en 2015. (Vidéo ici).

Pour revenir au film, l'action se déroulant en Ukraine, est-il question d'avoir une part de musique traditionnelle locale dans la BO ?

N.E : La musique du film ne va pas chercher à être typée ukrainienne. En revanche, le personnage entend à un moment un morceau de "dance", qui sera une composition originale d'Alexandre, à la façon des morceaux dance qu'on entend là-bas. Au fur et à mesure de son périple, le personnage va rencontrer des gens et dans une scène il rencontre des musiciens ukrainiens qui vont reprendre un des thèmes du film, qui sera interprété par des orchestres traditionnels du pays. Il y a le désir de travailler avec des sonorités locales. Maintenant, ça restera dans le style de la musique électronique.

Quel sera le travail avec les comédiens qui seront amenés à chanter ?

N.E : Cela va dépendre des décors et des possibilités sur le plateau, mais l'idée est que les chansons soient enregistrées en prise directe. Il y aura un premier travail de maquette en amont au fil duquel les comédiens découvriront les musiques, puis ensuite Alexandre sera présent sur le tournage pour les coacher. S'ils sont déstabilisés, c'est bien qu'il y ait quelqu'un pour les guider sur le chant.

Une fois le film terminé, est-il envisageable de considérer la musique comme une oeuvre en soi et la rendre disponible sur disque ?

A.C : J'adorerais ! Les conditions sont réunies puisque le directeur de mon label est très intéressé. On peut considérer une BO comme une musique à part entière, une bonne BO peut s'écouter sans le film, on va essayer de faire en sorte que ce soit possible en tout cas.

Interview réalisée au Moulin d'Andé le 27 février 2015 par Benoit Basirico
Merci à Fabienne Aguado pour son accueil sur les lieux.
Merci à Caroline Pinaut pour la retranscription 

 


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