Danny Elfman en concert à Paris : Compte Rendu

elfman, - Danny Elfman en concert à Paris : Compte Rendu

François Faucon - Publié le 12-10-2015




A l'occasion des 30 années consacrées au cinéma de Tim Burton, un concert exceptionnel était donné le 10 octobre 2015 au Grand Rex de Paris avec les musiques de Danny Elfman.

 

Autant le dire tout de suite, Danny Elfman fut d'un professionnalisme exemplaire. La voix est d'or : justesse, placement, intonations, précision des attaques, etc. Un professionnel qui depuis l'époque rock de Oingo Boingo, n'a rien oublié des règles du chant et de ses difficultés. La voix a gagné en maturité et reste celle d'un véritable artiste. Qui le voit et l'entend aujourd'hui aura certainement du mal à le reconnaître dans « Little Girls » en 1981. Pourtant, c'est lui. C'est le même faciès hyper-expressif, la même large bouche à l'élocution exemplaire, le même jeu d'acteur qui prennent possession de la salle sur l'instant. Danny Elfman rentre sous les ovations du public, prend son micro et sourit bouche grande ouverte pour faire comprendre qu'il est prêt. Immédiatement, Jack Skellington apparaît devant les spectateurs. Non pas grâce aux images passées sur grand écran mais parce que la voix d'origine dans Nightmare Before Christmas (1993) est la sienne. Et la salle explose en une standing ovation compréhensible lorsque le morceau s'achève. Quoi de mieux pour un public qui a fait la queue durant des heures ? Il en est même un, un homme sandwich posté à l'entrée, qui affichait un message de désespoir : « Voulez-vous m'offrir un ticket ? »...  

Le tout se déroule dans le cadre d'une programmation, elle aussi, exemplaire.

Charlie and the Chocolaterie
Pee-Wee's Big Adventure
Bettlejuice
Sleepy Hollow
Mars Attacks !
Big Fish
Batman/Batman Returns
Entracte (durant lequel on peut se faire prendre en photo aux côtés de la pulpeuse martienne blonde rehaussée de son inimitable mise en pli...)
Planet of the Apes
Corpse Bride
Dark Shadows
Frankenweenie
Edward Scissorhands
The Nightmare Before Christmas
Alice in Wonderland

Toute l'œuvre de Danny Elfman ne pouvant être jouée, on se réjouit d'un choix aussi judicieux. Les grands thèmes sont interprétés sous la baguette de John Mauceri qui, du haut de ses 70 ans et d'une carrière prolixe (quoique peu connue en France), dirige l'Orchestre des Concerts Lamoureux. 90 musiciens, 45 choristes, rien de moins !

Et pour finir de nous replonger dans l'ambiance, extraits de films et croquis divers se succèdent sur l'écran de la salle. Et quelle salle ! Le mythique Grand Rex de Paris qui fête ses 83 ans. Tous les ingrédients sont réunis pour un événement exceptionnel. Il faut dire que ce concert est un succès mondial, très bien réglé, et que Danny Elfman enchaîne les prestations pour le grand bonheur des béophiles.

Un concert exceptionnel ! Quoique...

Une oreille aiguisée peut-elle se satisfaire de ce qui s'est passé ce 10 octobre ? Assurément non. De deux choses l'une. Soit la France est (sur certains aspects) un pays qui ne se donne pas les moyens d'accomplir avec scrupules les événements culturels au niveau de ce qu'ils requièrent, stagnant dans une volonté plus ou moins inconsciente de se satisfaire d'un éternel « à peu près ». Soit les pays étrangers nous prennent pour des Frenchies, des Frogs pour qui, Ceci, est bien suffisant. Dans la mesure où la France n'a pas besoin de nos voisins outre-manche pour pratiquer le french bashing, laissons de côté la seconde option. Analysons avec plus de précision les éléments qui constituent ce concert exceptionnel.

Overlook Events : sur scène, dès 17h15 (après le quart d'heure de retard provençal valable même en région parisienne) : Damien Maric ! Dans la mesure où il oublie de se présenter, on peut supposer qu'il fait partie de la production... Charmeur, il avoue réaliser ce soir, un rêve d'enfance. Il désigne l'étage du doigt et explique qu'il y a 25 ans, il était là, assis pour regarder le premier Batman de Tim Burton (1989). Epoustouflé par la musique, il raconte comment il revient avec un magnétophone à cassettes pour enregistrer l'ouverture et la faire écouter à tout le monde pendant des semaines entières. Puis, dans un élan d'altruisme, il remercie le public qui lui permet de réaliser son grand rêve de faire venir Danny Elfman « en personne, ici, au Grand Rex ». Car oui, « il est bien là, dans sa loge et il voit tout ! ». Acclamations ! Le tout agrémenté d'une petite larme au coin de l'œil dont les techniques qui permettent de la générer sont à la portée du premier venu... La foule est en délire et le Grand Rex devient une succursale des grandes messes américaines. Les autres grands projets d'Overlook Events ? S'il faut en croire le film publicitaire passé durant le quart d'heure provençalo-parisien : « La Veillée ». Un spectacle où des individus lambda aux vécus évidemment palpitants ont la chance de venir les raconter en public. Le ton de la soirée est donné : il s'agira plus de spectacles que de musique ; de faire du volume plus que de ciseler une interprétation.

John Mauceri : où est la battue précise et l'interprétation ciselée qui, en 1994, fit trembler les planches de l'opéra de Nice dans I Due Foscari de Verdi ? Peut-on, sous prétexte qu'on est un nom et qu'il s'agit de musiques de films, s'autoriser les battues les plus inexactes ; les mêmes battues qui sont reprochées en Master Class aux chefs débutants ? A-t-il si peu l'expérience de ce type de prestations qui lui faille taper régulièrement et par inadvertance le micro avec le bout de sa baguette ? Un chef a-t-il pour simple fonction de donner le départ ? de saluer le public avec un sourire respirant le contentement voire l'auto-satisfaction vieillissante. Personne n'arrivera à me convaincre que, avec l'expérience qui est la sienne, il n'a rien entendu de ce qui se passait devant lui. Où était la tension dramatique générée par le chromatisme et le motif incisif aux violons dans Frankenweenie/Re-Animation (à partir de 2'50) ?

L'orchestre des Concerts Lamoureux : un nom parisien, un orchestre avec une histoire et qui, comme toutes les phalanges mondiales, souffrent de la crise et des restrictions budgétaires. Il n'empêche : les chœurs chantent faux à de nombreuses reprises. Pas sur les attaques ou sur l'interprétation des mélodies. Mais la musique d'Elfman est aussi composée de glissando qui, chantés, posent ici problèmes lorsqu'il faut aborder la note d'arrivée avec justesse et précision... Et que dire de ce départ mièvre et approximatif sur Alice in Wonderland ? de cette bouillie lors d'un Batman inintelligible ? de cette clarinette qui devrait retravailler son ouverture de gorge pour éviter qu'on entende, dans un couinement, le passage de l'aiguë au grave ? Des petits riens inaudibles pour tout un chacun. Des petits riens qui, cumulés les uns aux autres, établissent des différences de niveau considérable.

La violoniste : drapée dans un costume d'Edward Scissorhands moulant à souhait, Sandy Cameron se tortille dans tous les sens sans que l'on comprenne en quoi ce tic, naturel ou volontairement entretenu, ajoute quoique ce soit à l'interprétation. Le premier violon de Londres accomplit la même prestation sans costume et sans bouger pour un résultat au moins aussi bon. La performance technique ? La belle Sandy en possède incontestablement pour interpréter le solo d'Edward Scissorhands. A peu près autant que n'importe quel élève sorti fraîchement diplômé d'un conservatoire national après avoir corné ses doigts sur les œuvres de Paganini. Une interprétation sans âme où se confondent énergie musicale et énergie corporelle pour donner vie au spectacle. A ce jeu, autant convoquer Nigel Kennedy. Chez lui, tout ceci est naturel. Mais il est vrai qu'il a pour lui de posséder une plastique nettement moins avantageuse...

Le jeune chanteur : pour les voix d'anges que l'on peut entendre, notamment, dans Alice In Wonderland, il faut applaudir un jeune garçon. Lui, n'est pas crédité à l'affiche et son nom n'est pas même donné au public ! Visiblement intimidé (le chef lui fera remarquer qu'avant de quitter la scène, on salue le public), il semble tout droit sorti des petits chanteurs à la Croix de Bois. Prestigieuse phalange, dira-t-on ! Et c'est vrai. Mais là, c'est la Croix de Bois version Low Cost. Le jeune homme malgré sa voix fluette des plus élégantes est tout droit sorti d'une classe de conservatoire avec sa mèche de cheveux au vent et son costume qui n'en est pas un. On lui installe son pupitre comme s'il s'agissait d'une audition de fin d'année. La voix n'est pas assurée et il chante parfois faux. L'on me dira qu'il faut être bienveillant (rengaine de l'Education nationale qui gangrène de plus en plus les conservatoires) surtout avec les plus jeunes. Oui ; mais il faut aussi savoir ce que l'on veut : un Concert de qualité, fin et ciselé dans sa dimension artistique et musicale ou une audition de fin d'année où les jeunes apprennent le métier ? Ce n'est pas la même cours. On souhaite à ce jeune chanteur une longueur carrière après ce beau souvenir mais ce n'est pas l'essentiel.

La sono : avec 90 musiciens et 45 choristes, on comprend mal le recours à la sono. Demande de la production ? du chef ? du compositeur ? Nécessité liée à l'acoustique de la salle ? On se perd en conjectures. Dans tous les cas, les amplis déchirent les tympans (les miens sont encore douloureux...). Les aigües sont perçants et font siffler les oreilles. Dès la première note, la sonorité de l'orchestre en est forcément altérée et la sono offre quelque chose d'aigre qui agresse sans raison pertinente.

L'équipe technique : les pieds nickelés au grand complet ! Ils avaient peut-être à gérer un matériel d'occasion... On ne sait par quel miracle, mais la sono finit subitement par rendre l'âme en deuxième partie, laissant enfin l'orchestre jouer « naturellement ». Sauf le musicien qui joue du synthé. Alarmé, il regarde son voisin pianiste avant de tourner la tête vers les techniciens en coulisse qui font leurs affaires au vu et au su de tout le monde. Du coup, il ne joue plus... Les lumières disjonctent sur scène, se rallument dans la salle au début d'un morceau ou tardent à s'éteindre. Orchestre et chef baignent alors dans une alternance de lumières multicolores d'un effet comique incontestable. Sur l'écran, les images des films disparaissent. A leur place, un fond noir sur lequel le spectateur peut lire un inadmissible «InPut». L'ordinateur peine à suivre, semble-t-il. La salle sourit. Ailleurs, elle aurait sifflé. A la Scala de Milan, elle aurait explosé et lynché les responsables...

La salle mythique : visiblement trop petite pour contenir un véritable orgue (il faudra se contenter d'un synthé...), elle a le mérite d'exister. Une salle de cinéma pour un concert de musiques de films, le lien paraît évident. On aurait souhaité néanmoins une salle un cran au-dessus. Mais, existe-t-il une autre salle parisienne pour accueillir ce type de prestations ? Ça reste à vérifier.

Le même concert organisé au Royal Albert Hall offre un niveau musical et artistique bien supérieur. Et c'est bien ça le fond du problème. Le sentiment que l'on mégote. Ce n'est pas ceci ou cela qui pêche ; il ne s'agit là que des inconvénients du direct. C'est le cumul ; l'ensemble des bévues qui donne une impression de quelque chose d'accompli à la va-vite ! Autrement dit, si le programme est le même à chaque concert, dans tous les lieux du monde, la façon dont la France s'est emparée de la réalisation de ce concert, laisse à désirer.

Il est vrai que la culture se porte mal (même s'il s'agit plus ici de grand spectacle qu'autre chose...) et les organisateurs ne veulent prendre aucun risque. Surtout pour de l'orchestral. Surtout sur un genre qui, malgré l'incontestable engouement actuel, reste un genre mineur. Si la France a proposé le même niveau de prestations mégoteuses pour obtenir que Paris devienne ville olympique en 2012, on comprend pourquoi Londres a remporté la partie. De peu, certes mais c'est toute la différence entre « faire un bon truc » et chercher l'excellence. Cette même excellence que la France boude en la confondant volontiers avec l'élitisme. Et si l'on peut objecter qu'un tel concert doit s'adapter aux infrastructures techniques disponibles dans chaque pays, on est en droit de se demander si celles de la France ne sont pas à la traîne.

Alors que les spectateurs du Grand Rex ne s'inquiètent pas. Ce concert fut exceptionnel. Surtout pour des oreilles inexpérimentées. A 120 euros la place, les néophytes passionnés étaient en droit d'attendre mieux. Certes, c'est le prix à payer pour voir Danny Elfman en direct, avec ses propres yeux. Mais, à ce prix-là, et avec le compositeur en guest-star, on peut s'autoriser des ampoules neuves et une connectique qui tienne bon !

A quoi s'en remettre alors ? Aux bandes-son d'origine. A la prestation pour les 25 ans du duo Elfman-Burton. Au concert de Londres à voir ICI : la qualité de l'image et du son n'est pas bonne mais on peut y entendre tout ce qui manquait au concert de Paris. Et vos oreilles seront épargnées.

 

François Faucon

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