Interview B.O : Laurent Petitgand, Paul Auster (LA VIE INTERIEURE DE MARTIN FROST) et Wenders

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Interview réalisée à Paris le 15 novembre 2007 par Benoit Basirico - Publié le 15-11-2007




Laurent Petitgand est multi-instrumentiste, pratiquant la guitare, le piano et le saxophone, tout en chantant, écrivant et interprétant ses musiques, avec occasionnellement des apparitions devant l'écran. Il a travaillé avec Wim Wenders, Michelangelo Antonioni et Paul Auster.

 

Vous avez commencé la musique avec votre groupe "Dick Tracy” ?
De quel style de musique s'agissait-il ?
Quelle fut votre implication ?

J'ai eu une vie musicale avant "Dick Tracy", j'ai d'abord chanté dés l'âge de 7 ans un répertoire d'oeuvres sacrées et de musique du monde en tout genre au sein d'une manécanterie, j'y étais soliste et puis ma voix a mué...
Les premières attirances pour les musiques anglo-saxonnes m'ont ensuite poussé à apprendre la guitare, j'ai formé un groupe folk-rock "Sale Affaire Patron".
Et puis, assez bouleversé par l 'émergence et la révolte culturelle "Punk" ( j'étais déjà "trop musicien" pour prétendre pratiquer l'innocence musicale), j'ai décidé de travailler avec des novices, vierges de toutes pratiques musicales, une bassiste et un batteur. Toute l'alchimie du groupe "`Dick Tracy" tenait en ce fragile "déséquilibre" entre moi, désapprenant, et eux, apprenant...
Le résultat a donné un curieux "free-rock" assez sauvage. J'alternais guitare, piano électrique et sax alto, parfois les trois en même temps ! Oui oui, c'est possible ! On hurlait plus qu'on ne chantait, échangeant volontiers les rôles, cassants les repères, il nous arrivait même d'improviser totalement. Nos prestations en étaient pour le moins inégales mais toujours pleines de surprises.

Comment avez-vous rencontré Wim Wenders en 1985 ?

J'ai rencontré Wim alors qu'il revenait de Cannes. Auréolé de la Palme d'or pour son film "Paris, Texas", il était accompagné de Solveig Dommartin, une amie de longue date. 
Dans une ancienne salle de cinéma de Nancy qui nous servait de salle de répétition, nous avons enchaîné quelques titres pour ce grand type aux lunettes multicolores qui semblait dans son élément, là au milieu d'une salle de cinéma vide avec comme simple projection un groupe de rock qui gesticulait au son des guitares hurlantes. Ce fut un moment assez étrange et par la suite cette rencontre à bouleversé ma manière de faire la musique. 
Le cinéma avait aussi besoin de musique. Ce que Wim m'a confirmé quelques semaines plus tard en nous demandant de composer la musique de son film TOKYO-GA.

Vous êtes donc présent sur TOKYO-GA avec votre groupe… Quel fut ce travail ?

Nous l'avons enregistré dans un petit studio à Paris, avec après avoir vu une projection du film la veille, en improvisant totalement avec le souvenir de cette projection, et ça a fonctionné.
Par la suite, j'ai pu constater que Wim réussissait toujours à nouer ce lien instable entre la musique et l'image. Avec souvent très peu de mots échangés nous arrivions à trouver un langage commun, un temps identique, une espèce de "même longueur d'onde ".

Quel mélomane est Wenders ?

Wim est un fan absolu de musique anglo-saxonnes, blues, rock en particulier et de la musique en général, il a joué du sax ténor dans sa jeunesse. Il m'a avoué un jour qu'il découvrait son film à partir du moment où il posait la musique . Alors les images se révélaient à lui d'une toute nouvelle manière et il aimait ça, se faire surprendre.

Comment s'est passée la suite de votre collaboration ?

Je me souviens que pour le film CARNET DE NOTES SUR VETEMENTS ET VILLES (1989), je l'ai interrogé sur le sujet du film, il a alors retourné le pan de sa veste pour me montrer l'étiquette intérieure de son costume où j'ai pu lire "Yogi Yamamoto", c' était lui le sujet du film et ça suffisait. Et en ce qui concernait la musique, juste deux mots : "plutôt calme". Basta ! J'ai composé, Wim a posé la musique, il a tout gardé.

Pour SI LOIN, SI PROCHE (1993), Wim m'a fait lire un "traitement" (quinze pages) plus d'un an avant le tournage du film, ce qui m'a laissé le temps d'imaginer un sorte de "Requiem". J'ai pu y retrouver l'univers de mes années d'enfance baignées de "Grande Musique ", celle qui guérit les coeurs. J'ai travaillé d 'arrache pied à une partition de plus d'une heure et demie avec choeur et orchestre. Ma première fille est née le lendemain de la première projection à Cannes...

De quelle nature était votre présence sur LES AILES DU DESIRS (1987) ?

Mon travail sur ce film était à la fois celui d'un comédien et d'un compositeur. Je devais écrire une musique pour le numéro de trapèze de Solveig et tenir le rôle du chef d'orchestre dans le cirque "Alekan". Un jour Wim n'a pas pu disposer du matériel nécessaire pour éclairer un plan extérieur, il a fallu improviser quelque chose autour d'un brasero, il connaissait mes chansons que j'enregistrais à l'époque sur un minuscule magnétophone à cassette et a eu l'idée de me demander de chanter avec Solveig "Les Filles du Calvaire".

Avez-vous rencontré Jurgen Knieper (compositeur principal sur LES AILES DU DESIRS) ?

Oui, une fois, mais bien plus tard, par hasard avec Wim dans les rues de Berlin. Nous travaillions sur "Les Lumières de Berlin", un film sur les frères Skladanowsky, les inventeurs allemands d'un procédé cinématographique, le "Bioskop". Wim m'a dit après avoir quitté Jurgen qu'il lui avait fait part de sa tristesse de ne pas avoir été choisi cette fois là. Pour ce film, j'avais eu l'idée d'échantillonner les sons d'un orgue de cinéma muet resté intact et qui se trouvait en ex-Allemagne de l'Est. 
Par la suite, nous avons entrepris une tournée en jouant la musique en direct sur le film, à l'ancienne.

Et Ry Cooder (compositeur de PARIS, TEXAS) ?

Une fois aussi à Paris, dans une boîte de nuit après la projection de "Buena Vista Social Club", il était accompagné de son fils avec lequel il travaille et les musiciens cubains. Une belle fête !

Pourquoi Wenders change régulièrement de compositeur ?

Wim connaît la "planète musique" entière. Il n'a que l'embarras du choix et a travaillé avec un nombre impressionnant de musiciens. Il enrichit en permanence son carnet d'adresses, je pense qu'il aime profondément d'abord la musique puis les personnages que sont les musiciens. Vous savez, je pense que le casting est primordial qu'il s'agisse des acteurs comme des musiciens, je crois que Wim sait d'instinct qui sera le meilleur pour son projet. Voilà tout !

Parlez-nous plus largement de cette collaboration… Quelle était la méthode de travail avec Wim Wenders ?

Sa méthode, c'est "pas de méthode". Rien n'est systématique. Chaque projet inclus son propre mode de fonctionnement.

Bien que mes musiques pour LES AILES DU DESIR (musique de cirque), SI LOIN, SI PROCHE (musique symphonique), LES LUMIERES DE BERLIN (musique de slap-stick), aient toutes été très différentes, si la magie opérait sans difficultés, c'était simplement due à la confiance totale que Wim accorde à ses choix. L'espace musical ne s'épanouit qu'en toute liberté et par une sorte de hasard voulu et heureux, nous nous trouvions aux même endroits, aux même moments, ensembles.

Quel fut votre travail sur PAR-DELA LES NUAGES (1995) ? 
Aviez-vous rencontré Michelangelo Antonioni ? Quel interlocuteur était-il ?

J'ai rencontré Michelangelo chez lui à Rome. Il m'a assis sur un canapé après avoir renvoyé son majordome-secrétaire-homme-à-tout-faire aux cuisines : "Via ! Via !", et nous avons regardé le film.
Son état de santé ne lui permettait plus d'utiliser que quelques mots, à peine une dizaine, alors il me lançait des regards expressifs en me montrant du doigt quelques scènes sur lesquelles il entendait de la musique. 
Je venais juste de travailler avec Alain Bashung sur son album "Osez Joséphine" et notre éditeur en commun m'avait chargé de lui proposer une chanson d'Alain pour une scène dans un bar. On l'a essayé sur la scène mais ça ne fonctionnait pas. J'ai le souvenir très pointu de la malice enfantine qu'avait son regard, à la fois amusé et complice. J'ai composé à Paris, il a juste intervertit les musiques sur les scènes et étonnamment ça fonctionnait mieux. 
Au festival de Venise, le film a fait scandale, une délégation du gouvernement italien avez fait le déplacement et avant la fin du film a quitté la salle. Les rapports du sexe avec la religion traités dans la dernière histoire les avaient choqué.

 

 

Enfin, concernant votre actualité, quel fut le travail avec Paul Auster sur LA VIE INTERIEURE DE MARTIN FROST ? A quel moment êtes-vous intervenu ?

Cette collaboration est une histoire assez étrange, justement le genre d'histoire qu'affectionne Paul Auster. Wim Wenders a appelé la fille de Paul, Sophie, pour lui souhaiter son anniversaire mais avant de lui passer sa fille Paul lui a parlé de ses difficultés à trouver un compositeur pour son film (il faut dire que le budget n'était pas très attrayant). Wim a pensé à moi et Paul s'est souvenu d'une des musiques de SI LOIN SI PROCHE, "Allegro", sur laquelle il dansait avec sa fille lorsqu'elle était petite. Il m'a tout de suite appelé et l'étrangeté de l'affaire vient du fait que j'étais en train de finir de lire son livre "The Book of Illusion" duquel est extrait le scénario de son film "The Inner Life of Martin Frost". Comment ne pas suivre un tel signe du destin ? 
Il m'a ensuite invité à lui rendre visite chez lui à Brooklyn, j'y suis allé avec quelques musiques que m'avait inspiré "The Book of Illusion". En l'espace de quelques temps, j'ai travaillé à Paris sur le montage définitif puis enregistré avec une petite formation.

Qu'est-ce que cela change de composer pour un écrivain ?

L'impression que l'histoire, la narration, est d'abord primordiale, et le fait qu'avant de pénétrer dans le monde des images on doive accepter de se trouver d'abord dans la tête de l'auteur, prendre place dans son cerveau. Une sensation un peu inédite d'intériorité totale. On prend conscience d'une manière plus prégnante que ce que l'on voit et qui nous semble si réaliste n'est qu'une vue de l'esprit. Paul avait une idée assez précise de l'effet que la musique devait produire.

Quels sont ses goûts musicaux ?

Philip Glass (ils sont amis), Steve Reich, la musique française du début du siècle, Schubert, la musique baroque, le label ECM… rien de tonitruant.

Quelle était la note d'intentions musicale sur ce film ?

"Musique sacrée où Dieu ne serait qu'une hypothèse parmi tant d'autres". Voilà le genre de phrase que je ne me formule qu'à moi-même. Non, pas de note d'intentions. Chez moi la musique passe avant tout par les sensations, je la ressens plus que je ne la pense.

Pourquoi le choix d'associer piano, cordes et cuivre ?

Il fallait une musique totalement acoustique réalisée avec des moyens simples sans artifices. La version du CD diffère de celle du film. J'y ai ajouté une partie de sax alto que j'ai moi-même jouée. Il me semblait que sans le son du film, j'avais besoin d'entendre une autre voix.

Vous orchestrez vous-même et être soucieux de ce travail ?

L'essence même de certaine de mes musiques tient à l'orchestration, tout le ciment prend par l'interconnexion des différentes parties instrumentales, elles s'imbriquent et se soutiennent les unes des autres comme les éléments d'un château de cartes. Les instruments pèsent tous le même poids, ils ont tous la même densité et le même droit à la parole (la démocratie musicale) pour ne former qu'une.

Vous êtes multi instrumentiste : piano, guitare, saxo... Vous jouez donc de ces instruments pour vos propres BO ?

Oui, mais tout dépend. Là, j'ai laissé la partie de piano à un jeune pianiste très doué Alvise Sinivia, simplement par pur plaisir de travailler avec lui et de partager. La partition n'était pas très complexe, j'aurai pu la jouer, j'ai préféré qu'il l'interprète lui.

Quel est votre travail avec le label Naïve sur le disque ?

C'est la première fois que je travaille avec Naïve, pas la dernière, j'espère. Je sais que les chances de succès d'une BO en termes de vente sont très aléatoires mais je suis ouvert à toute idée qui ferait mieux connaître mon travail. Evidemment.

Quel spectateur êtes-vous ?

Passionné, je crois...

Quels compositeurs aimez-vous ?

La liste serait longue, mais je suis d'abord fasciné par les poètes qu'ils soient musiciens, chanteurs ou peintres, d'abord poètes. Je ne suis pas très sensible à la démonstration et au gros son par exemple, je renifle assez vite l'esbroufe et le clinquant cache souvent un manque d'originalité.

Hors cinéma, vous avez travaillé pour Alain Bashung ou Christophe…

Pour Alain, j'ai écrit des textes, et pour Christophe des arrangements de cordes. Deux belles rencontres, deux poètes musiciens, je crois.

 

Une devise ?

L'action dans la paix. La paix dans l'action

Interview réalisée à Paris le 15 novembre 2007 par Benoit Basirico

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