Interview B.O : Florencia Di Concilio & Léa Mysius (LES CINQ DIABLES, Quinzaine des Réalisateurs 2022)

cinq-diables2021022701,di-concilio,Cannes 2022,compositrices, - Interview B.O : Florencia Di Concilio & Léa Mysius (LES CINQ DIABLES, Quinzaine des Réalisateurs 2022)

Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico

- Publié le 27-05-2022




Avec LES CINQ DIABLES (au cinéma le 31 août 2022), Florencia Di Concilio retrouve Léa Mysius après "Ava" (2017) avec ce film fantastique sur une jeune fille étrange et solitaire, Vicky, qui a le don de tracer l'origine de toutes les odeurs. La partition prolonge ce sixième sens avec des percussions (presque vaudou ou chamanique) tout en soutenant un climat angoissant (celui entourant un lac de montagne isolé ainsi qu'une dimension de film d'horreur enrichie par les surgissements sonores). 

Cinezik : Léa Mysius, dans votre travail de réalisatrice, quelle est la place de la musique, à quel moment vous y pensez ?

Léa Mysius : On en parle dès le scénario. Florencia commence à y réfléchir. L'idée est de parvenir à trouver le film en même temps que la musique, dès l'écriture. 

En tant que scénariste (notamment pour les derniers films de Jacques Audiard et Claire Denis), est-ce que la musique aide pour l'écriture ?

L.M : Oui, je peux écrire avec de la musique à fond dans les oreilles. J'adore ! Mais cette musique n'a rien à voir avec celle du film. Pour “Les Cinq diables”, j'ai beaucoup écrit avec la B.O de “Django” (Warren Ellis). Ce n’est pas du tout l'ambiance du film, mais c'est pour l'énergie.

Dans “Les Cinq diables”, on retrouve un personnage principal de petite fille. Dans “Ava”, le choix musical était le violoncelle pour représenter la cécité progressive du personnage. Et ici il s’agit d’un sixième sens que se découvre la jeune fille. Dans quelle mesure cet aspect invisible a guidé la musique ? 

L.M : C'était vraiment l'idée de faire une musique qui travaille l’invisible, le côté primitif et le côté inconscient, de manière souterraine. Je voulais aussi associer la musique de Florencia avec de la musique beaucoup plus pop. A côté de cet aspect acidulé, la musique originale de Florencia est plus brute, plus étrange, plus chamanique. La musique participe à faire jaillir sous les images ce qu'on ne dit jamais. C’est le côté sombre du film qui rejaillit. On a utilisé pour cela des sons d'animaux. 

Florencia Di Concilio : Quand j’ai vu le premier montage, je me suis dit qu’il fallait mettre des bruits d'animaux. On ne l’entend pas forcément, mais à chaque fois que le personnage a une hallucination, on entend un son de vaches, enregistré à l'envers, mélangé avec une contrebasse. L’idée était de métamorphoser le timbre du son de vache. Pareil avec le son du loup qui hurle mélangé à une flûte. Il y a quelque chose de très viscéral, inconscient et primitif. C'est l'exploration des sens, de la manière la plus archaïque qui soit. La musique fait un peu contrepoids avec toute la sophistication du film. 

Il y a une épure dans le choix des timbres. Il y avait le choix du violoncelle dans le premier film, et ici ce sont les percussions. 

L.M : On avait parlé de la flûte et des percussions. Puis au scénario on remettait un peu sur la table nos envies, nos sensations, par rapport à ce qui est écrit. Et finalement, on est revenu à notre première sensation.

Comment trouvez-vous un langage commun, est-ce que cela passe par faire entendre des musiques comme références ? 

L.M : Oui, parfois je fais entendre des choses, ce n’est jamais pour copier évidemment, mais pour pointer du doigt un élément dans la musique et essayer de comprendre les intentions. Je parle aussi de sensations. 

F.D : Pour un réalisateur, essayer d'utiliser des termes musicaux, c'est parfois contre productif. C'est beaucoup plus clair de parler de ses sentiments, de choses plus universelles. 

Concernant des références cinématographiques, le film peut faire penser à l’univers horrifique de Jordan Peele (“Us”). Quelle est votre relation avec le genre de l’horreur à travers ce film ? 

L.M : J’ai eu beaucoup de références liées à ce genre, des films américains, et Jordan Peele en fait partie. Mais mes références étaient beaucoup plus littéraires, la littérature américaine, comme “Dalva” de Jim Harrison ou les livres de Jonathan Franzen, dans l’idée de mythifier les personnages et les lieux dans lesquels ils habitent. Pour la dimension assez psychanalytique, il y a eu des références comme “La Nuit sexuelle” de Pascal Quignard pour qui tout enfant imagine une scène invisible précédant sa naissance. C'est un peu la scène de sa conception. Mais je ne voulais pas d'un film trop cérébral, trop littéraire. Je voulais du romanesque, et là sont entrées en jeu les références cinématographiques, plus horrifiques et fantastiques. C'est l'hybridation de toutes ces références et de mes envies qui ont donné naissance à ce film un peu protéiforme.

La musique est climatique, avec une certaine étrangeté, et aussi répond aux conventions de l’horreur avec des surgissements lors des apparitions. Cela a été travaillé à l'image ?

F.D : Au delà des discussions en amont, je finis toujours par composer à l'image. Mais ma musique est comme une matière, elle peut ensuite être placée ailleurs. Et la monteuse Marie Loustalot travaille très bien avec la musique. C'est une chance. 

L.M : Il fallait trouver le bon équilibre entre les enjeux du film d'horreur et que ça ne fasse pas trop mauvais goût, même si on cherchait un petit peu le mauvais goût, le sursaut, l'équilibre n'était pas facile à trouver. Mais on a fini par trouver. 

F.D : Cela passe par des sons assez bruts. C’était un travail de tailleur pour que ce soit dans la finesse. 

Il y a aussi un juste équilibre réussi entre la musique préexistante et la musique originale. Après Martin Caraux pour “Ava”, le superviseur musical était Thibault Deboaisne. Dans quelle mesure il choisissait les morceaux ou se contentait de négocier les droits ? 

L.M : Les deux. Des musiques de synchro étaient là dès le scénario, notamment “Total Eclipse Of the Heart” de Bonnie Tyler. Ensuite au tournage, on en a trouvé d'autres. Paul Guillaume, le chef opérateur, est un petit peu superviseur musical puisqu’il m'a amené des musiques comme celle de la fin. Et enfin, le superviseur musical est intervenu au montage. On était coincés sur des musiques, on n’arrivait pas à en trouver des biens et abordables, donc Thibault a donné des listes de musiques par scène. Avec la monteuse on voyait ce qui marchait le mieux, ce qui nous paraissait le plus évident. Et en dernier lieu, il allait négocier les droits.

Vous accueillez volontiers la musique, vous n'avez pas peur que la musique alourdisse le film ? 

L.M : Pendant très longtemps, au montage, on se demandait s’il y avait trop de musique. Ce n’est pas une question de quantité, mais plutôt d'équilibre. Petit à petit, on a réussi à trouver cet équilibre. L'idée n'était pas non plus de tartiner tout le long. On avait comme référence “Magnolia” de Paul Thomas Anderson. La musique est partout, c'est un peu perturbant au début, mais les moments de silence sont d'autant plus percutants. Il y a aussi les sons qu'on a beaucoup travaillés avec Alexis Meynet et Victor Praud, les monteurs sons, pour essayer de trouver les sons de la campagne, de la montagne, le vent est aussi une musique du film quelque part. 

F.D : Le monteur son Victor Praud a aussi mixé la musique. Ainsi la musique est complètement entremêlée au sein du design sonore.

Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico

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