Interview B.O : ROB (Robin Coudert) pour LE BARRAGE de Ali Cherri (The Dam, Quinzaine des Réalisateurs)

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Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico

- Publié le 27-05-2022




Robin Coudert signe la musique du premier film de l'artiste libanais Ali Cherri tourné au Soudan, près du barrage de Merowe. La partition joue avec les éléments (l'eau, la terre d'argile, le feu...), dans un mélange de sonorités lourdes et aériennes. Elle apparait parcimonieusement pour relater le périple du personnage dans le désert. 

 

Cinezik : “Le barrage”, premier film de l'artiste libanais Ali Cherri, est situé au Soudan. Après “Papicha” (Mounia Meddour, 2019) tourné en Algérie, c'est une autre géographie. L'idée était là également de ne pas jouer le folklore ? 

Rob : C'est vrai que c'est souvent un écueil qu'on essaie d'éviter. Dès lors qu'on est dans un cadre qui n'est pas celui du cinéma occidental auquel on est habitué, en tout cas en France, il ne faut pas essayer de faire du faux cinéma ethnique. Que ce soit dans “Papicha” ou dans “Le barrage”, il fallait au contraire trouver une identité qui soit propre à l'histoire du film, à la narration, au personnage, qui ne soit pas du tout dans un effet de cartes postales. 

Pour ce film situé près d’un barrage, on peut faire un lien avec “Grand Central” (Rebecca Zlotowski, 2013) où la centrale nucléaire est un personnage, comme peut l’être ce barrage ici, et avec “Belle épine” (Rebecca Zlotowski, 2010) pour lequel vous vous étiez inspiré de la matière, du cuir des blousons. Ici il y a de l'eau. 

Rob : C'est un film qui tourne beaucoup autour des éléments, l'eau est effectivement très présente, une eau stagnante, une eau menaçante, puisque le barrage est l'empreinte la plus forte que puisse avoir l'homme sur la nature, dans l’action de contraindre cette force naturelle qu’est Le Nil, un fleuve mythique mythologique. Ce barrage est donc très puissant. Et puis à travers le désert, avec toute cette poussière, il y a la terre. Il y a le feu qui intervient aussi avec une portée symbolique très forte. Et puis ce vent, ce silence assourdissant. La musique devait trouver sa place au milieu de tout ça. Il y a effectivement, comme dans “Grand Central”, l'idée de faire exister par le son et par la musique des éléments du décor qui sont des personnages muets, avec une puissance narrative très forte, mais en même temps avec un langage musical qui puisse s'immiscer entre tous ces éléments sans prendre la parole à la place du barrage. La musique fait le lien entre toutes les forces émotionnelles qui sont dans un film. 

Ali Cherri a soigné son cadre, pour une forme très photographique, très picturale, ménageant une place pour le silence, avec très peu de dialogues. Tout repose vraiment sur le visuel. Quel est l’enjeu pour un compositeur ? Est-ce que le réalisateur accueillait la musique avec évidence ? Ou alors au contraire la nécessité musicale s’est trouvée au fur et à mesure de votre discussion ? 

Rob : En fait, j'ai eu beaucoup de plaisir et de facilité à comprendre Ali Cherri, en raison sûrement de son parcours. Il est plasticien, c'est un artiste contemporain qui vient d'ailleurs de gagner un prix à la Biennale de Venise. Il est sculpteur. Il mélange beaucoup de matières, du bois, de la poussière, de la pierre, qu’il mélange avec de la peinture classique ou de la renaissance. C’est aussi mon parcours puisque j'étais aux beaux-arts. Je me destinais moi-même à une carrière de peintre. J'étais en peinture aux Beaux-Arts de Paris. Et j'ai toujours fait dans ma musique ce lien entre une démarche picturale et une démarche musicale. Je sens profondément que ce rapport à la matière, ce rapport à la construction, à la structure, je l'ai adaptée à la musique. J'ai senti qu'avec Ali on avait ce langage commun, ce qui faisait qu'on arrivait à ressentir des choses. C'est quand même un film relativement abstrait, sans dialogues, très lent, pictural. On ressent plus qu'on ne comprend réellement. Et je pense que ce terrain artistique entre nous a très bien fonctionné là-dessus.

Comment s'est faite la rencontre d’ailleurs ? 

Rob : Bertrand Bonello qui a participé à l'écriture du film lui avait recommandé de discuter avec moi. J'avais travaillé avec lui sur un court métrage pour l'Opéra de Paris, donc on avait déjà eu des accointances artistiques. J'ai donc été conseillé. Et puis, quand on s'est rencontrés avec Ali, il y a eu une forme de douceur dans les rapports, et pourtant il s’agit dans son film de la recherche d’une puissance tellurique.

Dans cette œuvre globale qui accueille les silences, les matières, comment la musique a pu s'immiscer, avec parcimonie, sans faire rupture, dans un placement naturel et fluide avec le reste ?

Rob : Il me disait qu’il ne fallait jamais sentir que la musique arrive ou disparaît. C'était une sorte de contrainte. C’est toujours plaisant quand on commence à travailler d'avoir des contraintes, surtout quand elles sont très précises, ça donne vraiment une indication. Et puis après, je me suis juste laissé comme d'habitude porté par le scénario. Les images sont puissantes, comme on peut l’imaginer de la part d'un plasticien. Le personnage est lui-même une sorte d'artiste d'art brut qui fabrique une sorte de sculptures dans le désert. Porté par tout ça, j'ai recherché des sonorités, puis avec ces matières j'essaie de constituer des formes harmoniques et des motifs. Ensuite le réalisateur a beaucoup épuré, il m'a demandé d'enlever plein d'éléments, il choisissait juste une petite parcelle de ce que j'avais fait qu’il mettait en boucle. Comme la glaise utilisée par le personnage, la musique était cette matière très vivante qui a été modelée au fur et à mesure.

La musique évolue aussi vers plus de lyrisme, il y a un parcours musical, qui trace le chemin intérieur du personnage ?

Rob : Il y a un chemin entre le début et la fin du film. On démarre dans un univers très abscon, muet, mystérieux. Et plus ça va, plus on est pris par des sentiments forts qui, même s'ils restent mystérieux, sont très reconnaissables en tant qu'humain. La musique devait de plus en plus être mélodique. Elle ne raconte pas particulièrement l’état intérieur du personnage, mais participe à mettre le spectateur dans un certain état, et dire comme la vie est mystérieuse en quelque sorte. 

Comment un réalisateur - plasticien formule-t-il son intention musicale? 

Rob : Le fait qu'il soit artiste lui donne une grande humilité. Là où certains réalisateurs se considèrent plus comme des techniciens qui vont être très directifs dans la façon de construire la musique, lui était plus dans un rapport de dialogue et de confiance. Il se disait “maintenant que je t'ai choisi, je compte sur toi pour apporter des solutions”. C'est très agréable.

On évoque souvent l'idée que pour un compositeur, c'est toujours mieux d’intervenir tôt, en amont, sur le scénario. Avec un film si visuel, voir l'image était primordial ?

Rob : Absolument, d'autant que c'est un film qui a eu une genèse assez longue. Il a été tourné en deux périodes puisqu’une révolution populaire a eu lieu au Soudan. Le film a commencé juste avant. Ce soulèvement a eu lieu pendant le tournage, donc il a dû être arrêté, puis repris. Le film qui avait des tournures quasiment documentaires au début, petit à petit il s'est scénarisé et est devenu une pure fiction. Un film est une matière très malléable, il y a eu plusieurs transformations au cours de son élaboration. C'est fascinant de penser que le sujet du film, à la fois mythologique, politique et humain, soit si proche de la façon dont le film a été conçu, comme la glaise, cette matière symbolique de la Bible, ou le Golem dans la tradition juive. 

Le point de départ dans l'élaboration de cette partition passe toujours par le clavier ?

Rob : C'est vrai que j'ai mon modus operandi maintenant. Je suis entouré de toutes mes machines, de tous mes instruments préférés, et je me laisse complètement aller à une forme de divagation musicale, un peu à la manière des actionnistes. Je ne sais pas du tout ce que je vais faire au moment où je commençe, je me laisse entièrement porté par les machines et l'émotion. C'est ma démarche. Il y a certains artistes plus conceptuels qui doivent écrire parfaitement l'intention avant de faire quoi que ce soit. Moi c'est plutôt le contraire. D'abord je me lance, et ensuite je comprends ce que j'ai fait. 


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