Interview B.O : Alexandre de la Baume, une musique d'empathie (Le Ravissement, de Iris Kaltenbäck)

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Propos recueillis par Benoit Basirico

- Publié le 20-05-2023




Alexandre de La Baume signe la musique du drame de Iris Kaltenbäck, “Le Ravissement” (présenté à Cannes à la Semaine de la Critique, sortie en Salles le 11 octobre 2023), sur une sage-femme (Hafsia Herzi) qui commet un acte délictueux pour se faire passer pour une mère. La partition participe au mensonge par ses timbres doux (guitare, flûte, violoncelle, clarinette) faisant exister le lien maternel. La tonalité lumineuse crée un cocon maintenant l’illusion, et convoquant l’imagerie du bonheur, même si certaines notes plus climatiques entretiennent la tension.

Cinezik : Vous avez œuvré à la fois dans l'album et la scène au sein de différents groupes, notamment avec votre sœur Joséphine, et puis il y a eu le passage au cinéma. Comment gérez-vous ces deux activités ? Considérez-vous cela comme le même travail ?

Alexandre de La Baume : J'aime beaucoup, en effet, travailler de cette manière, même quand j'écris une chanson, j'aime un peu l'imaginer comme une histoire, presque comme un film et donc, en quelque sorte, comme une sorte de bande-son, certes plus personnelle, qui traduit des états d'âme, des histoires que je me raconte et que je partage. Mais oui, j'ai l'impression que le travail est relativement similaire. Cependant, sur un film, il y a indéniablement plus de contraintes et un matériau beaucoup plus riche avec lequel je dois travailler. Mais en même temps, cela peut parfois être assez libérateur, car cela offre, notamment en termes de structure musicale, davantage de liberté. Parfois, quand on écrit une chanson en pensant à un format précis, on se bride inutilement. Donc voilà, je trouve que l'image et le rythme d'un montage peuvent parfois être assez libérateurs, et de même, la vision d'une réalisatrice ou d'un réalisateur peut inspirer des idées qu'on ne découvrirait pas autrement.

Et concernant ce film "Le Ravissement", comment s'est passée la rencontre avec la réalisatrice Iris Kaltenbäck ?

Nous avions beaucoup d'amis en commun et elle avait entendu parler de ce que je faisais. Nous avons d'abord eu un certain nombre de rendez-vous manqués, nous avons commencé à travailler ensemble pour son court-métrage de fin d'études à la FEMIS, "Le vol des cigognes". C'était un film très direct, très sobre, sans aucune musique pendant les 25 minutes qu'il dure. Mais elle envisageait peut-être d'intégrer de la musique pour le générique de fin. J'ai donc travaillé dessus et fait plusieurs propositions. Une proposition que la monteuse et elle ont beaucoup appréciée a été intégrée dans le montage. Cependant, lors de la dernière projection, elles ont réalisé qu'il était nécessaire d'avoir du silence après le film, donc ma composition a été écartée. Par la suite, nous avons de nouveau collaboré. Elle a participé à la résidence Emergence avec un projet intitulé "Les Perpétuelles", et nous avons travaillé ensemble sur cet atelier, ce qui s'est très bien passé, mais le film ne s'est finalement pas concrétisé. C'était un exercice. Le fait que le film n'ait pas abouti a été assez difficile à gérer, mais finalement, c'est "Le Ravissement" qui est devenu le premier long métrage d'Iris. Monter un premier film est un défi, et ce projet a finalement démarré un peu comme un acte spontané, il fallait faire un film rapidement, avec les moyens disponibles. Cela s'est avéré être l'occasion de travailler ensemble sur le long terme, et cette collaboration s'est révélée être une expérience formidable.

Donc, pour ce premier film réalisé en un temps restreint, la musique a-t-elle également été composée rapidement ?

Le film a été réalisé rapidement en ce sens que de la première version du scénario à la fin de la post-production, qui s'est achevée quatre jours avant la projection à Cannes, il s'est écoulé à peine un an. Cela a été si rapide parce qu'il y avait également l'ambition de la part d'Iris et de ses producteurs de faire avancer les choses rapidement. Mais j'ai eu la chance d'être impliqué dans le projet dès la phase de scénario, et en partie en tant que consultant sur celui-ci. Ainsi, j'étais assez familiarisé avec le projet depuis le début et j'ai pu commencer à travailler dessus très tôt, ce que je souhaitais faire car je savais que le film serait réalisé rapidement. Je voulais donc avoir suffisamment de matière et de temps, afin de ne pas me trouver dans l'urgence lors de la post-production. Alors, quand Iris a commencé le montage, ils disposaient déjà de plusieurs ébauches et idées sur lesquelles ils pouvaient travailler, ce qui m'a aussi permis d'éviter l'écueil des morceaux temporaires, qui sont parfois compliqués à gérer en tant que compositeur. Ils ont commencé à travailler directement avec les éléments que je leur fournissais. Cela a engendré des discussions constantes tout au long du processus de montage. Nous avons ainsi pu travailler rapidement, avec une sorte de catalogue déjà en place. Cela nous a permis de progresser efficacement, sans être trop pressés par le temps.

Le travail de déterminer comment intégrer la musique et lui attribuer un rôle a t-il été fait dès le scénario ?

Il y avait de nombreux pièges à éviter. Cela nous a aidés à trouver la bonne direction, qui n'était pas évidente. Ce que j'ai apprécié dans le scénario, c'est qu'il se situait à l'intersection de différents genres. Ce n'est pas un film naturaliste. Ce n'est pas non plus un thriller. Il y a un aspect romanesque marqué avec cette voix off. C'est l'amant de Lydia, l'héroïne, qui raconte l'histoire et qui essaie de comprendre comment elle en est arrivée là. On se sent très proche de l'héroïne car elle est présente dans chaque scène, et en même temps, on s'interroge avec le narrateur à son sujet. Je voulais donc que la musique ait cette tonalité romanesque, sans être trop datée.
Je ne voulais pas non plus composer une bande originale à l'ancienne, à la manière de Delerue chez Truffaut. Il y a un aspect documentaire dans le film. Pour toutes les scènes se déroulant dans la maternité, montrant le travail de la sage-femme, ils ont tourné sur place avec de vraies femmes en train d'accoucher. Je souhaitais que la musique épouse le lyrisme du film, sans orienter de manière excessive le drame. Le film n'est jamais lourd en soulignant de manière appuyée le tragique ou l'angoisse de la situation. Je voulais que la musique reflète cette dualité présente dans le titre, "Le Ravissement", avec ses connotations à la fois extatiques et dramatiques.

En effet, le film n'est pas un thriller, et c'est grâce à la musique qu'il ne l'est pas. Elle ne met pas en avant l'aspect policier. Peut-être que, précisément par son lyrisme et sa douceur, la musique incarne pleinement le mensonge, en ce sens qu'avec la musique, on est immergé dans cet aspect maternel, avec des tonalités plutôt douces, pour se mettre à la place de cette mère fictive...

Oui, c'est exactement cela. Le film ne cherche pas à la juger, mais tente plutôt de la comprendre, de se mettre à sa place, et on observe cette progression graduelle vers le mensonge. Ce que je trouve touchant, c'est que, d'une certaine manière, on peut s'identifier à elle, on peut se dire que c'est une version fictive et romanesque d'un mensonge dans lequel on peut se retrouver, car il s'agit d'un mensonge né de la solitude, d'un manque d'amour. Je souhaitais que la musique reflète cette douceur, qui est également présente dans l'image, magnifiquement capturée par Marine Atlan, la directrice de la photographie.
Cette douceur est déjà présente dans le scénario, dans la voix off qui cherche à questionner, à comprendre. Donc oui, je n'ai pas voulu accentuer l'aspect dramatique qui est également présent dans le film. J'ai plutôt souhaité adopter un regard tendre, compréhensif et empathique envers l'héroïne. C'est pour cela qu'il y a beaucoup de guitares acoustiques dans le film. On y trouve également de la flûte, de la clarinette, des instruments et orchestrations avec des sonorités plutôt douces. Mais en même temps, sans être trop mièvre, il y a des éléments légèrement angoissants. J'apprécie, par exemple, certains morceaux de Ravel qui ont cet aspect à la fois lyrique et doux, tout en laissant transparaître que quelque chose ne va pas. J'ai donc cherché à insuffler une légère dissonance dans la musique, tout en veillant à ne pas être trop lourd ou explicatif.

Oui, il y a cette douceur maternelle dans la musique, mais il y a aussi une tension, des petites notes qui créent une atmosphère pour maintenir la tension, pour nous faire ressentir que quelque chose d'étrange est en train de se passer... Il y a aussi le jeu avec l'imagerie du bonheur dans certaines scènes à la plage, avec cette idée d'une tonalité lumineuse contribuant à l'illusion vécue par les personnages... C'était vraiment un sujet de discussion avec la réalisatrice, l'idée que la musique puisse adopter ce point de vue, de se mettre pleinement à la place du personnage ?

Absolument, et d'ailleurs cela n'était pas évident pour tout le monde. Certains membres de l'équipe de post-production étaient troublés par l'idée d'avoir un morceau lyrique pendant la séquence à la plage. Mais en même temps, je trouvais cela magnifique car nous savons bien que cela va devenir compliqué, que ce bonheur sera probablement éphémère. Mais c'est le moment où l'héroïne s'autorise enfin à vivre pleinement sa folie et à s'accorder un bonheur qu'elle s'est toujours refusé, même si cela provient d'une fabrication totale et d'un acte insensé. Ainsi, la réalisatrice et moi trouvions beaucoup plus beau de nous abandonner avec elle à ce moment de bonheur tragique plutôt que de dramatiser les enjeux à cet instant.
Cela nous semblait beaucoup plus émouvant et puissant. Bien que cela ait pu déconcerter certaines personnes, je pensais que c'était un choix assez évident.

C'est là que le rôle de la musique est extrêmement puissant car une musique différente aurait pu orienter le regard du spectateur d'une autre manière. Nous sommes face à un acte répréhensible et jamais la musique ne le qualifie en tant que tel...

C'est très juste, car on peut potentiellement modifier complètement le jugement moral sur une situation en fonction de l'ambiance musicale que l'on crée avec nos compositions. Et dans ce cas précis, le film veut surtout éviter d'être moralisateur, ce n'est pas son rôle.
C'est au spectateur d'être libre de juger les actes, et je trouve cela d'autant plus beau que le film ne dicte aucun jugement et que la musique contribue à cela en étant en connexion directe avec l'héroïne, dans cette lente descente vers une forme de folie alimentée par la solitude et un désir d'amour inassouvi. Dans ce type d'histoire inspirée de faits divers, la justice joue son rôle, tout comme l'opinion publique. Mais comme la réalisatrice me le disait souvent, ce n'est pas le rôle du cinéma. Elle a une formation de juriste et c'est cette frustration qui l'a poussée à quitter le droit pour rejoindre la Fémis et se lancer dans le cinéma, avec l'envie de raconter des histoires. Elle était frustrée par le regard juridique porté sur ces situations. Elle voyait des femmes jugées, notamment pour ce type de délit ou de crime, et elle se disait : "Moi, je veux les comprendre, je veux raconter leur histoire". Bien sûr, chacun a son rôle à jouer, mais en tant que cinéaste, elle avait le désir d'explorer ces histoires sous un angle différent. Et moi, en tant que compositeur, mon rôle n'est pas non plus moralisateur, mais plutôt un rôle d'empathie, de compréhension et de narration.

Quelle relation la réalisatrice entretient-elle avec le compositeur? Est-elle très directive ou, au contraire, laisse-t-elle une grande liberté artistique? Y a-t-il des orientations ou des références musicales qu'elle fournit?

Elle avait une vision claire de vouloir un cinéma qui embrasse un certain lyrisme, avec de véritables thèmes musicaux plutôt qu'une simple musique d'ambiance. Elle souhaitait que la musique joue un rôle actif dans la narration. Elle a mentionné "Taxi Driver" comme référence, en particulier la façon dont le film utilise à la fois des cuivres dramatiques et une mélodie de saxophone douce pour se connecter avec la solitude du personnage principal. Cette référence a été partagée non pas pour imiter le style, mais pour illustrer le type de liberté qu'elle voulait accorder au compositeur.

Concernant la chanson originale du film interprétée par Klara Keller, comment est née l'idée de l'inclure ?

L'idée est venue d'une scène spécifique où le personnage principal, Lydia, est dans une boîte de nuit après avoir vécu des moments difficiles dans sa vie personnelle. En tant que superviseur musical du film, je cherchais une chanson qui pouvait à la fois évoquer une ambiance de boîte de nuit tout en portant une certaine mélancolie. Ne trouvant pas de chanson existante qui convenait, j'ai décidé de composer quelque chose moi-même. À ce moment-là, je travaillais avec une chanteuse suédoise, Klara Keller, sur un autre projet et on a décidé de collaborer sur cette chanson. On a réfléchi à comment créer une "chanson triste de boîte de nuit", ce qui était un exercice de style amusant à faire, parce que je ne fais pas vraiment de la musique de boîte de nuit, mais principalement du rock (avec Film noir) et de la chanson à texte.

Quand vous dites que vous étiez également superviseur musical sur ce projet, avez-vous choisi les morceaux préexistants et négocié les droits ?

En partie, oui. Cependant, j'ai reçu de l'aide pour cette tâche de la part de mon manager. Je suis assez familiarisé avec ce domaine car cela fait près de 15 ans que je travaille dans des groupes de musique et j'ai mon propre label. Iris souhaitait mettre en avant une jeune génération de musiciens français. Ce sont aussi des personnes que je connaissais, ce qui a facilité les choses. Le contact a été plus aisé que si j'avais dû chercher des morceaux à l'international. Finalement, tout s'est déroulé de manière assez fluide.

Était-ce dans l'intention d'assurer une homogénéité que plusieurs titres d'un même groupe, Juniore, ont été choisis ?

Absolument, Juniore est un groupe français que j'apprécie énormément, notamment pour leurs magnifiques textes et leur ambiance. Ils se décrivent eux-mêmes comme un groupe de "yéyé noir", ce qui, selon moi, leur correspond très bien. Il y a cette ambiance yéyé des années 60, plutôt légère, mais en même temps les textes et les sujets des chansons sont souvent assez sombres. Cela correspondait bien au film. On les entend quand Lydia ou son ami sont dans des cafés, et cela crée un décalage subtil assez plaisant.

Est-ce que le fait d'être à la fois le superviseur musical et le compositeur a facilité le choix que vous écriviez une chanson ?

Effectivement, bien sûr. Il est probable que ce choix n'ait pas été totalement impartial, mais cela faisait sens puisque la chanson a été composée spécifiquement pour le film.

En 2020, vous avez travaillé sur la comédie "Eléonore" de Amro Hamzawi, dans un genre totalement différent. Est-ce que cela requiert une approche différente ? On dit souvent que la comédie est l'un des genres les plus difficiles pour les compositeurs...

Oui, absolument, d'autant plus que la comédie exige une technique particulière, notamment en termes de rythme. J'aime beaucoup relever ce genre de défi, donc j'ai apprécié travailler dessus, bien que cela ne soit pas ma tendance naturelle. Me plonger dans le lyrisme du film d'Iris Kaltenbach et ressentir les émotions du personnage principal était, en fin de compte, quelque chose de très naturel pour moi.

Vous n'avez pas encore trouvé de collaboration à long terme avec un réalisateur ou une réalisatrice. Est-ce que vous envisagez l'idée d'une collaboration durable avec quelqu'un ?

Oui, absolument. C'est davantage une question d'opportunité et de circonstances. Nous avons parlé des défis de réaliser un premier film, et il existe également des défis pour un second film. Beaucoup des réalisateurs et réalisatrices avec qui j'ai travaillé sont actuellement en train de travailler sur leur second long-métrage, ce qui prend du temps.
En fin de compte, cela ne dépend pas uniquement de moi, mais je serais ravi de poursuivre ces collaborations. J'espère sincèrement que les films se concrétiseront rapidement et que nous pourrons reprendre notre travail ensemble.

 

Propos recueillis par Benoit Basirico

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