Interview B.O : Stéphane Moucha, à propos de LA VIE DES AUTRES

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Entretien réalisé le 20 janvier 2007 par Sylvain Rivaud.

- Publié le 20-01-2007




Compositeur pour le théâtre, la chanson, puis le cinéma et la télévision, Stéphane Moucha a aussi orchestré pour Yvan Cassar, André Manoukian et Gabriel Yared, avec lequel il a co-signé plusieurs partitions de films, notamment pour le film allemand La Vie des Autres (Das leben der Anderen) en 2007.

Tout d'abord, pouvez-vous nous expliquer comment vous êtes arrivé sur ce film allemand ?

En août 2005, Gabriel Yared m'a proposé de co-composer la musique de LA VIE DES AUTRES ("Das leben der anderen" en VO) car il s'était engagé sur ce film mais ses projets précédents s'étant décalés, il ne disposait pas assez de temps pour travailler seul à cette partition.

Quel a donc été votre travail de collaboration avec Gabriel Yared ?

Cela s'est fait par juxtaposition. Il a composé des thèmes, j'ai composé des thèmes, et le score est né de l'addition de ces musiques.

Comment s'est effectuée la répartition des tâches ?

Assez naturellement. Pour des raisons d'emploi du temps, Gabriel a été actif surtout avant le tournage, et moi après.

Vous avez donc composé des morceaux ou des thèmes chacun de votre côté...

Oui. Gabriel avait composé en amont du tournage une sonate pour piano qui devait être, à l'origine, la pierre angulaire du film. Mais finalement Florian, le réalisateur, n'a pas souhaité l'utiliser ailleurs que dans la scène où Dreyman joue du piano, en musique "in". Gabriel a alors proposé de nouveaux thèmes. Certains ont été acceptés, d'autres refusés par Florian, et il manquait toujours beaucoup de musique. J'ai donc été amené à composer à sa demande tous les thèmes dont nous avions encore besoin.

Avez-vous travaillé dans le même studio que Gabriel ou séparément ?

Nous nous sommes vus, Gabriel, Florian et moi, deux après-midi, et ensuite nous nous sommes revus plusieurs mois plus tard avec Gabriel au Deutsche Filmpreis. Pour les séances de spotting et de travail à l'image, tout s'est passé chez moi et nous avons travaillé avec Florian pratiquement jour et nuit, en deux sessions d'une semaine espacées d'un mois.

Avez-vous eu recours à d'autres collaborateurs (orchestrateurs par exemple) ?

Non, j'ai orchestré le score seul pendant la semaine qui restait avant les séances à Prague. L'orchestre était principalement un orchestre de cordes, agrémenté de quelques bois et d'une harpe, plus un piano et une guitare solistes. Une formation très simple, en fait.

Comment se sont effectués les choix musicaux ?

Gabriel et moi, nous nous connaissons depuis quelques années et avons plusieurs fois travaillé ensemble, dans des configurations diverses (assistanat, orchestration, co-écriture). Je lui dois beaucoup car j'ai à ses côtés participé à des projets aussi excitants que THE NEXT BEST THING de John Schlesinger, AUTOMN IN NEW YORK de Joan Chen, POSSESSION de Neil Labute, LES MARINS PERDUS de Claire Devers, pour ne citer que ceux-là. Pour LA VIE DES AUTRES, il a initié le projet, jeté les bases de certains des parti-pris musicaux et de la couleur générale du film, puis il m'a donné carte blanche. C'est une preuve de confiance et pour cela je le remercie.

Quels ont été ces parti-pris musicaux ? Est-ce que certains détails du film vous ont particulièrement inspirés ?

Au départ, Florian voyait son film très "musicalisé", à l'américaine. Il voulait beaucoup de musique, une heure, voire une heure trente ! C'est bien simple, il en voulait presque partout ! J'avais été impressionné à la première vision du film : je l'ai trouvé puissant, subtil dans le propos et dans sa forme, avec cet extraordinaire mélange d'histoire avec un grand "H" et d'histoire avec un petit "h", formidable témoignage sur le système totalitaire de l'ex-RDA et en même temps fable universelle et humaniste, et ce final, cet épilogue magistral qui fait rebondir le film et le fait vibrer jusqu'à la dernière seconde ! Dès les toutes premières minutes j'ai eu conscience des immenses qualités de ce film, qualités qu'il fallait à tout prix éviter d'affadir par une musique omniprésente. Tout résidait donc dans le dosage.

Après tout, pourquoi est-ce que le seul modèle de film à succès devrait être le film de divertissement américain, avec son heure et demie de musique obligatoire ? Nous avions, Florian et moi, des goûts et des références communes en la matière, nous adorions tous les deux les comédies américaines, de CE QUE VEULENT LES FEMMES à FORREST GUMP, mais les nuits blanches que nous passâmes ensemble à cerner le problème firent émerger l'essentiel : ici le propos était autre ! Nous nous mîmes alors à doser, lui accélérant, moi freinant, un peu comme comme dans une voiture d'auto-école à double pédalier... Le résultat est un score d'environ cinquante minutes, ce qui est relativement sobre pour un film de deux heures et quart.

Quel est votre meilleur souvenir de ce travail ? Et le pire ?

Orson Welles avait, parait-il, coutume de dire « le meilleur moment du film, c'est lorsque le chèque est à la banque ». Dans mon cas c'est un peu différent. Mais indubitablement le bonheur d'un réalisateur qui découvre une scène en musique et qui vous lance "c'est fantastique, c'est exactement ça" est un moment gratifiant !

Le pire moment fut la lecture du dossier de presse, particulièrement sur le site du distributeur du film, lorsque sur fond d'une musique de mon cru (!) je découvre que dans l'équipe du film, aux côtés de la lumière, du montage, des décors et des costumes, seul Gabriel Yared est crédité et a droit à une biographie ! A ce moment, je vous assure, on a envie de... D'autant que cette discrimination ne manquera pas d'être relayée partout dans la presse, j'en ai lu quelques prémisses déja. C'est choquant et triste.

Avez-vous effectué un travail spécifique sur la musique pour l'album édité chez Colosseum ? La musique est-elle différente de celle entendue dans le film ?

Non, c'est la même, à l'exception de deux ou trois titres qui sont des montages de différentes musiques et qui parfois incluent des éléments inutilisés dans le film.

Avez-vous eu recours à certaines références pour cette musique tels que des compositeurs classiques ?

Florian avait posé quelques rares musiques temporaires, dont l'ultra-incontournable Adagio de Barber.

En dehors de la composition pour le cinéma, quels sont vos goûts musicaux ?

Eclectiques. De part ma formation, j'ai beaucoup fréquenté la musique occidentale dite savante, de Bach à Dutilleux. J'ai aussi beaucoup écouté la musique de ma génération (et même celle des deux ou trois générations précédentes), de Nat King Cole à Madonna et de Stevie Wonder à AC/DC (entre autres!...). Beaucoup de jazz, j'adore Monk et Mingus et aussi toute la musique de big band avec Ellington et Billy Strayhorn, Count Basie, etc... Je goûte de temps en temps à un délice exotique : Ravi Shankar ou des chants de muezzin ou encore la musique traditionnelle serbe. Que vous citer encore ? La musique est un champ tellement vaste !

Justement, parlez-nous un peu de vous : quel est votre parcours musical ?

Formation classique : violon, puis classes d'écriture au CNSM, harmonie, contrepoint, fugue, orchestration. J'ai toujours composé, même avant de savoir ce que c'était. D'abord de manière intuitive, comme un autodidacte, puis j'ai étudié la technique d'écriture pour pouvoir aller plus loin dans mon travail. Les premières musiques "appliquées" que j'ai composé ont été pour le théatre, il y a une douzaine d'années, puis j'ai "glissé" vers l'image, cinéma et télévision.

Votre musique pour LA VIE DES AUTRES a reçu le prix du festival Musique & Cinéma d'Auxerre lors de la dernière édition : félicitations ! Comment avez-vous réagi à ce prix ?

Par l'étonnement. On ne m'avait pas prévenu ! Ni de la participation, ni du prix ! Je l'ai appris un peu par hasard, par un ami qui se trouvait là pour écouter le concert d’Ennio Morricone... Puis Gabriel a réussi à retrouver le trophée et me l'a fait amicalement porter...

Est-ce que cette récompense a eu des répercussions depuis ?

La seule répercussion notable est l'interrogatoire que je subis invariablement de la part de ma fille aînée - qui a 6 ans - à chacune de ses visites dans mon studio. L'objet, en forme de clé de sol, visiblement l'impressionne... Elle voit probablement en cette sculpture des choses que je ne vois pas !

Quels sont vos projets ?

J'ai lu quelque part à mon sujet que j'étais un compositeur "à suivre, pour l'instant cantonné au téléfilm et à la mini-série de prestige" ou une chose dans ce genre. C'est vrai, j'officie beaucoup pour la télévision. J'ai eu la chance de participer récemment à des projets intéressants avec des partenaires intéressants, et ces collaborations vont se poursuivre alors je suis un homme heureux : je passe le plus clair de mon temps dans mon studio à composer, en parfaite autarcie, non loin des miens... Que demander de plus ?

Entretien réalisé le 20 janvier 2007 par Sylvain Rivaud.


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