Interview B.O : Michel Munz

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Entretien réalisé par Benoit Basirico, Damien Deshayes et Sylvain Rivaud - Publié le 26-11-2005




A l’occasion de la sortie de son film LE CACTUS, Michel Munz nous a reçu dans son domicile parisien, pour évoquer son expérience en tant que scénariste, réalisateur et compositeur. L’auteur de LA VERITÉ SI JE MENS, qui a réalisé AH, SI J’ÉTAIS RICHE ! en 2002 avec son « alter ego » Gérard Bitton, s’était découvert à cette occasion l’envie de composer pour ses propres films. Expérience qu’il reconduit en 2005 avec LE CACTUS, nouvelle comédie créée conjointement avec Gérard Bitton, dont il signe aussi la musique originale.

Cinezik : Avant de se pencher sur votre travail de réalisateur et de compositeur, quel est votre rapport à la musique, à la base, votre parcours ?

Michel Munz : J’ai une formation classique, mes parents m’avaient fait faire du piano, du solfège. J’ai fait du classique au conservatoire de Grenoble, où j’habitais à l’époque. Je me suis intéressé très tôt à la composition, et je voulais jouer les thèmes que j’imaginais à ma prof de conservatoire, qui était une vieille dame très respectée. Elle m’avait dit : « quand tu sauras parfaitement jouer Mozart et Bach, tu me montreras ». Il y avait déjà cette idée qu’il est prétentieux de vouloir composer alors qu’on n’est pas capable d’interpréter. Ça m’a frustré, et en même temps ça m’a donné envie de faire d’autres choses. J’ai fait un groupe de rock au lycée, comme tout un chacun, et j’avais vraiment l’ambition d’être musicien dans un groupe. Déjà, à l’époque, je n’avais pas de matériel, je préférais écrire plutôt que jouer. Je suis venu à Paris après avoir proposé des chansons à un éditeur. Je faisait du droit : j’ai arrêté, et je suis parti faire des maquettes pour eux à Paris. J’ai travaillé avec ceux qui allaient devenir les musiciens de Jonasz, et de Sting. J’ai composé des chansons pour des artistes de variété, puis quelques publicités, avant d’écrire un livre.

A cette époque, vous destiniez-vous à une carrière de musicien, d’écrivain, ou de cinéaste ?

Ça s’est fait l’un après l’autre : j’étais d’abord musicien, j’en vivais. Puis j’ai fait ce bouquin dont j’ai vendu les droits, et on m’a conseillé d’écrire pour la télé, ce que j’ai fait. Ensuite, j’ai écrit LA VÉRITÉ SI JE MENS avec Gérard, et je suis venu au cinéma. J’étais devenu un musicien du dimanche, j’achetais des disques, et je me régalais à écouter des BO, je jouais au piano… mais j’avais un autre métier. Composer, c’est donc un retour inattendu à mes premières amours. Je n’y avait même pas songé avant que nous soyons confrontés, en tant que réalisateurs, à la musique de film sur AH, SI J’ÉTAIS RICHE.

Ce qui nous intrigue, c’est comment vous jonglez avec les casquettes de scénariste, de réalisateur et de compositeur, tout en co-réalisant vos films avec Gérard Bitton ?

Ça s’organise un peu de façon empirique. Pour la musique, je dois beaucoup à mon collaborateur Marc Hillman, qui m’organise les choses. Avec Gérard, le « test » s’est fait sur AH, SI J’ÉTAIS RICHE. Je me suis retrouvé dans une situation où Gérard et moi partageons les choses de manière équitable, en essayant que chacun n’ait pas de pouvoir sur l’autre. Mais la musique étant quelque chose d’essentiel, d’autant plus que le compositeur devient un « auteur » du film, il fallait que la musique soit bonne. Je faisait donc la musique si elle était bonne, pas parce que j’étais co-réalisateur ! Par chance, sur AH, SI J’ÉTAIS RICHE, j’ai trouvé le thème très tôt, pendant les repérages en Italie. Pendant un moment, nous avions envisagé de tourné en Italie (bien que le film ne se soit pas fait là-bas), et nous sommes allé à la Villa Medicis, où il y avait un piano. Je m’y suis installé, et j’ai joué ce thème qui me hantais depuis quelque jours. Il y avait une partie de l’équipe qui était là (quelqu’un de la production, quelqu’un du son…), et ils se sont mis à siffler le thème dans les jours qui ont suivi. J’avais gagné ! Gérard m’a dit qu’il trouverait super que ce thème soit dans le film : il y avait une référence à Nino Rota, on voulait aller dans la comédie italienne, donc ça collait bien. Il n’y a pas eu de contestation du tout, et j’ai pu écrire la musique. Ensuite, je me suis aperçu qu’il y avait quand même un tournage, un montage, et beaucoup de choses qui allaient me tomber dessus, donc j’ai demandé à Marc Hillman, que je connaissais depuis très longtemps (qui est compositeur lui-même), de m’aider à boucler la musique : c’est à dire de réserver un studio, de trouver un arrangeur, etc. Je n’ai pas de matériel, chez moi, donc je compose mes thèmes au piano après les avoir eu en tête. Je n’écris rien tant que le thème ne me reste pas dans le tête. Je perds donc beaucoup de thèmes, mais tant qu’ils ne sont pas intéressants, je ne les écrit pas. Dès lors, il me faut très vite un orchestrateur qui puisse m’aider, et suivre le calendrier du film. Marc me présente alors un jeune garçon, Cyrille Aufort, qui est très jeune mais qui a un talent fou, et une vraie culture cinématographique. C’est très agréable : il connaît beaucoup de BO, beaucoup de compositeurs, et en même temps il sait se mettre dans mon style, et pas dans celui des autres.

Dans ce contexte, vous ne communiquez pas avec un réalisateur, mais avec une partie de vous même ! C’est un processus un peu schizophrénique, entre la partie « réalisateur » et la partie « compositeur »…

Oui, de fait, c’est plus rapide, parce qu’il n’y a pas cette étape-là. Du peu d’expérience que j’ai avec des metteurs en scène, je ne suis pas sûr qu’il y ait beaucoup de metteurs en scène musiciens, qui aient le sens de la musicalité, du tempo, du rythme. D’ailleurs, ça se ressent dans les films, aujourd’hui. Pour moi, la musique était liée au film parce qu’elle ressemblait au montage, où on recherchait le tempo et le ton du film. On évite les effets quand on sait que le thème va déborder de partout ensuite, on essaye de coller au film, voire de le faire décoller quand on s’y attends pas ! Je ne suis pas sûr qu’il y ait beaucoup de compositeurs qui soient vraiment heureux de ce que leur dit un metteur en scène. Peu d’entre eux ont cette compétence, sinon celui de dire « non » ou « oui ». Par exemple, j’ai lu que Howard Shore a été viré de KING KONG : je ne peux pas imaginer qu’il soit allé tout seul dans le mur ! Ça veut bien dire qu’il y a eu un problème de communication avec le metteur en scène, et que celui-ci n’a pas été capable de dire à son compositeur ce qu’il voulait. Et je pense qu’il y en a peu qu’ils le sont. Il y a des priorité à la mise en scène qui font que la musique s’éloigne de leurs préoccupations, alors que c’est essentiel. En tant que scénariste et metteur en scène, je me rends compte parfois que la musique couvre les dialogues. C’est un truc typique chez les metteurs en scène qui ne sont pas musiciens, une sorte de réflexe, de dire : « je ne veux pas de musique ici, pour qu’on entende les mots », surtout quand c’est une comédie. Au contraire, la musique peut renforcer un dialogue, mais le plus souvent, on l’utilise pour remplir les trous.

En tant que réalisateur et compositeur de comédie, en quoi la musique participe, selon vous, au registre de la comédie et du rire ?

Un exemple : dans AH, SI J’ÉTAIS RICHE, le héros (Jean-Pierre Daroussin) a gagné au loto, mais ne le dit pas à sa femme, parce qu’il risquerait le divorce et elle partirait avec la moitié de son gain. Alors, il continue de vivre comme un pauvre. Il va donc chercher du vin de très grande qualité pour le vider dans des bouteilles de mauvais vin, pour ne par montrer à sa femme qu’il boit du bon vin tous les jours. Pendant cette scène, où il transvase le vin, sa femme se fait courtiser tranquillement par Richard Berry : on a donc monté les deux scènes en parallèle, l’une avec l’autre. A ce moment-là, le thème principal apparaît, dans une orchestration assez hollywoodienne, presque de dessin animé. Ça renforce évidemment le côté burlesque de la situation, mais mets aussi de la légèreté dans cette situation assez sordide où sa propre femme couche avec un autre. Le mix des situations des uns et des autres fait que c’est drôle, mais c’est surtout le décalage avec la musique qui libère le rire, parce que les scènes en elles-mêmes ne sont pas si drôles…

Et pour une scène qui est drôle en elle-même, la musique vient-elle se rajouter au rire, ou au contraire être plus en retrait ?

C’est plus compliqué, parce qu’elle ça produit un pléonasme. Quand c’est drôle à l’écran, on est évidemment tenté de faire une partition drôle, mais c’est gênant parce qu’on a l’impression de renforcer un effet. Dans LE CACTUS, il y a une course sur la plage : Patrick (Clovis Cornillac) est très énervé comme Sami, et le poursuit. Il sont épuisés, tombent tout le temps, donc il y a une sorte de valse marrante pour accompagner la scène. On pourrait dire que ça fait doublon avec la situation, mais je dirais plutôt que ça harmonise les choses, que ça rythme la course, même. C’est un cas où on arrive, je pense, à rendre une scène drôle en rajoutant une musique drôle par dessus. Mais c’est compliqué, car sinon on est dans le cartoon.

C’est simplement du « mickeymousing », c’est pourtant la base de la musique de la comédie !

C’est exactement ça. On a fait ça aussi sur AH, SI J’ÉTAIS RICHE, parce que ça nous plaisait avec Gérard, on voulait accompagner les mouvements d’humeur du héros, dès que quelque chose l’énervait, où le rendait méfiant. Par exemple, alors qu’il soupçonne sa femme d’être courtisée par Richard Berry, il va la chercher à son travail, à l’hôpital. Et là, il voit aussi Richard Berry qui vient la chercher : on a donc fait un petit thème rigolo qui dure quelque secondes pour souligner sa contrariété, c’est du mickeymousing ! C’est quelque chose que j’avais repéré dans KISS ME, STUDIP de Billy Wider (film magistral !), avec deux types (l’un est compositeur, l’autre parolier de chansons), qui travaillent dans une station service. Un jour, Dean Martin passe et ils essayent de trafiquer sa voiture pour éviter qu’il reparte, et tenter de lui refiler une chanson. L’un des deux types est super jaloux de sa femme, et dès qu’il sens qu’on lui tourne autour, il y a cet « air de la jalousie » qui apparaît. Je trouvais que ça marchait bien, cet air faussement tragique.

Danny Elfman disait justement, à propos de la musique de comédie, qu’il ne fallait pas renforcer les effets comiques, mais au contraire être très sérieux. Sur LE CACTUS, vous n’avez pas vraiment cette approche, mais vous soulignez plutôt le côté « exotique » de la musique, puisqu’une grande partie du film se déroule en Inde. Il n’y a pas de décalage : est-ce votre regard de réalisateur qui a provoqué cela ? Un autre compositeur n’aurait-il pas davantage joué du contrepoint ?

Je vais me permettre de vous contredire : la musique originale, sur la partie indienne, n’est justement pas originale, elle n’est pas véritablement indienne. Il y a évidemment des influences dans les thèmes, notamment dans la scène où les motos débarquent sur la plage, mais c’est presque une référence au western à ce moment-là. Une autre scène sur la plage se veut plus « zen » que typiquement indienne. Mais au début de leur voyage, quand ils sont dans la gare, la musique originale est occidentale. Je ne voulais ni dans un décalage systématique, ni dans un renforcement de l’image. Quand on aime nos personnages, on essaye de ne pas rire d’eux, mais de s’arrêter à un moment donné pour essayer de comprendre comment ils fonctionnent. Dans ces moments d’émotion, je fais une musique qui renforce ce sentiment. Mais dans AH, SI J’ÉTAIS RICHE, la musique la plus émouvante du film (alors même qu’il y a une histoire d’amour), est pour la séquence où Jean-Pierre Daroussin (le héros), offre une voiture à François Morel, qui vient pleurer dans ses bras tellement il est heureux. Là, j’ai fait du LOVE STORY ! C’est presque du décalage, et en même temps ça vient renforcer au maximum ce moment d’émotion. Mais je ne suis pas systématique dans cette approche-là. D’une certaine manière, Danny Elfman, même s’il compose sérieusement, fait une musique qui renforce énormément l’image, surtout quand il s’agit d’effet féeriques dans les films de Tim Burton. Même s’il le fait de manière distante, il n’est pas vraiment dans le contrepoint.

Dans la comédie, le fait d’amplifier peut créer, justement, l’effet comique, c’est aussi ce que vous avez fait dans LE CACTUS…

Oui, et s’en est pas privé. Il y a eu des moments où ça nous a amusé. Au moment où ils sont paumés dans la gare, on a joué avec le thème, qui apparaît lorsqu’un personnage retrouve l’autre, puis s’arrête dès qu’il le perds à nouveau de vue. Mais c’est plus un problème de tempo : il faut simplement être dans le ton du film.

A propos du ton, la musique varie peu d’un bout à l’autre du film, ça crée une cohérence avec le film… Ne pourrait-on pas se contenter d’un seul morceau qui se répète tout au long du film ?

Je ne sais pas… C’est vrai que des fois, on a la tentation d’accompagner une scène et de partir dans un autre chemin, et de créer un autre thème. Mais Cyrille me disait qu’il fallait que je me calme, qu’on avait besoin de retrouver le thème pour gagner de la cohérence, quitte à aller dans la caricature par moments, où on décline toujours le même thème.

Quelles sont vos références en matière de musique de comédie ?

Sur AH, SI J’ÉTAIS RICHE, c’était vraiment Nino Rota, parce qu’on voulait un ton d’une comédie italienne. Dans l’orchestration, c’était une valse à l’esprit très italien. Il y a beaucoup de compositeurs que j’adore, dont j’aimerais m’inspirer pour faire mes musiques, mais je ne le fais pas. Par exemple, j’aime beaucoup Thomas Newman, je trouve que ce qu’il est fait est vraiment super, mais ce n’est pas moi, je ne fais pas ça. Je parle de la « couleur » de la musique, il ne s’agit de pas de refaire ce que certains font. J’aime aussi beaucoup ce que fait Gabriel Yared…

Est-ce que vous côtoyez d’autres compositeurs français de votre génération ?

Non, pas du tout. Je ne me sens pas vraiment compositeur de musique de film. Si LE CACTUS a du succès, et que la musique plaît, pourquoi pas, mais c’est très compliqué : je suis dans la comédie, c’est pas évident. Quand on a fait LA VÉRITÉ SI JE MENS 1 et 2, par chance, il s’agissait des films français qui ont le mieux marché l’année où ils sont sortis. Mais il ne figuraient pas aux Césars, pas même au titre d’une seule contribution technique, c’est comme si le film n’était pas sorti ! Aucun acteur n’a été nominé... C’est donc compliqué d’être intégré à un certain milieu du cinéma. Mais en plus, je fais la musique de mes propres films… Pour l’instant, c’est très neuf.

Envisageriez-vous d’écrire de la musique pour d’autres réalisateurs ?

Oui, ça m’amuserais ! J’ai l’impression que ce serait plus simple, car la distance aide. Le compositeur est libéré de toute responsabilité sur le film, il ne s’occupe que de la musique, et s’il se fâche avec le metteur en scène, tant pis, il ne fera pas la musique.

Vous ne vous fâchez pas trop souvent avec vous même !

Non, heureusement ! Mais l’intérêt de travailler avec un réalisateur, c’est cette possibilité de conflit, ça peut toujours être constructif. Or, là, il n’y a pas personne, sauf Gérard. Mais Gérard n’est pas musicien : il attends d’être surpris par la musique que j’apporte, et ça lui plaît ou ça lui plaît pas. Au début, il avait des soucis avec le thème du générique du film, qu’on a eu beaucoup de mal à « colorer ». Je savais qu’il ne marcherait qu’avec une orchestration précise, alors qu’un thème, idéalement, fonctionne « nu ». Mais dans le générique du CACTUS, il y a un dessin animé, on joue un truc un peu décalé : je savais la musique qu’il fallait pour ça, mais je n’en trouvais pas la couleur. C’était compliqué de dire à Gérard d’attendre qu’on trouve cette couleur pour un thème qui le branchait pas. Maintenant, je pense qu’il l’aime beaucoup, mais je lui ai forcé la main, je n’étais pas très sûr de moi. Avec un autre metteur en scène, ça aurait été : « non, je suis désolé, il faut trouver autre chose ». Je n’étais pas dans une situation facile parce que j’avais l’impression de profiter de mon statut de co-réalisateur pour placer mon thème.

A côté de ce travail de scénariste, de réalisateur et de compositeur, est-ce vous qui choisissez les musiques non-originales ou chansons entendues dans le film ?

Absolument. C’est aussi le travail que je demande à Marc. Dans LE CACTUS, il y a une chanson qui s’appelle « Perfect Day » de Harry Nilson, que j’avais repéré dans ALL THAT JAZZ de Bob Fosse, qu’on entendait au fond d’une scène, je la trouvais superbe. Dans notre film, elle marche très bien. C’est la première chanson que j’ai trouvé. En revanche, Marc m’a beaucoup aidé pour les chansons indiennes qui sont dans le film, puisqu’il avait fait un travail de présélection : c’est comme ça qu’il a trouvé « Baari Barsi », la chanson la plus importante du film, après s’être tapé des tonnes de disques… Notre idée, ce n’était pas de faire du « Bollywood », et encore moins de la musique folklorique indienne, mais plutôt de trouver de bonnes chansons. On est très contents de la BO pour ça, on est aller chercher de supers titres dans plein de catalogues différents, d’Inde mais aussi du Pakistan, et même en France, auprès d’un musicien Indien parisien… On ne voulait pas de la musique indienne complaisante, comme souvent dans les films exotiques.

Vous êtes allé en Inde pour faire des repérages : comment vous êtes-vous imprégné de la musique indienne, comment l’avez-vous digéré ? Avez-vous ramené des Cds ?

Oui, j’en ai ramené plein, dont un certain nombre qu’on a pas retenus, d’ailleurs. Quand on arrive avec des oreilles occidentales, il y a plein de musiques qui nous fascinent, et on a envie de les ramener à Paris pour les faire écouter aux gens. Mais la musique traditionnelle, c’est souvent des ragga de 25 minutes, il faut être dans une certaine ambiance pour l’apprécier. C’est une musique qui nous dépasse, qui va au-delà de notre configuration acoustique, puisque les gens de là-bas entendent beaucoup plus de notes que nous… Dans le tempo aussi, il y a parfois des choses très difficiles à appréhender. Il a aussi la variété indienne, qui marche très bien là-bas, mais j’avais l’impression que mettre ça dans notre film, c’était comme si quelqu’un faisait un film en France et mettait un titre de Frédéric François (bien que je n’ai rien contre lui !), c’est trop « cliché ». On a essayé de trouver des choses qui fassent le « pont », sans tomber dans la facilité de la « World Music », où on fait de la musique indienne avec un synthé. Ça, ça ne nous intéressait pas. On a fonctionné sur le goût : « tiens, ça c’est sympa, ça colle à l’image ». Il y a un côté magique quand une musique colle à l’image parfaitement.

C’est un travail sur la musique de source, qui accompagne les images dans le film. Ce n’est pas une musique qui a le même rôle que celle que vous composez…

Non, on l’utilise de la même façon. Les deux sont un accompagnement. Dès qu’il y a une chanson, il y a un effet de « clip » immédiat. D’ailleurs, on a eu quelques conflits (c’était plutôt sympa !), mais on l’a fait parce qu’on avait pas encore de musique originale : sur une scène, on a gardé une chanson qui devait être remplacée par ma musique. Cette chanson temporaire a tellement marché qu’on a eu du mal à mettre la musique originale, qui pourtant était mieux orchestrée, plus belle, plus forte, plus émouvante. On s’était presque habitué à la chanson, ça nous paraissait trop compliqué de changer de registre émotionnel en mettant une autre musique à cet endroit-là. Donc on a laissé tombé la musique originale. Je ne le regrette pas, parce que ça marche très bien comme ça, mais je regrette que cette musique n’ait pas eu sa chance avant : au final on se retrouve avec un passage orchestral pour rien, puisqu’il n’était pas question de le placer ailleurs. Ça nous ait arrivé une deuxième fois sur LE CACTUS : à la fin, pour la retrouvaille amoureuse, il y a la chanson « Perfect Day » qui revient, en faisant référence à la première fois où on l’entends. Ça marchait très bien. Plus tard, j’ai composé une musique pour ce passage, Cyrille l’a orchestré, mais on s’est aperçu que d’une certaine façon, la chanson était plus ironique que la musique, et on aimait bien ça.

Comment se déroule l’étape du montage ? En tant que compositeur, avez-vous des compromis à faire, face à des choix de montage et de réalisation ?

C’est très complémentaire. La musique aide beaucoup au montage, et inversement. Le montage influençait même la musique, parfois. Ça ne faisait qu’améliorer le montage. L’avantage d’être à la fois présent au montage et à la musique permet d’être très rapide et réactif pour ça : je pouvait, le soir, écrire la musique pour les images qu’on avait monté, organiser une maquette avec Cyrille, ramener la musique le lendemain, et continuer le montage en fonction. C’est un avantage extraordinaire que nous avons eu, qui nous est un peu spécifique. Les retours entre un compositeur et un metteur en scène sont lents, et parfois difficiles. Là, on a bénéficié d’une rapidité folle, ça nous a tous aidé.

Ensuite, il y a l’édition CD de vos musiques. Est-ce que vous supervisez aussi cela de prêt ? Envisagez-vous votre musique comme une œuvre à part entière ?

En ce qui concerne la musique dans le film, je suis encore un peu frustré du manque de temps accordé à la musique. Si j’ai l’occasion d’en faire d’autres, je m’y consacrerai davantage. Comme la musique arrive à la fin de la production, il n’y a presque plus de budget pour ça, on manque toujours de moyens. D’autant plus que je ne m’attendais pas à une musique symphonique sur ce film, je pensais utiliser beaucoup d’éléments de musique indienne. Mais en voyant les images qu’on avait tourné, qu’il y avait un côté épique dans cette aventure, je me suis dit qu’il fallait de l’orchestre. On a donc été très juste en budget pour la musique, et du coup le temps alloué à l’orchestre a été réduit. Maintenant, je me rends compte qu’on avait peut-être des thèmes qui auraient supporté d’être arrangés plus longuement pour le disque. Mais c’était trop juste. C’est un type d’organisation qu’on a pas, en France, on ne pense pas à la musique en amont. J’avoue que j’ai pas pensé au CD, j’ai plutôt pensé au film, et aux chansons. Tout le monde aimait bien « Baari Barsi », on a donc envisagé que ça pouvait devenir un « hit » ! Mais si le disque avait été envisagé plus tôt, avec un soutien financier conséquent, il est évident qu’on aurait fait les choses différemment.

Dans quelles conditions avez-vous enregistré, avec quel orchestre ?

Avec les solistes de l’Opéra de Paris. C’était une belle formation orchestrale, d’une trentaine de musiciens. On savait précisément combien de temps on avait besoin de musique orchestrale pour le film, donc on a organisé les choses du mieux possible. On aurait sûrement envisagé les choses autrement si on avait pensé au disque…

Penser à la musique en amont, ce n’est pas à la portée de tous les films. Philippe Rombi a eu cette occasion sur JOYEUX NOËL car la musique a beaucoup d’importance dans l’histoire, mais c’est une exception…

Non, je pense que à part dans le cas où on est confronté à des réalisateurs « sourds » qui se foutent de la musique, on pourrait, dans la plupart des films d’aujourd’hui, envisager la création de la musique à l’avance, comme pour une comédie musicale, ou comme pour JOYEUX NOËL. Par exemple, sur MAGNOLIA, si le metteur en scène avait été « sourd », je n’aurais pas été aussi marqué par cette musique, qui est totalement inattendue. A la base de la création du film, personne n’envisage la musique, à part pour une comédie musicale !

Mais ce n’est pas vraiment votre cas, puisque si vous vous êtes « découvert » compositeur de musique de film sur AH, SI J’ÉTAIS RICHE, sur LE CACTUS vous avez écrit le scénario tout en sachant que vous feriez la musique. Avez-vous, dès l’étape du scénario, pensé à la musique ?

Non, pas du tout. Mais je vais y penser plus sérieusement, maintenant ! Mais j’avoue qu’après avoir été metteur en scène et compositeur de film, on essaie d’oublier tout ça en tant que scénariste, parce que sinon on écrit pas de scènes de nuit dehors dans le froid, pour éviter de les tourner ! Alors on écrirait que des scènes qui se passent l’été… Il y a un vrai problème à l’étape de l’écriture quand on est conscient de la mise en scène et de la musique, c’est qu’on écrit en fonction de ces paramètres, et il ne le faut surtout pas. Donc j’écris mon histoire du mieux possible.

C’est une sorte de défi, d’ignorer volontairement les étapes suivantes ?

Oui, et c’est comme ça qu’on fait des choses intéressantes, parce que ça nous amène à faire des choses qu’on ne se soupçonnerait pas pouvoir faire. Pour la musique, c’est pareil : je me suis retrouvé avec une comédie en Inde, alors que ce n’était pas du tout ma culture musicale. C’est là que c’est intéressant.

Certains auteurs aiment se nourrir d’une musique à l’écriture de leur scénario. Est-ce votre cas ?

Je connais effectivement des scénaristes qui ne peuvent écrire qu’en musique. Mais j’ai peur qu’en écrivant une scène drôle je dérive vers quelques chose de faux si la musique que j’écoute est trop sombre ! On a tendance a être influencé, et je ne le voulais pas. J’ai reporté le moment où je devrais m’atteler moi-même à la musique, mais je crois que ça m’aurait évité pas mal de stress si j’avais eu la musique plus tôt !

A propos du temp track, n’avez-vous pas eu l’envie ou le besoin de monter une musique temporaire sur le montage avant l’écriture de la musique originale ?

Ça m’est arrivé sur les deux chansons qui sont restées dans le film, au détriment de la musique originale que j’avais composé pour ces scènes-là. C’est un problème qui vient du fait qu’on n’anticipe pas assez la musique à la base. Il y a toujours cette tentation de mettre de la musique temporaire au montage pour voir comment ça se passe. Tant mieux quand elle sont bonnes, mais c’est un risque, une facilité.

Parlez-nous de votre collaboration avec Marc Hillman, votre consultant musical : quelle influence a-t-il sur vos compositions ?

Il a un enthousiasme rassurant, c’est agréable de travailler avec lui. Sur LE CACTUS, j’ai mis du temps à me mettre à la musique. Il m’a beaucoup aidé, ça rends les choses plus simples. Il était très impliqué artistiquement sur la musique originale et la musique additionnelle. Il a sûrement davantage pensé au CD que moi, d’ailleurs.

 

Entretien réalisé par Benoit Basirico, Damien Deshayes et Sylvain Rivaud

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