Interview B.O : Louis Sclavis

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Entretien réalisé le 12 juin 2006 à Paris par Benoit Basirico - Publié le 12-06-2006




Il apprend la clarinette en 1962 d'abord dans une harmonie de quartier puis au conservatoire de Lyon. De 1975 à 1988, il joue avec le Workshop de Lyon, le Marvelous Band et la Marmite Infernale. Il rencontre Didier Levallet, Michel Portal, Bernard Lubat, Henri Texier. Depuis 1980, il est le compositeur de théâtre pour Christiane Véricel, pour le metteur en scène Jean-Louis Martinelli, les cinéastes Jean-Louis Comolli et Bertrand Tavernier.

Parlez-nous de votre collaboration avec Bertrand Tavernier...

Lorsque je fais de la musique pour le cinéma, c'est tout sauf du jazz. Il y a toute une histoire du Jazz au cinéma, de Cassavetes avec SHADOWS à Miles Davis, mais en ce qui me concerne, je suis avant tout un musicien qui compose pour le cinéma des musiques rarement improvisées, des musiques diverses.. Et pour Tavernier qui me connaissait en tant que jazzman, ce qui l'a intéressé ce sont mes capacités à composer des musiques populaires. Pour CA COMMENCE AUJOURD'HUI qui se déroule dans une école dans un milieu populaire du Nord de la France, il avait besoin de cette sensibilité, de chansons et d'airs populaires. Il fallait aussi que je compose pour la fanfare présente dans le film. Il ne m'a pas demandé une thématique précise mais un certain son, non pas quelque chose de symphonique mais avec l'utilisation de cuivres et d'un accordéon... J'ai essayé d'être entre une musique de chambre qui peut basculer sur une musique populaire. On a un rapport de confiance et de passion, et on travaille un an sur le film. Il y a plusieurs stades dans l'élaboration de la musique, il donne plusieurs pistes, il a une grande connaissance cinématographique, il peut faire référence à un type de musique de film, il donne une direction mais en me laissant totalement libre.

Quelle peut être votre particularité en tant que compositeur venant du jazz par rapport aux autres compositeurs de cinéma ?

Ma particularité est simplement une carence, la simplicité, car j'aurais bien du mal à composer pour un orchestre symphonique. Pour la synchro à l'image, le timing exige parfois de jouer à l'image, ce qui rejoint une certaine improvisation qui m'est familière. Mais je n'ai pas de méthodes. Je suis un compositeur de musique de film iconoclaste, contrairement à d'autres dont c'est le seul métier et à qui on ne demande qu'un type de musique. Moi, c'est différent, les gens qui s'adressent à moi ont aussi une particularité comme Jean Louis Comolli. Tavernier me demande la musique d'un film de fiction qui est aussi du reportage quelque part. Je compose beaucoup pour des documentaires et il y a une différence entre composer pour le doc. et la fiction. Pour le documentaire, on est plus libre musicalement, la musique a plus d'importance, et finalement les gens sont plus impliqués, et s'ils nous demandent la musique c'est parce qu'elle a un réel besoin. Par contre, je ne travaille pas pour des docu genre les « châteaux de la Loire vus d'hélicoptère », ou des documentaires sophistiqués avec de grandes nappes de synthé.

Cependant, j'aimerais composer pour des films animaliers, j'aurais aimé composer pour Cousteau, car on a bien souvent affaire au même genre de musique pour ce genre de film... Cela pourrait être bien plus violent, retrouver la verve des films de Jean Rouch tel LA CHASSE AU LION. Aujourd'hui, il y a un verni. Il y a une forme aseptisée de ce genre de documentaire. Je travaille davantage avec des gens hors des circuits.

Où se situe votre personnalité dans une musique au service d'un film ?

Ce qui m'intéresse quand je travaille sur un film c'est de me dire comment je peux servir le film. Je ne pense pas à faire quelque chose de personnel. Je n'ai pas de frustration là-dessus car je fais de la scène en dehors. Quand je fais un film je n'ai pas d' ego . Je travaille souvent avec les monteuses qui savent ce qui est bien pour le film. J'aime bien ce travail de labo. Le montage me touche dans les films. J'aime sentir les coups de ciseaux dans la pellicule.

Je cherche par ailleurs des petites idées musicales sur les timbres et sonorités inédites. Quand j'ai travaillé avec Mathilde Monnier sur l'autisme (BRUIT BLANC : AUTOUR DE MARIE-FRANCE), je me suis dit qu'il ne fallait pas de mélodies, d'expressionnisme, mais une musique minérale, et petit à petit j'ai trouvé des sons, des matières. En général je travaille sur des thématiques et des mélodies, mais là j'ai axé mon travail complètement ailleurs. Puis sur le documentaire sur l'artiste Jean Tinguely (LE MONSTRE DANS LA FORET, HISTOIRE DU CYCLOPE DE JEAN TINGUELY), j'ai crée un monde colombien, la musique émane de la sculpture, de la forêt. Il ne fallait pas imiter le son des machines de Tinguely, mais inventer un son qui sortirait de cela. Une musique concrète et primitive. J'ai plus travaillé sur le son que sur la thématique.

Et votre travail sur le film muet de Charles Vanel DANS LA NUIT...

Là c'est encore autre chose car la musique est présente tout le long du film, elle est le dialogue, le son d'ambiance, l'odeur, la couleur, le bruitage... La musique est tout cela à la fois. Elle est même parfois hors du film pour y revenir et coller à la pellicule. Cette musique est très composée, même si la jouer sur le film en ciné concert peut tromper. Lorsqu'on joue devant la projection du film nous sommes presque dans une situation de concert. On est à la fois au cinéma et en concert. Un aller-retour qui permet de revoir le film différemment. J'aime bien cela. Le plaisir d'interpréter est présent même si cela demande beaucoup de concentration contrairement à des concerts improvisés.

Sur DADDY NOSTALGIE de Tavernier vous n'étiez qu'interprète...

Oui car c'est Antoine Duhamel qui a composé la musique. Je le connais depuis 1971. Ce fut une envie commune que je puisse jouer sa musique.

Et pour HOLY LOLA, vous jouez la musique de Henri Texier...

C'est intéressant avec Tavernier car il est très fidèle, aime ses musiciens et m'avait suite à CA COMMENCE AUJOURD'HUI demandé de faire la musique de celui-ci. Mais j'ai préféré demander à Henri de la faire. Tavernier a quand même exigé que je fasse partie de l'équipe. J'ai donc été présent aux séances d'enregistrement.

Vous êtes présent aussi au générique de KADOSH de Amos Gitai.. .

Je n'ai pas composé pour cette musique mais Amos Gitai a pris un morceau que j'avais déjà composé intitulé "mariage", assez long, et l'a très bien utilisé, j'ai redécouvert ma musique. Toute la première scène du film est montée intégralement sur ma musique qui est ainsi sublimée par le travail du cinéaste. Puis ce thème revient de manière récurrente, toujours le même, très présent. C'est une manière systématique et implacable d'utiliser une musique dans un film, et j'aime bien ça. On a cela dans BARRY LYNDON, où il n'y a que trois thèmes seulement qui reviennent et c'est à chaque fois une claque.

De nos jours, il n'y a plus trop de Jazz au cinéma...

Je m'en fous de ça, je n'ai pas l'étendard du jazz au-dessus de la tête. Ce qui me manque davantage c'est cette relation profonde entre un réalisateur et son compositeur car cela donne lieu à de grands moments de cinéma. Il y en a encore aujourd'hui, comme David Lynch avec Badalamenti, on a là encore un rapport à l'ancienne, comme Fellini avec Nino Rota, ils font le film ensemble. Mais moi je ne suis pas uniquement compositeur de film, mais aussi pour la scène, le théâtre, la danse, donc on ne me demande pas énormément de travail pour le cinéma. Je ne suis pas dans le sérail. Je suis toujours un peu dans la marge. J'aime bien composer pour le cinéma ou le théâtre car c'est plaisant.

Vos projets…

Je viens de terminer la musique pour un film de Jean-Pierre Sinapi, pour France 2, puis sur des documentaires en tournage... Mais je n'ai pas encore de projets à Hollywood, peut-être qu'un jour ils me contacteront pour un solo de clarinette (rires).. Il y a Jane Campion qui m'avait contacté pour son dernier film, IN THE CUT. Mais si on me propose une grosse affaire, je refuserais car il faut être dispo 24h sur 24h. Quand on dit « oui » au cinéma, on est corvéable à merci. On ne peut pas faire cela à moitié. Je n'ai pas le savoir-faire pour enchaîner efficacement les projets pour le cinéma.

Economiquement, qu'est ce qui se vend le mieux, la musique de film ou le jazz ?

Les musiques de jazz sont des Porsches, le cinéma est une Ferrari. De toute façon, l'un comme l'autre, les disques ne se vendent plus. Ce qui peut marcher ce sont les droits d'auteurs lorsqu'un morceau est employé dans une pub. D'ailleurs, EDF a voulu acheter un morceau de CA COMMENCE AUJOURD'HUI pour une pub, et je n'ai pas voulu parce que j'ai fait cette musique dans un contexte particulier, sur un film au sujet populaire très fort, et ça ne me plaisait pas que ça se retrouve dans une musique de pub. Sans doute que j'ai perdu beaucoup d'argent, mais on se fait sa petite éthique personnelle. Si j'avais été sans le sou, peut-être que mon éthique aurait été oubliée. On m'a aussi proposé de faire une pub pour Peugeot, mais là il fallait que je montre mon visage... Il y a quelque chose là qui ne colle pas avec mon métier.

Entretien réalisé le 12 juin 2006 à Paris par Benoit Basirico

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