Zodiac (David Shire), un Hommage aux Années 70

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par Quentin Billard

- Publié le 01-01-2007




David Shire retranscrit l'atmosphère froide et sombre du film de David Fincher avec une partition mélangent atonalité, polytonalité et parfois même éléments de musique sérielle, dans un style musical avant-gardiste proche des grandes musiques thriller des années 70.

A l'origine, David Fincher ne souhaitait pas utiliser de musique originale pour Zodiac. Comme son film se déroule sur plusieurs décennies, il ne voulait utiliser que de la "source music" de l'époque. Mais après avoir contacté le compositeur vétéran David Shire, le réalisateur décida finalement d'inclure une quarantaine de minutes de musique originale dans son film afin de booster certaines séquences. David Shire s'est fait très discret au cours des années 90, alors qu'il fut un temps où le musicien travaillait pourtant activement au cinéma hollywoodien, en particulier durant les années 70 et 80. Shire s'est d'ailleurs fait un nom en signant la musique de quelques thrillers « seventies » de renom comme The Conversation (1974), The Taking of Pelham 1 2 3 (1974) ou bien encore All The President's Men (1976).

Avec Zodiac, Shire a enfin l'occasion d'écrire à nouveau la musique d'un thriller ambitieux en nous livrant une partition à suspense dans la lignée de ses grandes musiques de polar des années 70. Les directives de David Fincher étaient sans ambiguïtés dès le début : il fallait absolument éviter tout aspect mélodique et empathique qui aurait nuit à l'ambiance réaliste et froide du film. Shire devait donc opter pour une approche plus minimaliste et mélodiquement très restreinte. Pour se faire, le compositeur utilise un orchestre à cordes avec une trompette aux sonorités jazzy, un cor et deux guitares, sans oublier le piano, instrument soliste principal de la partition de Zodiac, interprété par David Shire lui-même. Afin de retranscrire l'atmosphère froide et sombre du film de David Fincher, Shire a décidé d'utiliser un style harmonique plus complexe et tourmenté, basé sur un mélange entre atonalité, polytonalité et parfois même éléments de musique sérielle. De mémoire, on avait rarement entendu une musique thriller aussi ‘rétro', alors que la plupart des musiques à suspense d'aujourd'hui utilisent majoritairement les synthétiseurs et les effets sonores artificiels. Dans Zodiac, point de synthétiseur en vue. David Shire se replonge dans un style musical avant-gardiste plus proche des grandes musiques thriller des années 70. Ainsi, le ton est de suite donné dans ‘Aftermath', premier morceau à évoquer dans le film les méfaits du Zodiac. Pour cela, Shire utilise un canevas de cordes sombres sur des harmonies pesantes et noires – on découvre très rapidement ici des éléments de polytonalité dans la façon dont le compositeur construit ses différents accords. A noter l'intrusion d'une trompette aux accents vaguement jazzy, qui évoque l'univers des films noirs/polar à l'ancienne façon années 40/50 (un peu comme dans le L.A. Confidential de Jerry Goldsmith). ‘Aftermath' s'avère être une belle entrée en la matière, avec son ton résolument noir, pesant et pessimiste.

Le score de Zodiac mise essentiellement sur le caractère atmosphérique de la musique, comme le confirme ‘Graysmith', qui introduit le thème de Robert Graysmith joué au piano par le compositeur lui-même. On est frappé ici aussi par la noirceur de la musique, qui, bien que très retenue, conserve malgré tout une certaine tension sous-jacente révélant l'ampleur de l'affaire du Zodiac et combien cette enquête difficile a pu affecter Graysmith et son entourage. ‘Law & Disorder' développe quand à lui l'atmosphère harmonique sombre du début avec des cordes lugubres et tendues qui maintiennent un certain sentiment de gravité à l'écran. La musique conserve néanmoins systématiquement une certaine retenue assez impressionnante à l'écran. A noter que ‘Law & Disorder' rappelle par moment certains passages du The Thing d'Ennio Morricone, duquel on retrouve quelques couleurs harmoniques/sonores vaguement similaires (idem pour ‘Dare to Dream' et ‘Are You Done?' qui rappellent beaucoup certains passages orchestraux de The Thing par moment).

Shire a toujours eu une facette très européenne d'esprit dans sa façon d'écrire, et sa musique pour Zodiac le confirme amplement. On pourra aussi chercher ici du côté des musiciens avant-gardistes des Etats-Unis, tels que Charles Ives pour le caractère chaotique de certains passages de ‘Law & Disorder' (scène où le Zodiac commet deux nouveaux assassinats), ou John Adams pour le côté répétitif et résolument moderne de l'écriture des cordes dans l'intéressant ‘Graysmith Obsessed'. Ce dernier semble véritablement surgir d'une musique de film des années 70 tant le classicisme d'écriture des cordes (alternant jeu avec l'archet et pizzicati) paraît très rétro pour un thriller de 2007. Bonne nouvelle, Hollywood n'a pas encore tiré définitivement un trait sur la musique du passé et confirme que certains réalisateurs de talent comme David Fincher ont encore le courage d'imposer une musique puisant dans le passé pour leur film. ‘Graysmith Obsessed' accompagne une séquence où Graysmith réunit des preuves et des documents sur le Zodiac. Shire illustre ici l'obsession du personnage à travers un véritable dialogue entêtant entre les cordes et un piano martelé de façon rythmique à la façon d'un Béla Bartok. Manifestement, le compositeur s'inspire ici de la musique savante du 20ème siècle pour en tirer le meilleur sur Zodiac (David Shire cite même Bernard Herrmann parmi ses sources d'inspiration sur la musique du film de Fincher).

On notera l'utilisation plus étonnante de deux guitares au début de ‘Trailer Park' qui maintient une certaine tension au cours d'une scène d'enquête sur les nouveaux méfaits de l'insaisissable serial-killer, sur fond de cordes dissonantes impressionnantes et toutes en retenue. Dans le livret de l'album du score, David Shire explique que l'idée principale de sa partition pour Zodiac était d'utiliser de construire des harmonies à base d'accords non résolus – à la manière de la célèbre progression harmonique du non moins célèbre Prélude de ‘Tristan & Isolde' de Richard Wagner. Ici, Shire utilise de la dissonance "contrôlée" pour accentuer à l'écran la tension liée aux méfaits du Zodiac et à la quête de Avery, Toschi et Graysmith, qui finit par virer à l'obsession la plus totale. ‘Avery & Graysmith, Toschi & Armstrong' confirme d'ailleurs cette orientation clairement psychologique et retenue de la musique de David Shire avec des cordes sombres, dissonantes et mélancoliques dans l'âme. On retrouve ici quelques bribes du thème de Graysmith joué au piano sur fond de cordes ambiguës et tourmentées. L'utilisation du piano est d'ailleurs très proche ici du style de The Conversation de David Shire (1974), score qui a servi de temp-track principal au film de David Fincher. Mais fort heureusement, le compositeur comme le réalisateur ne souhaitaient pas faire un simple décalque de cette musique, ce qui a permit à Shire de repartir sur du neuf à partir d'un style qu'il maîtrisait déjà.

L'intrigue avance avec ‘Closer & Closer' lorsque Graysmith réunit de nouvelles preuves qui le rapprochent de l'identité du tueur. On retrouve ici une écriture de cordes/piano plus fugace, dynamique et classique, proche de ‘Graysmith Obsessed', avec toujours ce ton sombre et cette tension sous-jacente dans les harmonies complexes de la musique. ‘Confrontation' reprend la trompette jazzy mélancolique du début avec des cordes résolument sombres, amères et pesantes, sans oublier ici l'utilisation d'un cor sur fond de cordes dissonantes associées au redoutable Zodiac. Enfin, en guise de bonus, l'album inclut une superbe reprise du ‘Graysmith's Theme' pour piano solo (l'écriture classique du piano impose forcément ici un grand respect pour la musique de l'un des derniers grands vétérans d'Hollywood encore en vie), et un thème non utilisé, le ‘Toschi's Theme', joué lui aussi au piano et qui devait être associé à l'origine dans le film au personnage de Mark Ruffalo.

Malgré le peu de musique écrite pour le film (à peine une quarantaine de minutes sur 2h30 !), le score de Zodiac impressionne par son classicisme d'écriture et son côté savant, une musique de thriller rétro comme on en avait plus entendue depuis des décennies à Hollywood. David Shire s'inspire ici du style de ses musiques à suspense des années 70 en puisant dans le langage musical savant du 20ème siècle, celui de John Adams, Bernard Herrmann, Charles Ives ou bien encore Arnold Schoenberg pour l'utilisation de quelques éléments de techniques sérielles, éléments que le compositeur avait déjà utilisé dans sa partition pour The Taking of Pelham 1 2 3 en 1974. La musique de Zodiac retranscrit parfaitement à l'écran la crainte inspirée par le tueur fou, l'atmosphère de mystère et d'obsession liée à l'enquête que mènent les trois protagonistes principaux du film. Malgré le peu de musique originale écrite par le compositeur et malgré son côté très retenue et en apparence peu passionnant, la musique de David Shire grandit malgré tout au fil des écoutes et finit par hanter l'esprit de l'auditeur qui peut enfin s'en imprégner plus efficacement hors des images du film, constituant une écoute solide à la manière d'une grande pièce classique en plusieurs mouvements. Bonne nouvelle, on peut encore entendre des musiques savantes à l'ancienne sur des films hollywoodiens de 2007 ! Alors même si le score de Zodiac risque fort de passer inaperçu à cause de son côté volontairement peu mélodique et son manque de morceaux palpitants et rythmés, jetez une oreille attentive sur le nouvel opus à suspense de David Shire, qui s'offre carrément ici le luxe de ressusciter son style musical des thrillers des années 70 !

par Quentin Billard


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