Interview B.O : Bruno Coulais, LA CLEF DES SONGES (2011)

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Interview réalisée à Paris le 30 novembre 2011 par Benoit Basirico - Publié le 21-12-2011




Bruno Coulais retrouve une troisième fois Marie Perennou et Claude Nuridsany, quinze ans après MICROCOSMOS : LE PEUPLE DE L'HERBE (1996) et sept ans après GENESIS (2004), avec une partition subtile comme du velours, participant à ce poème champêtre. Nosfell y interprête 5 titres (dont les génériques début et fin), et la petite Lindsey Henocq y fredonne la comptine.

Cinezik : Que représente pour vous cette collaboration avec Marie Perennou et Claude Nuridsany ?

Bruno Coulais : Ils ont une façon de filmer la nature qui est totalement fictionnelle, ce n'est pas un cinéma figuratif. Un étang, une mare ou un sous bois ne sont pas filmés comme dans un documentaire. C'est un film fantastique qui fait appel à l'imaginaire. Il est amusant avec la musique de jouer avec ça, d'embarquer encore plus loin le film dans la dimension du conte. C'est une coopération très libre. Ils sont savants musicalement, ils connaissent très bien la musique contemporaine, mais comme Alain Corneau, ils ne m'écrasent pas de références. Sur LA CLE DE CHAMPS, j'ai fait très vite des maquettes, j'ai même enregistré des sons et des bruits que j'ai mélangé, j'avais aussi très tôt la bande son du film. Je construisais la musique en fonction. Et Jean Goudier, le créateur des sons, faisait aussi ses sons en fonction de ma musique. Les échanges étaient très harmonieux. C'est un peu comme les comédies musicales, quand la musique et le chant stoppent pour laisser place à la réalité. C'est intéressant de voir comment la musique se fond dans les sons, elle prolonge l'univers sonore, puis lorsqu'elle s'en va, l'univers sonore prend le dessus. Idéalement, on ne doit pas se rendre compte de l'entrée et sortie des musiques. On a fait un travail dés le montage. J'ai beaucoup travaillé avec Joële Van Effenterre, la monteuse. Le film a même pu se monter sur ce que j'ai fait, c'est à dire la vraie musique du film.

Quelle importance a le travail de Didier Lizé, l'ingénieur du son décédé en août 2011, sur ce film, mais aussi plus largement lors de vos diverses collaborations ?

B.C : J'ai eu la chance de travailler sur tous les films de Marie et Claude avec Didier Lizé, malheureusement tragiquement disparu. Didier était un passeur entre le monde de la musique et le monde du cinéma. Il a très vite compris que mixer une musique de film, ce n'est pas seulement être au service de la musique mais faire en sorte que cela fonctionne sur le film. Je ne peux pas voir ma collaboration avec Claude et Marie sans penser à Didier Lizé, d'autant plus que LA CLE DES CHAMPS est le dernier film qu'on a fait ensemble, et sur lequel il a amené une patte incroyable.

Dans LA CLE DES CHAMPS, on pense beaucoup à la séquence de LA NUIT DU CHASSEUR (de Charles Laughton, 1955), lorsque la petite fille en second plan chante une comptine sur une barque... et on aperçoit au premier plan une grenouille et une toile d'araignée...

B.C :
 J'ai toujours pensé à LA NUIT DU CHASSEUR en voyant les films de Claude et Marie, qui est pour moi le modèle absolu. C'est le rêve pour un musicien, avec très peu de paroles. La mare de LA CLE DES CHAMPS peut amener une étrangeté, comme dans un cauchemar. Dans LA NUIT DU CHASSEUR, on est dans une course poursuite terrifiante, et tout d'un coup le metteur en scène arrête l'action, et le chant de cette petite fille prend le relai, on arrête tout. C'est un peu comme un gros plan sur l'état où en sont les personnages. La narration est arrêtée, on ne sais plus ce que devient cette poursuite, les enfants sont dans la barque, dans cette nature inquiétante, et là on est de plein-pied dans le cinéma. On se moque de l'histoire. Il y a une poésie qui provient de choses implicites. Dans LA CLE DES CHAMPS, il y a cela. Lorsque les enfants se rapprochent de cette mare, il y a quelque chose d'envoutant qui respire le cinéma, parce que chaque spectateur peut amener son propre scénario. Avec la musique, j'essaie de ne pas trop donner de pistes et de quitter le réalisme.

Comment a été enregistrée cette comptine justement, interprétée par la petite Lindsey Henocq ?

B.C : Les réalisateurs avaient enregistré une chanson en direct sur le tournage, et il fallait donc ensuite refaire une mélodie en suivant les mouvements de lèvres de la petite fille. On a gardé le même texte, le même tempo, mais c'était un casse tête de resynchroniser avec la nouvelle musique. Il y a aussi beaucoup de voix par ailleurs. J'ai adoré travailler avec le chanteur Nosfell qui travaille sur des langues inventées. J'adore sa voix qui ne donne pas de sens aux images qu'elle illustre, mais malgré tout il y a une logique de la langue, Nosfell fait sa propre interprétation. 
La voix devient un instrument, avec sa manière de monter dans les aiguës ou descendre dans les graves.

Comment votre musique accompagne les animaux que l'on aperçoit ?

B.C : Malgré moi je peux tomber dans l'anthropomorphisme, mais j'essaie au maximum de l'éviter. Pour LE PEUPLE MIGRATEUR, j'avais fait des rythmiques d'ailes pour illustrer le vol des oiseaux. Pour LA CLE DES CHAMPS, il n'y a eu aucune tentative de coller à l'animal. Il y a en revanche un rapport de densité. On ne peut pas écraser ces petits animaux avec de trop grosses orchestrations. La musique de LA CLE DES CHAMPS est une musique à l'échelle de l'infiniment petit, avec un grand orchestre à cordes dont toutes les nuances étaient douces. On ne voulait pas que ce soit théâtral, il fallait que la densité de la musique soit légère. Le film imposait à la musique de rester à hauteur d'enfant.

Quel a été le choix des instruments ?

B.C : Il y a beaucoup de percussions, des jouets d'enfant intégrés comme des instruments à part entière, des rhombes que j'avais déjà utilisé pour MICROCOSMOS, ce sont des planches en bois accrochées à des ficelles que l'on fait tournoyer, et le quatuor à cordes enregistré en Bulgarie qui donne un sentiment jubilatoire de danse, un grand ensemble de cordes, et quelques bois (flute, hautbois, cor anglais, clarinette), sans oublier les voix. J'ai enregistré les bois à Paris car on a les meilleurs musiciens au monde.

 

 

 

Interview réalisée à Paris le 30 novembre 2011 par Benoit Basirico

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