Interview BO : Antoine Glatard (Chef d'orchestre et compositeur) a reçu le Prix Cinezik à l’OST Challenge 2023

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Propos recueillis par Benoit Basirico

- Publié le 28-02-2023




Antoine Glatard a reçu le Prix Cinezik et le Prix Expérimental du Jury lors du concours Original Soundtrack Challenge qui s'est tenu le dimanche 29 janvier 2023 à 19h30 à l'Opéra de Clermont-Ferrand, dans le cadre du Festival du Court-Métrage. Cette occasion permet de découvrir ce chef d'orchestre devenu compositeur pour l'image. Dans le cadre du concours, il a pu composer la musique d'un court-métrage expérimental intitulé "Sisters" de Daphne Lucker. Il a également signé la musique d'un documentaire "Sauvons les enfants" de Catherine Bernstein, diffusé sur France 2 et France 3.

Cinezik : Pour commencer, pouvez-vous nous parler de votre proposition musicale pour le court-métrage "Sisters" dans le cadre du concours Original Soundtrack Challenge ? Les candidats sélectionnés étaient chargés de composer une musique originale pour accompagner un court-métrage et jouée par l'Orchestre National d'Auvergne. Dans votre proposition musicale pour ce film, vous avez réussi à créer un récit musical qui entoure les trois sœurs du film et leur avez ainsi donné une histoire musicale.

Antoine Glatard : C'est un film qui a remporté la catégorie fiction au Festival de Clermont il y a deux ans. Pour ce concours, il a été choisi dans la catégorie expérimentale en raison de l'absence de dialogues et de sa chorégraphie particulière. J'ai choisi ce film car il est magnifique et offre une place importante pour la composition musicale. D'une durée de 15 minutes, il raconte une histoire sordide mettant en scène trois sœurs enfermées dans une pièce, maltraitées et soumises à la violence. J'ai donc pris le temps de commencer mon travail car il était difficile de travailler sur un matériel aussi libre et ouvert. Finalement, j'ai opté pour un motif récurrent et j'ai emprunté à la musique baroque pour accompagner la danse contemporaine et la chorégraphie libre du film. Mon objectif était de développer une histoire narrative à travers la musique, car les 15 minutes sans dialogue sont assez longues et angoissantes en raison de la situation de huis clos. La musique avait donc un rôle important à jouer en termes de narration, en intégrant des éléments descriptifs de l'angoisse et des éléments plus contemporains pour refléter l'angoisse. J'ai ajouté des passages lyriques pour exprimer l'émotion et la tension présentes dans le film.

Pour mieux vous connaître, vous êtes à la fois chef d'orchestre et compositeur. Vous avez été chef résident à l'Orchestre National de Lyon, et vous avez étudié le piano et la clarinette, en plus d'avoir remporté des prix d'écriture. En tant que chef d'orchestre, pouvez-vous nous expliquer ce que cela implique ? On imagine souvent le chef d'orchestre en train de diriger avec une baguette, mais en réalité, cela implique une étude approfondie des partitions existantes, n'est-ce pas ?

A.G : En réalité, la direction d'orchestre est une interprétation. Donc, c'est un instrument que l'on joue, un instrument qui est un orchestre. Notre travail consiste à étudier les partitions, concevoir notre propre interprétation et la transmettre aux musiciens. C'est un travail passionnant car bien que nous ne produisions pas de son, nous avons un rôle important à jouer en influençant le son final produit par l'orchestre. Nous devons transmettre notre vision musicale et convaincre un ensemble de musiciens, qui peut compter de 40 à 100 personnes.

Un chef d'orchestre doit-il respecter la partition à la lettre, ou peut-il prendre certaines libertés et exprimer sa personnalité dans l'interprétation musicale ?

A.G : Je pense qu'il s'agit d'un équilibre subtil, similaire à celui que l'on retrouve dans la musique de film. D'une part, il est important de mettre une part de soi-même dans l'interprétation, sans quoi cela perdrait de son intérêt. D'autre part, nous sommes avant tout au service de la musique, tout comme nous sommes au service de l'image dans le cas de la musique de film. Il est donc essentiel de trouver un juste milieu, un équilibre entre l'expression de notre personnalité et notre engagement au service de la musique ou de l'image.

Vous avez dirigé des orchestres pour de la musique de film, à la fois pour interpréter un répertoire existant en concert, mais également pour l'enregistrement d'une musique originale...

A.G : Effectivement, il y a une différence notable entre diriger une musique de film et interpréter une symphonie classique. J'ai eu l'opportunité de diriger des ciné-concerts originaux, tels que celui que j'ai réalisé à l'Opéra de Nantes sur un film muet, ainsi que d'enregistrer des bandes originales. Dans le cas de la musique de film, nous devons respecter le timing et être en phase avec le time code, ce qui représente un défi supplémentaire. Nous devons également être plus en retrait, davantage au service de la musique et de l'image. En comparaison, lorsqu'on interprète une symphonie classique, nous avons davantage de liberté et de marge de manœuvre pour exprimer notre personnalité en tant que musicien. Dans la direction de la musique de film ou de ciné-concerts, nous sommes avant tout au service de l'œuvre et de son créateur ou créatrice, mais c'est un exercice passionnant.

Lorsqu'il s'agit de ciné-concerts, la synchronisation est un enjeu important. On parle souvent de la nécessité de synchroniser la musique avec l'image, parfois en utilisant un "clic"...

A.G : En effet, il existe plusieurs approches pour la synchronisation lors de ciné-concerts. Personnellement, je préfère ne pas utiliser de clic car cela permet une plus grande liberté musicale. Cependant, il arrive que nous soyons obligés de travailler avec un clic, ce qui peut être contraignant en raison du rythme imposé en permanence. Pour l'exemple que j'ai mentionné à l'Opéra de Nantes, j'ai décidé de travailler sans. J'avais un timecode écrit sur ma partition pour m'aider à être en phase avec l'image, mais j'ai pu garder une certaine liberté dans ma direction musicale. Je trouve que c'est intéressant de ne pas être assujetti au clic lorsqu'on en a la possibilité.

Lorsqu'on dirige un orchestre, est-ce que cela importe peu quels sont les musiciens, sachant qu'ils peuvent changer, ou bien est-il important de les connaître et de retrouver les mêmes comme une famille, une troupe ?

A.G : Il est agréable de connaître les musiciens avec lesquels on travaille, car cela permet de passer rapidement la barrière de la découverte et de l'appréhension. Cela instaure également un climat de confiance favorable à la création musicale. Cependant, je dois dire que les orchestres professionnels en France ou à l'étranger sont suffisamment professionnels, compétents et réactifs. En l'espace de deux jours, nous pouvons créer un lien et travailler ensemble de manière efficace, même sans avoir préalablement fait connaissance. Dans l'ensemble, cela n'affecte pas le travail musical et nous pouvons produire de la belle musique ensemble, même sans nous connaître auparavant.

Et en ce qui concerne la composition d'une musique originale pour un film, quels sont les enjeux pour le chef d'orchestre ? Comment peut-il contribuer à créer la meilleure partition possible pour le film ?

A.G : Une fois de plus, le rôle du chef d'orchestre est d'être au service du compositeur ou de la compositrice. Il est essentiel de bien comprendre ce que le compositeur a voulu exprimer, ainsi que l'enjeu narratif de la musique. En effet, la musique de film doit être un élément narratif du film, ce qui lui confère une dimension supérieure à la musique pure. Personnellement, j'aime avoir des extraits de film avec l'image avant d'enregistrer la bande originale, afin de bien comprendre l'atmosphère et les éléments narratifs. Il est également important pour moi que le compositeur me parle un peu de sa vision, car même si la musique est claire pour moi d'un point de vue musical, cela peut parfois être moins évident d'un point de vue narratif. En outre, une rencontre avec le réalisateur ou la réalisatrice peut s'avérer très utile, car il ou elle peut apporter un point de vue extra-musical qui va également contribuer à l'interprétation de la musique.

On peut parfois penser que la direction d'orchestre est une activité purement technique, mais en réalité, il est nécessaire de connaître le film et même de voir des images pour pouvoir interpréter la musique de manière adéquate ?

A.G : Tout à fait, car la direction d'orchestre ne consiste pas seulement à jouer les notes correctement au bon moment, il s'agit également de transmettre un sentiment, une émotion, un caractère. Récemment, j'ai enregistré une bande originale et j'ai eu l'opportunité de m'entretenir non seulement avec la compositrice, mais également avec la réalisatrice du film. Elle m'a décrit l'histoire, les lieux de tournage, l'ambiance, les décors et les costumes. Tout cela a eu une influence sur ma manière de diriger l'orchestre, même si nous jouons les mêmes notes, le caractère et l'émotion peuvent varier. C'est cela qui rend ce travail passionnant.

Et donc, au final, c'est un très bel apprentissage pour devenir compositeur de musique de film que d'avoir été le témoin de collaborations, d'avoir discuté avec des réalisateurs et réalisatrices, des compositeurs et des compositrices. Mais est-ce que cela engendre également une certaine frustration ? Je suppose qu'à un moment donné, vous avez pensé "c'est à moi de composer", car diriger les partitions des autres peut créer un désir de créer sa propre musique. Est-ce que devenir compositeur a été une réponse à cette frustration ?

A.G : Non, je ne dirais pas qu'il y a eu de la frustration, plutôt un besoin qui s'est imposé récemment. En fait, pour retracer mon parcours, je viens de la composition, c'était ma première passion. D'ailleurs, j'ai choisi un bac cinéma car je voulais faire de la musique de film. C'était ma passion d'adolescent. J'étais très cinéphile et passionné de musique de film. Puis j'ai découvert la direction d'orchestre, qui est devenue une nouvelle passion et m'a occupé pendant plus de dix ans, car c'est très chronophage et passionnant. Donc, j'ai mis un peu de côté l'écriture pendant ces années-là. Mais l'envie d'écrire est revenue de manière assez naturelle. Je ne dirais donc pas qu'il y a eu de la frustration, plutôt un désir naturel. J'aime aussi diriger les œuvres des autres, car c'est toujours enrichissant. On apprend, on observe les façons de faire, on discute avec des réalisateurs et réalisatrices, et lorsque l'on écrit pour un projet, on a cette expérience en background, ce qui est très profitable. Donc, je suis enthousiaste à propos des projets à venir.

Quels sont les compositeurs de musique de film que vous affectionnez en tant que chef d'orchestre ? Vous arrive-t-il de penser "J'aurais aimé diriger cette partition" ? Quels sont les compositeurs de musique de film que vous appréciez particulièrement en tant que chef d'orchestre ?

A.G : C'est vrai qu'en tant que chef d'orchestre, j'ai toujours une oreille attentive à l'orchestration car c'est ma passion. Mes goûts sont très classiques. Je pense notamment à Bernard Herrmann, Nino Rota et de nombreux compositeurs de cette époque-là car il est vrai que dans cette période, il y avait une culture commune chez les compositeurs qui venait du classique, ce qui me touche particulièrement et me parle. Je m'identifie beaucoup à cette forme d'écriture. Quand j'écoute de la musique de Georges Delerue, je comprends cette musique, car nous venons "du même monde". Après, bien sûr, je m'intéresse à tout ce qui se fait aujourd'hui et il y a des choses merveilleuses. J'essaye de lâcher un peu ma culture classique pour m'ouvrir le plus possible car il faut être très curieux dans ce métier pour affronter des projets variés. Mais c'est vrai que ma culture classique m'a naturellement orienté vers des compositeurs des années 70-80 qui avaient une culture orchestrale assez élaborée.

Quel est votre avis sur les compositeurs qui ne font pas leur propre orchestration ? Et avez-vous déjà dirigé une partition qui n'a pas été écrite par le compositeur du film en question ?

A.G : Oui, pourquoi pas. D'ailleurs, je pense que c'est peut-être un peu mégalo de vouloir tout faire, écrire, orchestrer, diriger. Il est courant de déléguer cette tâche à l'étranger. En France, nous avons tendance à vouloir tout faire et tout maîtriser. Personnellement, je suis tout à fait ouvert à la question, car chacun peut apporter sa pierre et enrichir le projet. Donc, je trouve cela tout à fait naturel de faire appel aux divers talents possibles.

Avez-vous déjà dû diriger une partition écrite par un compositeur qui n'avait pas de compétences particulières en orchestration ? Si oui, avez-vous parfois dû faire des remarques sur des aspects injouables de la partition ?

A.G : Alors oui, cela m'est arrivé. Je ne dirais pas que c'était injouable, mais plutôt que certaines parties étaient mal équilibrées. Il y a des compositeurs très doués en MAO ou en sound design qui peuvent écrire des pièces orchestrales avec de bonnes idées, mais qui ne sont pas toujours bien organisées en termes d'équilibre. Dans ces cas-là, j'ai proposé des modifications pour rééquilibrer la partition, comme inverser des voix ou changer les nuances, afin d'obtenir le son souhaité. Parfois, l'écriture peut trahir l'intention musicale du compositeur. Mais ces remarques sont davantage des conseils que des modifications majeures de la partition. Donc oui, cela peut arriver.

Quel est votre regard sur les maquettes ? Les réalisateurs et producteurs peuvent tellement aimer la maquette qu'ils peuvent penser que l'orchestre n'apporterait aucune plus-value, alors que votre oreille de chef d'orchestre entend tous les défauts du digital ?

A.G : Alors oui, c'est un grand débat, l'utilisation des maquettes et des instruments virtuels en musique de film. Nous sommes souvent obligés de produire des maquettes de qualité pour convaincre les producteurs et les réalisateurs, mais il ne faut peut-être pas trop en faire pour laisser l'envie d'enregistrer avec de vrais instruments. Certains compositeurs font consciemment des maquettes qui ne sont pas parfaites pour laisser de la place à l'enregistrement. Pour ma part, en tant que chef d'orchestre avec une culture orchestrale, je suis souvent un peu frustré avec le son virtuel. Cependant, les instruments virtuels peuvent aussi stimuler une écriture différente et créative. Si nous savons que le projet n'a pas le budget pour un enregistrement avec un orchestre, nous pouvons adapter notre écriture pour faire sonner les instruments virtuels le mieux possible. Parfois, les contraintes peuvent donner lieu à des idées musicales intéressantes.

Et en tant que compositeur, êtes-vous également attaché à une certaine couleur orchestrale ? Ou, au contraire, quand vous composez pour un film, oubliez-vous la direction d'orchestre et êtes-vous capable de vous adapter au film, proposant peut-être un soliste ou d'autres éléments différents ?

A.G : Alors oui, en effet le plus important est le film et l'image. J'ai une culture orchestrale qui m'est très chère, mais si le projet nécessite une couleur différente, ce qui peut arriver très souvent, alors je me réjouis de partir dans quelque chose de complètement différent, comme une musique très intimiste avec deux ou un seul instrument, des choses simples. Je m'adapte vraiment aux besoins de l'image et du réalisateur.

Parlons maintenant d'un documentaire pour lequel vous avez composé la musique, "Sauvons les enfants" de Catherine Bernstein, un documentaire historique diffusé sur France 2 et France 3, encore disponible actuellement sur France.tv jusqu'au 2 avril 2023... Comment avez-vous travaillé avec la réalisatrice ? Quels ont été les échanges et les choix musicaux ?

A.G : C'était un film passionnant à composer. Catherine Bernstein m'a envoyé des pistes témoins avec des références assez pointues, notamment du Bartók, comme le premier mouvement de "Musique pour cordes, percussion et célesta". Elle souhaitait un orchestre de cordes uniquement, ce qui était une contrainte intéressante à traiter. Le sujet du film était particulier, retraçant un soulèvement social et populaire pour sauver des enfants et des adultes juifs en instance de départ à Auschwitz. Le sauvetage a été oublié par l'histoire et le film utilise des témoignages d'enfants qui ont été sauvés pour raconter cette histoire. La musique devait instaurer un climat angoissant pour refléter le danger constant, tout en véhiculant l'énergie collective du sauvetage. La réalisatrice voulant un orchestre à cordes, je lui ai proposé des maquettes en midi, mais nous savions que nous allions enregistrer un vrai orchestre à cordes, ce qui était formidable. Finalement, tout s'est déroulé assez simplement. J'ai envoyé mes propositions à la réalisatrice, qui les a rapidement appréciées. Ce qui était intéressant, c'est qu'elle a calé le film sur ma musique, et pas l'inverse. J'avais donc une certaine liberté dans ma manière de composer, notamment en termes de durée, sans être strictement contraint par l'image. Ensuite, elle a calé les images sur les morceaux que j'avais écrits, lors du montage.

 

Propos recueillis par Benoit Basirico

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