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Pedro Costa & Jeanne Balibar  

Pedro Costa & Jeanne Balibar

Ce réalisateur portugais dépeint sous une forme quasi-documentaire, le quotidien des marginaux et des immigrés des quartiers populaires de Lisbonne. De OSSOS à EN ATTENDANT JEUNESSE, son austerité aux contrastes forts, tel un héritage du cinéma muet, a fait son identité. En 2009, il filme Jeanne Balibar qui chante avec Rodolphe Burger dans NE CHANGE RIEN.

Interview à propos de NE CHANGE RIEN
(Pedro Costa filme Jeanne Balibar qui chante)

Cinezik : Qu'est-ce qui vous a intéressé dans ce projet de filmer Jeanne Balibar (au chant) et Rodophe Burger (à la guitare) lors de l'élaboration de leurs albums ("Paramour", et "Slalom Dame") ?

Pedro Costa :
Au départ, j'étais un peu inquiet de faire un film avec 90% de musique, avec si peu de dialogues, car je n'avais pas de repères. Normalement, pour ce genre de film, on fait des entretiens sans respecter le temps réel de création, que ce soit des films sur la peinture ou la musique. Ce projet m'intéressait pour pouvoir proposer les choses de manière dilatée, en longueur, et pour Jeanne, qui n'est pas professionnelle de la chanson et qui arrive avec ses problèmes.

Jeanne, vous semblez faire partie de ces comédiennes qui passent à la chanson... mais votre intérêt pour le chant ne date pas d'hier ?

Jeanne Balibar :
J'ai toujours beaucoup chanté, j'ai vécu dans un environnement où les gens faisaient beaucoup de musique, et avant de faire mes disques avec Rodolphe Burger, j'avais déjà pu chanter dans un film sur deux ou au théâtre. Mais pour les acteurs qui ont une voix comme c'est mon cas, une voix singulière que les gens reconnaissent, il est dangereux de trop s'y intéresser, il vaut mieux l'oublier et se concentrer sur les situations et les personnages.

Comment s'est produite votre rencontre avec Pedro Costa ?

J.B :
Nous étions membres d'un jury au festival du documentaire à Marseille et nous nous sommes rendus compte que nous partagions les même goûts cinématographiques. Je lui disais aussi que les films que je préférais étaient des films sans acteurs professionnels, comme les siens et ceux de Kiarostami ou des frères Dardenne, des films sans comédiens dans mon genre . Ce film de Pedro est en quelque sorte un cadeau pour moi car il me permet de jouer dans un film où il n'y a pas d'acteurs.

Pedro, à propos des acteurs dans votre cinéma, ce film aurait-il pu se faire avec une autre personnalité ?

P.C :
Imaginons que Isabelle Huppert se mette à chanter comme les actrices françaises le font beaucoup, je ne pourrais jamais faire un film de ce genre avec elle, Benoit Jacquot le pourrait, car tout cela exige certaines conventions esthétiques, elle veut se voir dans un miroir d'une telle façon. Je ne peux pas faire ça. Et cela ne me passait pas par la tête que Jeanne puisse me poser des problèmes dans ce genre. Il suffit de voir son parcours et le mien pour comprendre. Jeanne n'est jamais intervenue, je montais le film à Lisbonne, et elle a découvert le résultat à Cannes.

Jeanne, à quel niveau Pedro Costa intervenait-il au moment des enregistrements ?

J.B :
Pedro était très discret, avec sa caméra DV, du papier aluminium pour diriger la lumière, et il se mettait dans un coin. Il avait une présence forte, comme tout grand cinéaste, mais on ne faisait rien de particulier pour lui, on faisait ce qu'on avait à faire sur le travail musical. Le cinéma c'est toujours comme cela, courir après une voiture ou discuter avec quelqu'un, on reste concentrer et la caméra enregistre la scène sans trop se faire remarquer.

P.C : J'étais là pour filmer mais personne savait quel était le but, quel serait le résultat, ni sa durée ni son moyen de diffusion. Il n'y avait pas de contrat. Mais tout le monde était conscient que je filmais.

J.B :
Jusqu'à quinze jours du Festival de Cannes 2009 où le film était présenté je ne pensais pas qu'il y aurait un film.

P.C : Les seules choses que j'ai dirigé, c'est de demander à Jeanne et Rodolphe de refaire quelques morceaux, même si pour eux, musicalement, c'était déjà bien... mais j'insistais car je voulais avoir plus de matière, susciter d'autres accidents... tout le monde était dans le même état de perplexité, moi avec la caméra, eux avec les chansons.

Jeanne, le film peut s'apparenter à un documentaire sur vous, sur votre travail de chanson ?

J.B :
Le personnage dans le film qui est sensé être moi n'est pas plus proche de moi que n'importe quel personnage de fiction que j'ai pu incarner, c'est mon corps, c'est ma voix, et en même temps un angle avec lequel le réalisateur raconte quelque chose qui n'a pas de rapport avec moi, Jeanne, ce que je suis. Cela a à voir avec l'histoire, une sorte de film noir américain avec des fugitifs, ou une comédie musicale, ou alors un conte philosophique.

Pedro, comment s'est fait le choix des chansons parmi toutes celles des albums de Jeanne Balibar ?

P.C :
Il y a deux albums avec chacun une quinzaine de titres, et dans le film il y en a six ou sept, mais j'en avais filmé d'autres. J'ai fait un choix de producteur de disque, en déterminant les chansons selon celles que j'aimais le plus, un peu comme les prises des acteurs, et aussi selon une histoire à raconter, réussir à construire une fiction avec des chansons qui parlent d'amour, comme toute chanson pop et rock.

Interview de Jeanne Balibar réalisée par Benoit Basirico à Paris le 22 janvier 2010 / Interview de Pedro Costa réalisée par Benoit Basirico à Paris le 14 janvier 2010.

© Photo en médaillon : Cinezik, Benoit Basirico

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