Signs (James Newton Howard) : Analyse du thème

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par Damien Deshayes

- Publié le 07-05-2008




Signs (Signes) est le troisième film de M. Night Shyamalan, réalisateur prodige de Sixth Sense (Sixième Sens). Plus ou moins réussi, ce film prend comme prétexte une invasion extraterrestre pour discuter de la foi et de la fatalité : l'apparition de mystérieux dessins dans des champs bouleversent ici les certitudes d'une famille américaine qui semble avoir perdu ses repères (notamment celui que représente la figure maternelle) . La musique de James Newton Howard transcende littéralement le film de Shyamalan. Elle a marqué les béophiles, qui ont reconnu notamment en « The Hand Of The Fate I » l'une des belles orchestrations de cette dernière décennie (même un groupe de rap a repris ce motif pour accompagner leurs textes). Le « Main Title », orchestré par Pete Anthony, esquisse admirablement cette apothéose : c'est ce petit bijou musical que nous nous proposons d'analyser en détail, en suivant l'ordre chronologique des évènements.

1ère séquence : introduction

Les premières mesures introduisent un climat mystérieux : toute l'atmosphère, toute l'intrigue du film semblent contenues dans ces quelques secondes, marquées par la répétition d'un même accord. Pour cela, les moyens déployés par le compositeur sont extrêmement ingénieux.

a) les instruments utilisés

Les instruments qui jouent en premier lieu sont au nombre de cinq : deux violons soli (l'un en double corde), deux violoncelles soli et un alto solo. Ce quatuor augmenté d'un violoncelle ne correspond à aucune formation connue. Schubert a utilisé cette formation surprenante dans son magnifique quintette à deux violoncelles : l'avantage est de pouvoir renforcer la basse du quatuor sans utiliser de contrebasse. Mais surtout, ces instruments soli semblent symboliser la solitude de cette famille confrontée à un événement qui les dépasse.

Au bout de deux accords, des ocarinas, instruments à vent au son très profond, très pur (déjà utilisés par Penderecki dans un contexte similaire) viennent renforcer le quintette à cordes. Cette vibration mystique semble évoquer une présence extraterrestre.

b) le mode de jeu

Les cordes jouent en harmoniques, extrêmement pianissimo ( pppp ). Le son est du coup plus diffus, plus sibyllin, plus énigmatique.

c) l'harmonie

L'accord utilisé renforce encore le mystère. Les sept instruments forment un accord de neuvième mineure sans tierce ni septième. Autrement dit, l'accord est constituée de la tonique (Ré), de la quinte (La), qui assoit l'accord, et de la neuvième mineure (Mi bémol). Les « trous » permettent de faire en sorte que la dissonance de l'accord de neuvième, par ailleurs séparée de la tonique par une octave, ne choque pas à l'oreille. L'accord de quinte sans tierce est abondamment utilisé par Debussy.

Chose extraordinaire, l'attaque en arpège, en faisait naître délicatement le son, renforce le jeu en harmoniques, puisque l'accord suit quasiment l'échelle harmonique (octave / quinte / tierce, etc…). On obtient au fin un son très proche d'un instrument extra-européen très riche en harmoniques, le sho , très apprécié par le compositeur contemporain Toru Taketmisu.

2e séquence: staccati énergiques

Les mesures suivantes font toujours entendre la neuvième, sous sa forme tronquée, aux violoncelles et aux alti. Aux bois, aux violons, au piano et à la harpe apparaît un motif obsédant qui réutilise cet accord. Ce motif forme un ostinato énergique et entraînant qui semble évoquer un sonar (l'immensité de l'espace).

La cellule rythmique est hachée (deux doubles croches – croche), le motif rappelle l'accord initial (ré-la mib) à cette exception près :au piano et à la harpe, le ré est à la fois la fondamentale de l'accord, disposé sur la quinte (second renversement) et une appoggiature de la neuvième (motif utilisé : la-ré mib). Ce procédé extrêmement ingénieux permet de stabiliser l'accord de neuvième.

A la basse, ce motif est accompagné par deux croches marquant l'enchaînement classique dominante – tonique (la – ré), enchaînement qui assoit la tonalité (ré mineur). Le motif aboutit pourtant sur la neuvième mineure (ré-mi b) !

James Newton Howard joue avec l'harmonie : la base harmonique est dissonante et instable, la disposition, la basse et la mélodie se chargent de limiter cet effet. L'accord n'est cependant pas résolu : c'est l'ambiguïté qui domine.

L'orchestration repose sur un jeu de réponses qui a pour effet de « spatialiser » le motif : aux flûtes, au premier violon solo (motif) et aux hautbois (basse), répondent immédiatement les clarinettes une octave plus bas, le second violon solo (motif) et le basson une octave plus bas (basse).

La perte de repères continue et le rythme s'accélère. Les bassons, les alti, les violoncelles subdivisent le rythme initial, introduisent des vibrations avec des batteries ou des dissonances sur les notes si-la#, mi ré# (=mib). Les cors jouent des clusters très brefs sur des rythmes syncopés. Les trombones amplifient ce chaos harmonique en faisant entendre des clusters typiques de la musique de film (crescendo – diminuendo)

3e séquence: pause

La séquence s'achève sur un accord dont la fondamentale est la dominante (la do# mi). Accord très bref, dessiné par le vibraphone (fondamentale), l'une des deux harpes, les ocarinas et les violoncelles (en harmonique), perturbé par un cluster joué par une partie des alti. Immédiatement après, l'autre partie des alti, en harmoniques, dessinent à l'octave une longue tenue sur le ré#. Pendant ce temps, les harpes se répondent avec un petit motif qui s'achève sur un la#. L'harmonie est extrêmement dissonante, et pourtant ces quelques mesures sont ressenties comme une « pause ».

4e séquence: reprise

Cette pause est de courte durée : après quelques minutes, la musique reprend plus violemment.

Aux doubles croches insistantes des cors (doublés par les violons) répondent les percussions, les bassons, la clarinette basse et les hautbois. Quatre mesures brèves ponctuées par des glissandi diatoniques ascendants au piano et aux harpes. Les violoncelles doublés par les contrebasses, les alti, sur un rythme changeant, dessinent une mélodie atonale légèrement syncopée.

Cette séquence abolit toute repère : aucune tonalité ne peut être décelée. La pause semble avoir exacerbé le chaos entendu dans la deuxième séquence. La tonalité s'est dilué au fur et à mesure. Ce qui est intéressant, c'est que la neuvième, quasi consonante a permis dès le début une transition douce entre la tonalité de ré mineur et l'atonalité.

5e séquence: le chaos

Le chaos précédent aboutit à des rythmes syncopés, comme scandés. Le rythme est martelé avec violence. Plusieurs procédés sont utilisés pour donner à ce rythme syncopé une sonorité presque sauvage : les percussions bien entendu mais également les col legni aux cordes (technique avec laquelle les instrumentistes frappent les cordes avec l'archet, ce qui a pour effet de faire entendre un son percussif assez stressant), les notes suraiguës (pratiquement laissées au choix de l'interprète) aux flûtes, les notes brèves aux cuivres, les bartok pizz à la contrebasse. Qui plus est l'accord utilisé (mi sol #, la #, si b, ré #, si b, fa ) est très dissonant. On pourrait l'analyser comme un accord polytonal ou un accord de type cluster. Quoiqu'il en soit, ce procédé rythmique et harmonique est très inspiré du « Sacre du Printemps » de Stravinsky. James Newton Howard y ajoute dans les voix supérieures (violons soli) des traits vifs en doubles croches qui donnent un peu de l'élan à l'ensemble ainsi que des clusters aux cors, échos aux clusters de trombones entendus au début.

Peu à peu le reste des cordes (violons, alti), se subdivise en croches ou doubles croches. Les violons soli sont désormais en double corde, et l'un dessine un motif rapide à l'octave supérieure. Enfin la harpe dessine un motif ternaire en double croches alors que le rythme général est binaire.

Subdivision du rythme, passage à l'octave, polyrythmie, permettent d'accentuer la confusion et par là le stress ressenti à l'écoute de cette musique, préfigurant bien entendu la menace extraterrestre. C'est sur ce chaos extrêmement angoissant que s'achève le générique.

Conclusion

Le "Main Title" de Signs, ouverture saisissante au film de Shyamalan, apparaît donc comme un exemple stupéfiant de progression dramatique. Orchestration brillante, harmonie subtile entre tonalité et atonalité, structure grisante, le générique de James Newton Howard est assurément une belle leçon de musique…


par Damien Deshayes


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