Cinezik : Que représente pour vous le Festival de Cannes ?
Alexandre Desplat : Je suis revenu plusieurs fois avec des films qui étaient présentés, que ce soit UN HERO TRES DISCRET, L'ARMEE DU CRIME et biensûr UN PROPHETE... et ce qui est génial c'est cette diversité culturelle, cela me touche beaucoup, ces films de tous horizons qui proposent une vision du moment, de la vie d'un homme, d'une famille, d'un événement, ça m'interpelle artistiquement. Si on aime tous les cinéma comme moi, on est servi.
En tant que juré, comment recevez-vous les films ?
On analyse les films forcément, on est critique sur la mise en scène, la direction d'acteurs, les costumes, la lumière. Un film est une oeuvre collective. On est sensible à tout cela. C'est un mélange d'émotion et d'analytique. Je suis biensûr plus sensible à la musique, mais je ne suis pas là pour la juger mais apprécier si elle fait bien partie du tout, si elle n'est pas à côté du film.
TAMARA DREWE présenté hors-compétition est votre troisième collaboration avec Stephen Frears...
Avec Frears il s'est instauré une relation de confiance après THE QUEEN et il faut faire ses preuves pour réussir sur un deuxième puis un troisième film. CHERI était difficile à composer, il a fallu que je montre patte blanche, mais je crois que désormais on a trouvé un équilibre entre l'émotion qu'il aime dans ses films et un certain esprit, une sorte d'ironie. Il aime que je le surprenne, je peux prendre des risques.
Sur TAMARA DREWE, on a parlé de Elmer Bernstein à un moment, car il y a des scènes de bétail à la campagne, pour donner une notion d'ampleur, puisque le réalisateur a travaillé avec Bernstein sur "The Grifters", ce fut un point de référence qui nous donne une complicité. Ce film était difficile à mettre en musique car il est sur le fil du rasoir, on ne peut pas faire une musique trop comique ni trop sombre, qui appuie trop les situations ambiguës. La comédie reste pour moi un type de film très compliqué à gérer, car on bascule trop facilement dans le grotesque.
Chez Frears, j'utilise peu d'atmosphères, ou des musiques qui évitent la mélodie, mais il y a d'autres films comme TWILIGHT où la mélodie est archi lisible.
Des critiques à votre égard émettent justement des réserves sur votre capacité à écrire des thèmes...
Je pense que ces critiques viennent d'un goût pour un certain cinéma où la mélodie est enfoncée à tire-larigot, une mélodie que l'on emploie jusqu'à l'usure, je ne travaille pas ainsi. La musique n'est pas pour moi une trame sur laquelle je vais enfoncer un clou, je ne pense d'ailleurs pas que cela intéresse les metteurs en scène en général.
Où en est votre travail pour le TREE OF LIFE de Terence Malick ?
J'ai encore enregistré de la musique il y a une semaine, car le montage n'est pas terminé, donc je suis allé à L.A pour faire des musiques supplémentaires. Mais le film est un mystère comme tout film de Terence, et tant que le film ne sera pas terminé, je ne sais pas ce qu'il en sera de la musique, d'autant qu'il y aura des musiques de répertoire comme toujours car le réalisateur aime les musiques de concert, de Bach à Berlioz, Arvo Part ou Ligeti, il a donc un panel de compositeurs qu'il utilise dans ses films et en particulier celui-là. Moi je viendrai donc dans les interstices pour apporter une autre matière. J'espère qu'il sera bientôt terminé.
Pour revenir sur Cannes, que pensez-vous de l'absence d'un prix musical ?
C'est regrettable mais en même temps ce n'est pas un prix pour la musique qu'il faudrait donner mais un prix supplémentaire, un prix "technique", qui pourrait récompenser une musique exceptionnelle, comme une lumière exceptionnelle, ou un costume.... cela pourrait résoudre le problème, car il n'y a pas toujours de bonnes musiques sur 15/20 films, il y a toujours des acteurs, des scénarii, mais pour la musique c'est moins évident. C'est un sujet délicat mais il faut y réfléchir. Je suis en tout cas ravi d'être là.
Vous pouvez faire des rencontres ici, peut-être avec votre prochain réalisateur ?
C'est délicat car je suis dans le jury, je me dois d'être discret... C'est toujours impressionnant de voir Scorsese ou Garone... des metteurs en scène de tous horizons... mais je ne suis pas là pour chercher du travail, ce n'est pas une grande ANPE ici (rires).
Quand allez-vous travailler sur le HARRY POTTER ?
On va commencer cet été, je ne vais pas avoir beaucoup de vacances, mais c'est pour la bonne cause, pour la musique de film. Je prendrais toutes les opportunités pour me servir du fabuleux thème de John Williams, je trouve qu'on ne s'en est par suffisamment servi dans les derniers films, donc si j'ai l'occasion je l'arrangerai, le détournerai.
Vous avez des projets ?
Des films français, américains et anglais... J'essaie de garder une moyenne de 4 à 8 films par an pour garder l'énergie et la pression sur le cerveau.
Interview B.O : John Williams par Jean-Christophe Manuceau (auteur, L'Oeuvre de John Williams)