Les frères Khoury proposent une nouvelle musique pour Le Prince Ahmed

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- Publié le 08-04-2013




"Les aventures du Prince Ahmed" est le premier long métrage d’animation de l’histoire du cinéma inspiré des conte des Mille et Une Nuits. Les frères Khoury, musiciens jordaniens, proposent une nouvelle musique, commandée en 2012 par l'Institut du monde arabe (dans le cadre de l'expo "Mille et une nuits") et jouée lors d'un ciné-concert en mars 2013. Ils nous racontent cette épopée.

Interview des frères Khoury

Cinezik : Quelle est l'origine du projet ?

Elia Khoury :
On a commencé le projet en 2006 à l'initiative du Goethe-Institut en Jordanie à l'occasion de la fête du 8 mai. On a déménagé en France en 2007 où on a rencontré le saxophoniste Pierrick Menuau qui était professeur du département de jazz au Conservatoire d'Angers. On a donc continué à travailler sur ce projet en France avec Pierrick en 2008. Puis plusieurs festivals nous ont contactés : Ciné-scènes à Louviers (27), Premiers Plans à Angers (49), à l'Opéra de Lyon, à Amman, Abu Dhabi, Bahrain... avant de se produire à l'Institut du Monde Arabe le 22 février 2013.

Osama Khoury : Je me souviens qu'au début on avait commencé par voir une première version du film sans sous-titres, on n'avait rien compris. On s'était juste inspiré des images.

Basil Khoury : Et aussi, on a travaillé sur un DVD, tandis que lors du ciné-concert, on projette du 35mm. Ce n'est pas même vitesse. Cela a produit quelques surprises de synchro ! (rires)

Comment avez-vous travaillé collectivement sur ce film ?

EK : L'inspiration musicale est venue en jouant. Chacun de nous amène ses idées que l'on développe ensemble. Tout part d'un thème autour duquel on fait des orchestrations pour les divers instruments. Il y a une part d'improvisation mais il faut rester au service du film, avec des "time code" précis. Concernant le travail à l'image, Osama a fait des études de musique de film à l'école normale, il a appris la façon d'écrire la musique de film, et comment travailler avec l'image.

BK : Avant même de penser à faire la musique d'un film, il faut à la base le talent de compositeur. Et entre nous, il n'y a pas de hiérarchie, il y a un respect réciproque. Chacun a son boulot à faire. Osama est le chef d'orchestre, Elia est le directeur artistique, et moi je gère ce qui concerne la coordination artistique et logistique de l'ensemble.

D'où vient ce mélange incroyable de styles dans la partition, passant du jazz à la musique orientale, du flamenco au swing ?

OK : On a étudié la musique classique, on a pris des cours de jazz, on a des influences de flamenco, de musiques celtiques. Nous jouons des instruments orientaux (comme le Oud et le Qanûn), mais ce qui est important, c'est la façon dont on les joue.

EK : Par exemple, tout en étudiant le violon occidental, Basil a pratiqué la musique classique occidentale de Bach, Vivaldi, Mozart, Brahms, Fauré, Beethoven, Lalo, et Mendelssohn. Moi-même, j'ai joué du violoncelle. On connaît la musique du Moyen-Orient car c'est de là que nous venons, tout en ayant une influence occidentale car on reste ouvert à toutes les cultures. On apprécie même la musique savante contemporaine.

OK : Pour le côté "flamenco", on a travaillé avec un grand chanteur de flamenco, Enrique Morente. On a aussi travaillé avec des musiciens de jazz. Pour le "swing" présent lorsque le diable arrive, on a pensé à la "Panthère Rose" de Henry Mancini.

EK : Cela vient aussi de l'éducation que nos parents nous ont donné en Jordanie. Ils nous ont encouragé à être international. Je parle quatre langues. De cela se développe une diversité incroyable. Musicalement, on ne se satisfait pas de ne jouer que de la musique arabe.

Comment jouez-vous de chaque instrument pour produire cette diversité de couleurs ?

EK : On pousse les frontières techniques de nos instruments pour trouver de nouvelles formes d'expression. On pousse chacun de nos amis musiciens dans cette voie.

OK : On peut détourner le son des instruments. Par exemple, je joue le qanun de manière à rendre le son plus métallique qui fait penser à un instrument chinois.

EK : Nos instruments ont en effet plusieurs casquettes. Le violon est à la fois un violon oriental, un violon occidental, et un violon tzigane. C'est pareil avec le Oud. Comme on parle plusieurs langues, c'est la même chose pour les instruments.

Quel a été votre travail au service du film ?

OK : Les morceaux correspondent à l'ambiance générale d'une scène, et à partir de ces ambiances les instruments improvisent en tenant compte des éléments présents dans l'image. Par exemple, lors de la bataille entre les deux magiciens, Pierrick a joué au saxophone le magicien africain, tandis que le trombone a joué l'autre personnage. Et lors de la scène de l'éléphant, le trombone a joué le son de l'animal. Le piano illustre quant à lui la Chine.

BK : La musique joue sur deux dimensions : l'histoire et ce qui se passe dans l'image. Les instruments jouent sur les deux tableaux : ils peuvent jouer le rythme présent dans l'image, tout en convoquant l'émotion d'un personnage. Par exemple, lorsqu'il y a l'histoire d'amour, la musique devient plus romantique.

EK : Le film est une sorte de succession de tableaux, avec des tableaux orientaux et des tableaux abstraits. On a aussi joué là-dessus dans la musique. La musique devient à un moment plus abstraite, avec des sons plus insolites.

OK : On a aussi composé un thème qui revient trois fois. C'est le thème du danger, le thème de la menace.

Qu'est-ce que cela implique que ce soit un film muet ?

BK : On a pu travailler sur une autre musique de film ("No Shoof Camera" de Jon Steele, 2007), pour laquelle nous avons collaboré avec un réalisateur qui était avec nous dans le studio. Il était obligé parfois de refaire l'image par rapport à la musique. Mais pour ce film muet du patrimoine, c'est impossible ! Tout est figé.

EK : Et puis sur un film parlant, il y a l'ambiance sonore, la parole, une voiture qui passe, sans forcément toujours de la musique. Pour ce projet, on a dû tout recréer, avec de la musique tout le temps. Il n'y a pas de place pour respirer dans le film, quand on commence c'est pour 65min non-stop.

Malgré tout, la musique n'est pas tout le temps sur le même mode, des pauses et variations permettent d'éviter la saturation...

EK : En effet, la musique installe des moments de tensions et des moments de détente. Les tableaux du film sont très variés (abstraits, orientaux...), l'histoire se déroule dans plusieurs lieux, avec divers personnages. Il fallait dépeindre cela dans la musique. Il fallait retranscrire l'émotion qui se dégage de chaque scène, en allant toujours plus loin par rapport aux sentiments de chaque personnage, en convoquant même plusieurs émotions dans une même scène. Par exemple, quand Aladin s'échappe, on a utilisé deux rythmes différents (le 9/8 pour l'action, puis le 7/8 plus triste). La musique est énergique car le personnage fuit, mais avec une pointe de nostalgie car il se souvient du passé.

La partition laisse de la place pour les solistes. Chaque instrument a son moment de solo. Comment cela s'est organisé ?

OK : On a fait comme lors de nos concerts. Chacun a son moment spécial, que ce soit pour le piano, le saxophone, ou le trombone. On essaie aussi de se faire plaisir en tant que musicien.

BK : Il y a même eu lors d'une représentation du ciné-concert un solo de violon qui n'était pas prévu au départ. J'ai eu envie de m'exprimer à un moment, et tout le groupe était avec moi pour soutenir l'idée.

EK : Il existe une super ambiance avec ce groupe et un lien d'amitié entre nous, avec un beau niveau de communication. Et cela s'entend dans la musique !

Interview réalisée en novembre 2012 par Benoit Basirico

 


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