par Sylvain Rivaud
- Publié le 19-12-2013Le film de bagnole, il connaît : il a mis en musique JOURS DE TONNERRE de Tony Scott en 1991, dans un score déjà assez rock, avec une bonne dose de guitare et de notes saturées. Malheureusement, c'est probablement son travail le moins subtil et le moins recherché, même si on y retrouve un certain charme old school disparu de beaucoup des derniers scores du compositeur. RUSH retrouve cette forme de fraîcheur, c'est une déclinaison plus épurée et synthétique de ce travail, vingt ans après. Et c'est une vraie réussite, sans doute ce que Zimmer a signé de mieux en 2013.
La plus grande qualité de la musique de Hans Zimmer est son rapport fusionnel avec l'image, entre autres grâce à sa méthode de composition à l'ordinateur qui engendre peu d'étapes entre la naissance des idées dans sa tête et le résultat qu'on peut entendre sous forme de maquettes. Grâce aux samples, Zimmer est un homme-orchestre à lui tout seul et peut produire rapidement une musique relativement sophistiquée avec peu de temps et de moyens. Pour un film comme RUSH qui parle de vitesse, c'est une méthode qui a du sens.
La musique de RUSH transpire la sueur et l'adrénaline, le frisson de la vitesse, avec des notes répétées, des riffs de guitare électriques et surtout des percussions tonitruantes (batterie, tambours). Le score est toujours parfaitement rythmé et donne une impulsion de tous les instants aux images de Ron Howard. Les beats et les rythmes en boucle dans la musique évoquent la machine, le mécanisme des moteurs qui tournent à plein régime, et la construction du thème en ostinatis suggère les boucles faites par les voitures sur le circuit de course. De même, l'utilisation de la guitare électrique se justifie à deux niveaux : d'abord d'un point de vue esthétique, pour coller à l'image rock des années 70 et à la personnalité de James Hunt, tête brulée et pilote désinvolte, et ensuite pour évoquer le métal et la carrosserie des voitures de course, montrées dans le film à la fois comme le prolongement des fantasmes des hommes et comme de potentiels cercueils métalliques, l'ivresse de la vitesse côtoyant le risque d'y trouver la mort. Pour une fois, les chansons du film se marient assez bien avec le score puisqu'on y trouve des titres de Thin Lizzy ou de David Bowie, cohérents avec le contexte du film et avec la caractérisation des personnages.
Musicalement parlant, RUSH est un score plutôt pauvre (tout ou presque est fait de samples électroniques), mais il n'est jamais question de finesse dans le film. Néanmois, Zimmer utilise le violoncelle pour son thème principal, une mélodie langoureuse et mélancolique, qui évoque l'aspect mythologique de l'affrontement entre l'autrichien Niki Lauda et l'anglais James Hunt. Inutile de préciser qu'à l'image, ça fonctionne à fond. Pour l'efficacité d'une musique sur un film, Zimmer a toujours été et restera sans doute longtemps un grand maître peu égalé, quitte à composer des musiques musicalement peu éloborées pour coller on ne peut mieux au film. Il s'autorise tout de même quelques digressions plus expérimentales, proches du bruitisme, mais sans tomber dans le sound-design insipide comme il a pu le faire par ailleurs. Elles suggèrent le suspense et la tension, très présents dans cette histoire rondement menée. Il joue avec les sonorités métalliques et électroniques, volontairement froides, sans jamais oublier son thème principal au violoncelle, d'une couleur beaucoup plus chaude et suave, qui évoque la part d'humanité de ces personnages prisonniers des machines. RUSH synthétise assez bien toute la démarche de Zimmer depuis le début de sa carrière. Nul doute qu'il s'est un peu reconnu dans chacun des personnages du film : un peu fou et rebelle comme James Hunt, et un peu calculateur et visionnaire comme Niki Lauda. Alors que Zimmer a tendance à squatter certains genres qui ne lui réussissent guère, RUSH était clairement un film pour lui. Et bien lui en a pris de ne pas le prendre trop au sérieux, pour une fois. Un vrai bol d'air frais. Beau paradoxe pour un film avec beaucoup de pots d'échappements. D'ailleurs, le score commence et se termine sur le bruit des voitures de courses, comme si elles aussi, avec leur sonorité reconnaissable entre mille, participaient à la fête sonore.
par Sylvain Rivaud
Interview B.O : John Williams par Jean-Christophe Manuceau (auteur, L'Oeuvre de John Williams)