par Quentin Billard
- Publié le 28-12-2013Pour sa toute première expérience hollywoodienne, Ryan Amon se voit ainsi confier d'importants moyens pour parvenir à ses fins, avec à sa tête un grand effectif orchestral, celui du prestigieux London Philharmonia Orchestra enregistré aux célèbres studios d'Abbey Road. Afin de souligner le caractère futuriste et distopien du film, Amon a choisi d'avoir recours à une large palette électronique, incluant toute la panoplie habituelle de loops, percussions et samples issus des banques de sons habituelles (en l'occurrence, celles pratiquées par Hans Zimmer et ses compositeurs du studio Remote Control !). Eh oui, alors qu'on pouvait s'attendre à ce qu'un jeune compositeur inconnu vienne apporter un vent de fraîcheur sur ce film, il est regrettable de constater qu'un petit nouveau se voit contraint dès son premier projet de coller au plus près aux canons musicaux hollywoodiens actuels, reprenant encore une fois les mêmes schémas synthétiques/orchestraux de Zimmer et co., surfant sur la vague des musiques d'action à succès tels que « Inception », « Dark Knight », « Jason Bourne » ou bien encore « Transformers ». Aucune surprise lors d'une première écoute de la musique dans le film donc : le score aurait pu être écris par n'importe quel tâcheron de chez Remote Control ! Passé ce constat évident, on peut enfin s'intéresser au travail à proprement parler de Ryan Amon sur « Elysium ».
L'ouverture du film pose d'emblée le ton de la partition avec « Heaven and Earth », qui introduit le thème principal du score et les sonorités majeures du score : nappes synthétiques modernes, percussions synthétiques à la Remote Control, orchestrations limitées aux cordes et aux cuivres, violoncelle soliste et vocalises de la soliste Francesca Genco. Rien de bien neuf à l'horizon, d'autant que l'on sent clairement des influences évidentes dans la manière d'utiliser l'électronique. Néanmoins, sans révolutionner le genre, l'ouverture reste satisfaisante dans le sens où elle pose clairement l'atmosphère futuriste et spatiale du film, notamment grâce à un travail de sound design assez soutenu et recherché, sans être très original dans son genre. Le problème que l'on remarque très vite, c'est le manque d'expérience et de personnalité du jeune compositeur, issu du monde des musiques de trailers : un morceau d'action comme « Fire Up The Shuttle » est très manifestement inspiré des musiques de trailer de film d'action, notamment à cause de son grand crescendo orchestral de cuivres, à ses ostinati de cordes et ses percussions action de chez Hans Zimmer (sans oublier le recours à des banques de sons commerciales, et notamment les samples 'agnus dei' issus de « Symphony of Voices » de chez Spectrasonics). Ce problème, on le retrouve clairement tout au long du score. Néanmoins, on appréciera le travail de sound design sur un morceau comme « Unauthorized Entry », qui mélange électronique, percussions diverses (incluant un jeu sur des baguettes de batterie) et du chant khöömei de la musique mongole, brillamment interprété ici par le groupe russe Huun-Huur-Tu mais malheureusement sous-mixé dans le score et trop souvent relégué au second plan : dommage, car Ryan Amon tenait là une bonne idée qui, en dehors du cliché de la 'world music', aurait pu servir davantage l'aspect narratif de la musique à l'écran. Ces sonorités culminent dans le nerveux « Deportation » et ses rythmes scandés agressifs sur fond de sound design. On regrette ici la pauvreté des orchestrations, qui suit un schéma prédéfini hérité d'Hans Zimmer et des productions Remote Control : malgré la présence du prestigieux orchestre Londonien, tout semble se limiter ici aux pupitres des cordes et des cuivres (et plus particulièrement des cors et des trombones), Ryan Amon ne faisant preuve ni de finesse ni d'intérêt particulier dans la conception des orchestrations. Certains passages plus atmosphériques comme « Darkness » suscitent l'ennui dans la façon dont Amon aligne le sound design et les percussions synthétiques sans aucune idée particulière, hormis peut être dans les quelques sonorités ethniques plus intéressantes de « Things to Come », évoquant le monde de la terre dans le film, comme le chant diphonique du groupe Huun-Huur-Tu entendu dans « You Said You'd Do Anything ».
L'action débute avec les rythmes électro survoltés de « A Political Sickness » et surtout « Arming Projectile », ponctué de cordes staccatos et de basse synthétique menaçante. Idem pour la bataille dans le désert de « Zero Injuries Sustained » vers le milieu du film. Ryan Amon illustre cette scène d'action à l'aide de cuivres massifs et de percussions tonitruantes, jouant sur le mélange des rythmes et des sonorités acoustiques/électroniques pour parvenir à ses fins. On remarque quand même la façon dont Amon joue avec les sons et expérimente notamment autour des voix ethniques ou du sound design électronique : le compositeur semble très à l'aise dans la manipulation des sons, mais moins dans l'écriture de l'orchestre, qu'il noie trop souvent sous une tonne de percussions ou de samples électro - le défaut actuel de bon nombre de partitions hollywoodiennes modernes - « You Have No Idea » fait décoller la partition avec un morceau d'action plus épique grâce à l'ajout d'un choeur (synthétique) et d'un orchestre puissant apportant davantage d'espoir au film. Mais dommage qu'encore une fois, les passages émotionnels soient constamment gâchés par un recours totalement impersonnel à des clichés faciles et entendus 1000 fois auparavant, comme pour les vocalises féminines élégiaques de « I Don't Want to Die », qui semble surgir tout droit du « Gladiator » d'Hans Zimmer. L'action reprend très vite le dessus lors du décollage vers Elysium (« Heading to Elysium »), la bataille finale débutant dans l'intense « Keep Them Busy », suivi d'une multitude de morceaux d'action interchangeables denses à l'écran mais sans réelle saveur sur l'album (« We Do The Hanging », « Kruger Suits Up », « The Armory », « Fire and Water », etc.), sans oublier les vocalises élégiaques et tragiques du mélancolique « Breaking A Promise », qui aurait pu apporter un éclairage émotionnel fort au final du film si Ryan Amon n'était pas tombé là aussi dans le piège facile des vocalises élégiaques entendues des centaines de fois auparavant. On appréciera aussi l'émotion de « Elysium » et « New Heaven, New Earth » qui apportent davantage d'espoir tout en maintenant un rythme constant.
On ressort donc peu convaincu par l'écoute de « Elysium », que ce soit sur le film comme dans l'album, où l'écoute s'avère être monotone, laborieuse, parfois même ennuyeuse. Ryan Amon vient de l'industrie des musiques de trailers et cela s'entend constamment : à cause de son manque d'expérience au cinéma, le jeune musicien se voit ainsi contraint d'aligner tous les clichés musicaux et recettes habituelles du genre sans proposer quelque chose de personnel - même le travail autour des voix et des solistes laisse parfois à désirer - C'est d'autant plus regrettable que l'on se serait pourtant attendu à un style un peu plus neuf de la part d'un jeune musicien non américain pas encore formaté par l'industrie hollywoodienne : ainsi donc, si le score remplit sa fonction à l'écran sans casser trois pattes à un canard, l'écoute sur l'album reste globalement terne et décevante. On espère que Ryan Amon progressera dans son métier et saura se dégoter des films qui l'inspirent davantage, car il lui reste encore à trouver sa voie et sa personnalité musicale !
par Quentin Billard
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