Ramachandra Borcar, québécois prolifique (GERONTOPHILIA...)

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- Publié le 16-03-2014




Le compositeur québécois Ramachandra Borcar enchaine les projets depuis 3 ans, avec le thriller ROCHE PAPIER CISEAUX (sorti en février 2013 au Québec, pour lequel le compositeur est lauréat de la meilleure musique aux Jutras 2014), la comédie GERONTOPHILIA de Bruce LaBruce (qui sort en France le 26 mars 2014 avant sa sortie au Québec le 18 avril), ou encore L'ANGE GARDIEN de Jean-Sébastien Lord (sorti au Québec le 7 mars 2014). Rencontre.

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Interview Ramachandra Borcar

Cinezik : Avant d'écrire de la musique pour le cinéma, vous étiez batteur dans un groupe. Comment s'est produite la transition ?

Ramachandra Borcar : Ce sont deux choses vraiment différentes. Avec le groupe, on était plusieurs à écrire la musique ensemble, alors que pour la musique de film, je suis totalement seul. Je m'ennuie parfois à travailler avec d'autres musiciens. Au cinéma, je cherche un concept en essayant de le suivre jusqu'au bout et je pense que s'il y a trop de personnes à le faire, c'est compliqué.

Vous jouez vous-même la plupart des instruments ?

R.B : Cela dépend des films. Dans L'ANGE GARDIEN, j'ai joué pas mal d'instruments, mais il y a aussi un orchestre pour la trame sonore.

Quel a été le choix musical pour L'ANGE GARDIEN (de Jean-Sébastien Lord, sortie au Québec le 7 mars 2014) ?

R.B : L'ambiance est très présente dans la façon dont cela a été tourné. J'essaie d'aller en parallèle des images sans prendre trop de place, en évoluant vraiment avec les images. J'ai employé des sonorités peu communes, beaucoup de cymbales avec archer, de contrebasses, pour créer des textures organiques, pas trop froides, non-électroniques.

A quel moment intervenez-vous, sur le scénario ou une fois le film fini ?

R .B : La plupart du temps, j'interviens quand le film est fini. Et parfois en parallèle du montage, lorsque le film est déjà tourné. La musique va aider.

Quand vous intervenez une fois le film fini, des musiques ont-elles été placées sur le montage pour vous guider  ?

R.B : Une musique temporaire est là. Je ne l'écoute qu'une seule fois pour voir les références et retenir ce que le réalisateur a imaginé dans telle scène, mais je ne veux pas non plus que cette musique reste dans ma tête. Je veux apporter ma propre approche. Il arrive que je ne sois pas d'accord avec les choix musicaux. Je suggère alors d'autres choses. J'essaie toujours d'effacer les musiques temporaires de ma tête.

ROCHE PAPIER CISEAUX (de Yan Lanouette Turgeon, 2013), pour lequel vous avez gagné le prix de la meilleure musique aux Jutras 2014, est un film référencé. On pense aux westerns de Morricone. Le réalisateur vous a-t-il transmis des références précises ?

(vidéo ci-contre : musique du générique de fin)

R.B : Sa référence était le western spaghetti. Toute la musique placée sur le montage était ainsi. Je trouvais que parfois cela ne marchait pas. Chaque histoire (il y en a trois différentes dans le film) a un style de musique. Mon idée était que les musiques se mélangent lorsque les histoires se rencontrent. Il y a donc des personnages associés au son des westerns italiens, un autre était un peu plus "gris" et électro-acoustique, tandis que le vieux monsieur italien a un son beaucoup plus "opérette" avec un grand orchestre de cordes. Puis plus le film avance, plus les instruments se mêlent. Le western spaghetti se transforme en valse.

On entend en effet une voix d'opéra, une guitare, un thème sous forme de valse. La BO est très hétérogène. Selon vous, un compositeur pour le cinéma doit-il être un peu caméléon ?

R.B : Chaque film sonne différemment des autres. J'essaie d'être versatile, non pas comme les compositeurs qui font toujours le même genre de musique avec le même genre d'instrument. Cela m'intéresse de ne jamais faire la même chose deux fois. C'est important d'avoir la capacité d'être caméléon et de faire ce dont le film a besoin et ne pas trop amener de bagage personnel. C'est toujours au cas par cas. Qu'est-ce que le film a besoin ? GERONTOPHILIA est minimaliste avec du piano seul tandis qu'AMSTERDAM (de Stefan Miljevic, sorti en octobre 2013 au Québec) convoque tout un orchestre.

GERONTOPHILIA (de Bruce LaBruce, sortie au Québec le 18 avril 2014, en France le 26 mars) est une comédie qui instaure un certain malaise. La musique devait-elle jouer une distance comique ?

R.B : Pas vraiment. Le réalisateur Bruce aime les trames sonores des années 60-70. La seule contrainte qu'il m'a demandé était de prendre le son d'un instrument pour représenter un des personnages, celui du vieux monsieur, avec un thème ou un son qui revient pour lui. Ce film met en scène un jeune personnage qui est fétichiste envers les personnes âgées, alors j'ai cherché un instrument qui sonnait vieux. J'ai essayé des instruments médiévaux mais ce n'était pas assez humoristique et surréel. J'ai alors utilisé un Marxophone, instrument du début du 20ème,  que j'ai acheté sur Ebay en parfait état. Je l'ai donc utilisé pour ce personnage.

Il y a eu là un vrai dialogue avec le réalisateur. Quels étaient ses mots pour que le dialogue puisse s'instaurer ?

R.B : Bruce LaBruce ne savait pas quel était l'instrument, mais il savait qu'il voulait un son ou un thème qui revient pour ce personnage. Il m'avait donné à entendre des morceaux comme référence mais on n'avait rien en commun. On riait parce qu'on n'était jamais d'accord. Et puis après quelques jours, quand j'ai vraiment écouté ce qu'il m'avait donné, je me suis dis "ah ouais, quand même, ce sont des styles différents mais il y a quand même quelque chose commune à toutes ces pièces". C'est à moi de percevoir exactement ce que le réalisateur veut, car il n'a pas le même vocabulaire que le musicien.

La musique de GERONTOPHILIA, assez rock, est-elle une musique que vous auriez pu faire pour vous-même ?

R.B : Cela pourrait. Je me suis posé la question il y a quelque temps de faire un album personnel qui n'aurait rien à voir avec les films. Mais la question serait de savoir, dans la mesure où je travaille dans des styles différents, quel serait celui que je vais choisir pour en faire un album ? Jazz, musique électronique, orchestre ?

Votre musique est à la fois mélodique, avec l'écriture de thèmes, et dans la texture...

R.B : C'est la raison pour laquelle je me suis dirigé vers la musique de film. J'ai toujours préféré la musique de film aux albums. Cela vient des textures et des associations d'instruments qu'on n'entend jamais ailleurs. C'est cet aspect qui m'a toujours intéressé. Je peux mélanger plein de choses musicalement. Maintenant, en 2014, il est très commun pour les artistes de mélanger les sons, mais c'est récent. Dans les années 70, c'était plus rare.

Quel est votre regard sur la présence de chansons préexistantes. C'est le cas dans ROCHE PAPIER CISEAUX. Participez-vous au choix ?

R.B : Oui. Il y en a trois ou quatre dans ROCHE PAPIER CISEAUX. On les a choisi ensemble avec le réalisateur. Initialement il voulait que je le fasse. Mais je devais déjà faire trois genres de musique. Il s'agissait de faire en plus une musique de source qui se joue dans un restaurant, en background, quand le monde parle, avec les sons du bar. Pour moi, ce n'est pas nécessairement une perte de temps, mais je préfère me concentrer sur les endroits où il y a de l'émotion, même si j'ai participé au choix des chansons. On a choisi des artistes et des pièces qui allaient marcher pour la continuité du film avec ma musique.

Quels sont les compositeurs d'aujourd'hui dont vous appréciez le travail ?

R.B : J'aime beaucoup Dickon Hinchliffe, violoniste des Tindersticks. Il fait du très bon travail. J'aime aussi de manière plus traditionnelle Alexandre Desplat. Je pense que ces deux-là sont ceux qui m'intéressent le plus.

Vous enchainez les projets (4 films en 2013). Pour y parvenir, faites-vous appel à des orchestrateurs ?

R.B : Aux Etats-Unis, les gros compositeurs qui font 14 films par année, ce qui est quasiment impossible à faire, engagent des orchestrateurs pour faire le travail. Je ne pourrais pas faire ça. Je fais tout de A à Z. J'ai étudié la composition alors pour moi c'est naturel. J'ai déjà toute l'orchestration dans ma tête quand je travaille sur une pièce. Je ne pense pas pouvoir le faire avec quelqu'un d'autre.

Quels ont été les délais les plus courts auxquels vous avez été confrontés ?

R.B : Pour GERONTOPHILIA, je pense l'avoir fait en deux semaines, mais il n'y avait pas beaucoup de musique, c'était assez minimaliste. L'ANGE GARDIEN, c'était trois semaines de A à Z. Dans les deux cas, ce qui m'a aidé, c'est de voir des versions du film avant de commencer. Ils n'étaient pas finis, mais au moins j'avais vu quelque chose et j'avais le temps d'y réfléchir. Lorsque j'ai reçu les films finis, j'avais déjà les idées. Les réalisateurs étaient contents. Il m'est aussi arrivé de faire un film en trente jours avec un grand orchestre, sans avoir vu le film avant. Une fois que j'ai reçu le film, j'avais trente jours pour tout faire.

Vous arrive-t-il d'avoir deux projets en même temps ?

R.B : Cela m'arrive assez souvent, parce qu'avec les films, les horaires bougent toujours. Ce n'est pas idéal de travailler sur deux projets en même temps. Quand j'embarque dans un film, je me concentre dessus, c'est une période très intense. De diviser le cerveau en deux, pour faire deux styles de musique différentes, c'est trop difficile pour moi. Je peux avancer sur un projet pour lequel il reste à faire des petites retouches, et en prendre un autre en même temps, parce qu'au moins le vrai travail a déjà été fourni.

Avez-vous toujours eu le budget confortable pour écrire votre musique vous permettant d'éviter de passer par les sons synthétiques ?

R.B : J'ai déjà fait des films avec des budgets extrêmement petits pour lesquels il faut prendre des décisions. Il m'est arrivé de faire un film gratuitement et de mettre le budget au complet pour la trame sonore. Je n'utilise pas de faux instruments. J'enregistre toujours de vrais musiciens. Si je faisais comme la plupart des gens qui travaillent avec des banques de sons au lieu d'engager un orchestre, j'aurais beaucoup plus d'argent à la banque.

Entretien réalisé à Montréal en février 2014 par Benoit Basirico
Dans le cadre des Rendez-vous du Cinéma Québécois 2014
Merci à Alice Mazé pour la retranscription

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